Bahreïn De nouvelles opérations de répression sont à craindre avant le Grand Prix

Communiqué de presse publié le 1 avril 2014, Londres, Lausanne.
À l’heure où le monde du sport se focalise sur le Grand Prix de Formule 1 de Bahreïn, qui se déroulera dans quelques jours, Amnesty International exhorte les autorités de ce pays à s'abstenir de réprimer les actions de protestation pacifiques ayant lieu à cette occasion.

La compétition de Formule 1 doit se tenir à Bahreïn de vendredi 4 à dimanche 6 avril. Les années précédentes, les autorités ont pris des mesures répressives draconiennes contre des manifestants partisans de la réforme, des militants opposés à la famille royale et des défenseurs des droits humains durant cet événement sportif.

«Les autorités bahreïnites ne doivent pas répéter les erreurs du passé en limitant la liberté de mouvement ou en écrasant les actions de protestation. Le droit des citoyens de Bahreïn d’exprimer pacifiquement leur opposition aux politiques gouvernementales et de faire état de leurs préoccupations en matière de droits humains est légitime et doit être respecté», a déclaré Said Boumedouha, directeur adjoint du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

Les militants de l’opposition ayant appelé au boycott du Grand Prix ont déjà été qualifiés de «traîtres» par le gouvernement. Il est à craindre que les autorités n'invoquent les troubles récents, notamment des attentats terroristes visant la police, pour justifier l’imposition de nouvelles restrictions pendant le Grand Prix, comme par exemple l’interdiction pour certains de quitter leur village et des mesures drastiques visant les manifestations pacifiques.

Lors de précédents Grands Prix, les journalistes étrangers et bahreïnites se sont vu interdire de couvrir les manifestations; certains ont été expulsés de Bahreïn pour avoir tenté de le faire malgré tout sans permission.

«Plutôt que de continuer à adopter des mesures de sécurité pour faire face aux manifestations antigouvernementales, les autorités bahreïnites devraient profiter du Grand Prix pour annoncer des mesures concrètes visant à améliorer la terrible situation des droits humains dans le pays», a déclaré Said Boumedouha.

«Trois ans après le soulèvement de 2011, les changements introduits à Bahreïn sont purement cosmétiques et les promesses de réforme se sont avérées creuses. Les arrestations arbitraires, la répression des actions de protestation et la torture en détention se poursuivent sans répit. Utiliser le Grand Prix pour améliorer l’image publique de Bahreïn n’est guère plus qu’une tentative éhontée de cacher la multiplication des violations derrière le battage médiatique accompagnant un événement sportif international.»

Ces abus persistants sont aggravés par l’absence totale d’obligation de rendre des comptes pour les violations passées. De très nombreuses victimes et familles de victimes continuent à attendre que justice soit rendue pour des homicides et actes de torture perpétrés lors de Grands Prix précédents.

Injustice

Deux ans après la mort de Salah Abbas Habib pendant le Grand Prix de Bahreïn en 2012, sa famille attend toujours que justice soit rendue. Cet homme de 37 ans a été abattu par les forces de sécurité le 20 avril 2012 à la suite de manifestations à Manama. Ce n’est que trois jours plus tard que sa famille a été autorisée à voir sa dépouille. En novembre 2013, après avoir été accusé d'avoir joué un rôle dans l'homicide de cet homme, un policier a été acquitté, faute de preuves et parce que les témoignages fournis étaient contradictoires. Personne d’autre n’a été poursuivi en relation avec la mort de ce manifestant.

Lors du Grand Prix de Bahreïn 2013, Nafeesa al Asfoor, 31 ans, et Rayhana al Mousawi, 38 ans, ont été appréhendées après avoir tenté de pénétrer sur le circuit de Formule 1 afin de protester contre l’emprisonnement de militants politiques. Elles ont toutes deux été accusées d’intention de commettre des actes terroristes et de détention d’explosifs. Leur procès est en cours. En septembre dernier, Rayhana al Mousawi a été condamnée à une peine de cinq ans de prison dans une affaire distincte, en raison de ses liens présumés avec la «Coalition du 14 février», un mouvement de jeunesse qualifié d’organisation terroriste par les autorités en mars 2014.

Les deux femmes ont dit avoir été torturées et maltraitées durant un interrogatoire et ont été forcées à signer des «aveux»; elles se sont ensuite rétractées. Amnesty International demande qu’une enquête approfondie et indépendante soit ouverte sur les allégations de torture formulées par ces femmes, et que les responsables présumés soient traduits en justice.

Le Grand Prix de cette année marque par ailleurs le troisième anniversaire de l’arrestation de Mahdi Issa Mahdi Abu Dheeb, l’ancien président de l’Association des enseignants de Bahreïn. Il a passé 64 jours à l'isolement, et a été frappé et torturé en détention après même qu’il a signé des «aveux» extorqués par la force. Amnesty International considère cet homme comme un prisonnier d’opinion, emprisonné uniquement pour avoir exprimé de manière pacifique ses opinions, et elle demande sa libération immédiate et sans condition, ainsi que l’ouverture d’une enquête sur les allégations de torture qu’il a formulées.

Un certain nombre de militants en faveur des droits humains, notamment Nabeel Rajab et Abdelhadi Al Khawaja, et des centaines d'autres prisonniers politiques languissent en détention uniquement parce qu'ils ont dirigé ou appelé de leurs vœux de manière pourtant pacifique des actions de protestation contre le gouvernement.

«La culture de l’impunité profondément enracinée au sein des forces bahreïnites de sécurité permet encore et encore aux auteurs d'actes de torture et d’autres graves violations d'échapper aux poursuites. Au lieu de lutter contre les violations actuelles, les autorités bahreïnites continuent à rechercher une reconnaissance internationale par le biais d’événements tels que le Grand Prix, tout en bafouant effrontément les droits de leur peuple», a déclaré Said Boumedouha.