© pixabay (TheDigitalArtist)
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Arabie saoudite Liberté d'expression muselée

15 février 2023
Conséquence du durcissement de la politique de Riyad en matière de répression de l'expression en ligne, des personnes qui ont exprimé des critiques sur les réseaux sociaux se retrouvent condamnées à de lourdes peines de prison.

Depuis un an, les autorités saoudiennes intensifient leur violente répression ciblant les personnes qui se servent des espaces en ligne pour faire entendre leurs opinions. Amnesty International a recensé les cas de 15 personnes condamnées en 2022 à des peines d’emprisonnement comprises, uniquement pour des activités en ligne et pacifique. La plus lourde peine jamais infligée à une femme saoudienne pour s’être exprimée pacifiquement en ligne s’élève à 45 ans de prison.

Par ailleurs, l’Arabie saoudite a infiltré au moins une entreprise de réseaux sociaux pour obtenir illégalement des informations contre des dissident·e·x·s et contrôler les informations diffusées en ligne au sujet du royaume.

Riyad tente d’infiltrer les plateformes numériques pour contrôler les informations publiées au sujet du royaume et de ses dirigeants.

«L’Arabie saoudite réprime depuis longtemps les défenseur·e·x·s des droits humains, les journalistes et les membres de la société civile. Elle cible désormais des membres "ordinaires" de la population qui exercent pacifiquement leur droit à la liberté d'expression en ligne. Ces condamnations choquantes rappellent à tous les citoyen·ne x·s qu’aucune dissidence ne sera tolérée», a déclaré Philip Luther, directeur de la recherche et du plaidoyer pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Amnesty International.

Parallèlement, Riyad tente d’infiltrer les plateformes numériques pour contrôler les informations publiées au sujet du royaume et de ses dirigeants. Ces méthodes répressives illustrent l’hypocrisie de l’Arabie saoudite qui organise des événements mondiaux censés défendre la libre circulation de l’information en ligne.

L’augmentation spectaculaire de la durée des peines de prison prononcées par le Tribunal pénal spécial fait suite à la nomination d'un nouveau juge à la présidence du tribunal en juin 2022. Cet homme faisait partie de la délégation envoyée par les autorités saoudiennes à Istanbul en octobre 2018 pour «nettoyer» les preuves de l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, démembré au consulat saoudien, selon le rapporteur spécial de l'ONU sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires.

La répression de l'expression en ligne n'est que l'un des outils dont disposent les autorités saoudiennes pour museler la dissidence. En février 2023, Amnesty International a recensé les cas de 67 personnes poursuivies pour avoir exercé leurs droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique, notamment des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s politiques pacifiques, des journalistes, des poètes et des dignitaires religieux, dont 32 pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions sur les réseaux sociaux. Le nombre réel de ces poursuites est probablement beaucoup plus élevé.

Emprisonné·e·x·s pour des tweets

Amnesty International a examiné plusieurs actes judiciaires et s’est entretenue avec des organisations de la diaspora saoudienne, ainsi qu’avec les familles et les amis des 15 personnes condamnées à de lourdes peines, principalement pour s’être exprimées sur les réseaux sociaux.

Salma al Shehab, étudiante en doctorat à l’Université de Leeds et mère de deux enfants appartenant à la minorité chiite, a vu sa condamnation initiale à six ans de prison portée en appel à 34 ans par le Tribunal pénal spécial en août 2022, assortie d’une interdiction de voyager de 34 ans. Son téléphone portable a été saisi et elle a reçu l’ordre de fermer son compte Twitter. Elle a été détenue à l’isolement pendant 285 jours et n’a pas été autorisée à consulter un avocat tout au long de sa détention provisoire. Elle a été déclarée coupable d’utiliser Twitter pour soutenir les militant·e·s des droits des femmes, comme Loujain al Hathloul. Salma al Shehab avait environ 2 000 abonné·e·s.

Le jour de la condamnation de Salma al Shehab, Noura al Qahtani, un autre Saoudienne âgée de presque 50 ans et mère de cinq enfants, a vu sa condamnation passer de 13 à 45 ans de prison. En outre, elle a été condamnée à 45 ans d’interdiction de voyager, son téléphone portable a été saisi et son compte Twitter fermé. D’après ce que sait Amnesty International, il s’agit de la plus lourde peine jamais prononcée contre une femme saoudienne pour s’être exprimée pacifiquement en ligne.

D'autres personnes qui ont exprimé des critiques à l'égard de la famille royale saoudienne, qui se sont engagées pour les droits des femmes et des minorités ou qui sont soupçonnées de soutenir des organisations islamistes interdites ont également été victimes de la répression des autorités saoudiennes. Lire le communiqué étendu sur amnesty.org

Infiltration de Twitter

On ignore comment le gouvernement saoudien a identifié les personnes mentionnées ci-dessus ou pourquoi il a choisi de les cibler. Toutefois, ces poursuites récentes coïncident avec des révélations selon lesquelles il a infiltré Twitter afin de recueillir des informations sur les dissident·e·s.

En décembre 2022, un tribunal américain a déclaré l’ancien manager de Twitter Ahmad Abouammo coupable d’espionnage au profit de l’Arabie saoudite, l’accusant d’avoir accédé à, surveillé et transmis des informations confidentielles et sensibles susceptibles de permettre d’identifier et de localiser les utilisateurs de Twitter présentant un intérêt pour la famille royale saoudienne. D’après l’acte d'inculpation, qu’Amnesty International a pu examiner, Ahmad Abouammo a fourni les noms et les informations de comptes Twitter «publiant des informations critiques ou embarrassantes pour la famille royale saoudienne et le gouvernement de l'Arabie saoudite». En outre, cet acte indique qu'un responsable saoudien a communiqué avec Ahmad Abouammo pour lui demander de supprimer le compte Twitter d'un utilisateur qui avait «publié des informations critiques sur la famille royale saoudienne et un membre de cette famille» et de lui transmettre des informations personnelles sur ce compte.

«Les autorités saoudiennes doivent libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes détenues pour avoir exercé pacifiquement leur droit à la liberté d'expression. Twitter doit mener des enquêtes internes afin de déterminer l'impact des tentatives d'infiltration des autorités saoudiennes sur son travail, si ce n'est déjà fait, et rendre publiques les conclusions de ses investigations. Enfin, Twitter doit faire savoir quelles mesures ont été prises pour prévenir ce type de violations à l'avenir», a déclaré Philip Luther.