Les manifestants portent une effigie du leader du Conseil suprême des forces armées, Marshall Mohamed Hussein Tantawi, au Caire, le 18 novembre 2011. © Mohamed Ali Eddin/Demotix
Les manifestants portent une effigie du leader du Conseil suprême des forces armées, Marshall Mohamed Hussein Tantawi, au Caire, le 18 novembre 2011. © Mohamed Ali Eddin/Demotix

Egypte Les dirigeants militaires écrasent les espoirs des manifestants du 25 janvier

Alors que les violences entre la police et des manifestants réclamant la fin du pouvoir militaire ont fait plusieurs morts en deux jours d'affrontements en Egypte, Amnesty International révèle, dans un nouveau rapport, que les dirigeants militaires égyptiens sont responsables d'un catalogue d'abus qui, dans certains cas, surpassent le bilan d'Hosni Moubarak. L'organisation y documente un bilan consternant du Conseil suprême des forces armées (CSFA) en matière de droits humains.

«En utilisant les tribunaux militaires pour juger des milliers de civils, en réprimant des mouvements de protestations pacifiques et en étendant le champ d'application de la loi d'urgence de Moubarak, le CSFA a perpétué les pratiques répressives que les manifestants du 25 janvier avaient si ardemment combattues», a déclaré Philip Luther, directeur adjoint du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d'Amnesty International. «Le bilan du CSFA en matière de droits humains montre que les objectifs et les aspirations de la révolution du 25 janvier ont été écrasés.»

Dans son rapport Broken Promises: Egypt's Military Rulers Erode Human Rights, Amnesty International constate que le CSFA n'a respecté que peu des engagements qu'il a pris dans ses déclarations publiques. En août, le CSFA admettait ainsi qu'environ 12'000 civils avaient été jugés par des tribunaux militaires à la suite de procès manifestement inéquitables. Au moins treize d'entre eux ont été condamnés à mort.

Manifestations violemment réprimées

Dans des déclarations faites peu après la chute de Moubarak, le CSFA avait promis «d'utiliser son pouvoir pour protéger les manifestants indépendamment de leurs opinions», mais les forces de sécurité, y compris l'armée, ont violemment réprimé plusieurs manifestations, faisant des morts et des blessés.

Vingt-huit personnes semblent ainsi avoir été tuées le 9 octobre, à Maspero, après que les forces de sécurité ont dispersé une manifestation de chrétiens coptes. Des médecins ont déclaré à Amnesty International que les victimes avaient des blessures par balle et des membres écrasés, les soldats ayant roulé à grande vitesse sur les manifestants avec des véhicules blindés. Au lieu d'ordonner l'ouverture d'une enquête indépendante sur cet évènement, l'armée a annoncé qu'elle mènerait l'enquête elle-même et a agi rapidement pour étouffer toute critique.

Actes de torture à l'ordre du jour

Amnesty International a déclaré qu'elle avait eu connaissance d'informations concordantes selon lesquelles les forces de sécurité faisaient appel aux baltagiya (bandits armés) afin d'attaquer les manifestants. Il s'agit d'une tactique bien connue, employée sous le régime d'Hosni Moubarak. D'autre part, la torture en détention se poursuit depuis que les militaires sont à la tête du pays. Amnesty International a interrogé des détenus qui ont affirmé avoir été torturés alors qu'ils étaient détenus par l'armée. En septembre, une vidéo a circulé montrant des officiers de l'armée et de la police frapper deux détenus et leur administrer des décharges électriques. Après avoir manifestement mené une enquête, le procureur militaire a écarté la vidéo au motif qu'elle était «falsifiée», sans donner de précisions supplémentaires.

Le Conseil suprême des Forces armées a promis d'enquêter dans le but de faire taire les critiques dénonçant de graves violations des droits humains, mais n'a pas tenu ces promesses. A la connaissance d'Amnesty International, aucun auteur présumé de ces violations n'a été déféré à la justice. Le 28 mars, le conseil militaire a ainsi annoncé sa volonté d'enquêter sur l'utilisation forcée de «tests de virginité» par l'armée pour intimider dix-sept femmes ayant manifesté le 9 mars, mais aucune information sur cette enquête n'a été rendue publique. Au lieu de cela, la seule femme qui a déposé une plainte contre le CSFA aurait subi des actes d'harcèlement et d'intimidation.

La loi d'urgence pour perpétuer les pratiques répressives

Lorsque le secrétaire général d'Amnesty International, Salil Shetty, a rencontré des représentants du CSFA en juin, il leur a demandé de supprimer la loi d'urgence de 1981 qui restreint de manière inique un certain nombre de droits fondamentaux. Mais, en septembre, le champ d'application de la loi d'urgence a été élargi pour couvrir des infractions telles que les perturbations de la circulation, le blocage des routes, la diffusion de rumeurs, la détention et le commerce d'armes, ainsi que les «atteintes à la liberté de travailler». Les personnes arrêtées sous la législation d'urgence sont jugées par un tribunal spécial, la Cour suprême de sûreté de l'Etat.

«L'armée égyptienne ne saurait continuer d'invoquer la sécurité comme prétexte pour perpétuer les pratiques répressives de l'ère Moubarak», a déclaré Philip Luther. «Une transition réelle vers la nouvelle Egypte que les manifestants exigent, ne sera possible que si le CSFA autorise la liberté d'expression, d'association et de réunion, s'il lève l'état d'urgence et cesse traduire les civils devant des tribunaux militaires.»

Communiqué de presse publié le 22 novembre 2011, Londres / Lausanne.
Contact du service de presse