«La décision de bloquer Twitter est une attaque sans précédent contre la liberté sur Internet et la liberté d’expression en Turquie. Cette mesure draconienne, adoptée au titre de la loi relative à Internet en Turquie, montre jusqu’où le gouvernement est prêt à aller pour empêcher toute critique à l’égard du gouvernement», a déclaré Andrew Gardner, chercheur sur la Turquie à Amnesty International.
La décision est entrée en vigueur le 20 mars, peu avant minuit, le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan s’étant engagé dans la journée lors d’un meeting électoral à «supprimer» Twitter. Les utilisateurs de Twitter en Turquie ont condamné cette initiative et plus d’un million de tweets auraient été envoyés dans les heures qui ont suivi, les utilisateurs ayant trouvé le moyen de contourner l’interdiction.
Cette mesure –attaque directe contre le droit des citoyens turcs de partager et de recevoir des informations– intervient une semaine avant des élections locales cruciales. Le site avait servi de support pour diffuser des enregistrements d’écoutes téléphoniques étayant des accusations de corruption et d’ingérence du gouvernement turc dans les affaires et dans les médias.
Un outil de contestation
Twitter compterait 10 millions d’utilisateurs en Turquie. Le site de microblogging a été très largement utilisé durant les manifestations au parc Gezi l’été dernier, pour partager des opinions et recevoir des informations qui ne sont pas relayées dans les médias dominants, qui entretiennent des liens commerciaux étroits avec les autorités. Le gouvernement turc s’en est pris aux entreprises et aux utilisateurs de réseaux sociaux, le Premier ministre qualifiant Twitter de «fléau». Ces attaques s’inscrivent dans une politique plus vaste visant à faire taire et à calomnier ceux qui dénoncent la répression du gouvernement contre le mouvement de protestation, notamment les médecins, les avocats et les journalistes.
«Ce réseau social est depuis longtemps une épine dans le pied du gouvernement. Les détracteurs en font bon usage, et les propriétaires des sites de réseaux sociaux semblent immunisés contre les menaces et les intimidations auxquelles sont en butte les médias nationaux, a déclaré Andrew Gardner.
La décision de bloquer l’accès à Twitter est de mauvais augure quant à l’utilisation par le gouvernement turc de la loi sur Internet pour contrôler le Web. Il s’agit d’attaques cautionnées par les tribunaux contre la liberté d’expression.»
Complément d’information
La censure d’Internet est très pratiquée en Turquie, les sites d’informations pro-kurdes et les sites de chats homosexuels étant notamment pris pour cibles par les autorités. YouTube a été bloqué de 2007 à 2010, au motif que des vidéos postées sur le site insultaient «la mémoire d’Atatürk», fondateur de la République turque. Les sites Google demeurent bloqués en Turquie malgré une décision de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a statué que cette mesure constituait une violation du droit à la liberté d’expression.
En février 2014, le gouvernement a ajouté des dispositions restrictives à la loi relative à Internet qui menace le droit à la liberté d’expression et à la vie privée. Amnesty International a demandé le retrait de ces amendements et l’alignement de la loi sur les normes internationales relatives aux droits humains.
Des articles postés sur les réseaux sociaux, dont Twitter, ont également donné lieu à des procédures pénales iniques bafouant le droit à la liberté d’expression. À Izmir, 29 jeunes gens sont actuellement jugés pour «incitation à enfreindre la loi», en raison de tweets envoyés au sujet des rassemblements au parc de Gezi. Les contenus partagés via les réseaux sociaux sont utilisés pour justifier les poursuites engagées au titre des lois antiterroristes contre plusieurs membres de Taksim Solidarity, fédération d’organisations qui a joué un rôle majeur dans le mouvement de protestation.
Le blocage de Twitter a été entériné par le département d’État des télécommunications sur ordre du bureau du procureur d’Istanbul, qui s’est appuyé sur les pouvoirs que lui confèrent la Loi antiterroriste et des décisions judiciaires. Le gouvernement a justifié sa décision de fermer le site en invoquant le non-respect par Twittter de décisions judiciaires lui intimant de supprimer certains contenus.