Si ces pouvoirs ne sont pas réduits, les militaires pourront continuer à bafouer les droits humains en toute impunité, a averti l’organisation.
La Déclaration constitutionnelle de mars 2011 conférait à l’armée la direction du pays jusqu’à l’élection par les Égyptiens d’un président et d’un parlement. Cependant, le Conseil supérieur des forces armées (CSFA) a modifié dimanche 17 juin 2012 les termes de la Déclaration afin de s’octroyer le contrôle de toute question relative aux forces armées. Ces modifications soustraient en réalité l’armée à tout contrôle civil.
Une modification de taille autorise le président de l’Égypte à faire appel à l’armée pour maîtriser les «troubles internes». Si ces modifications sont adoptées, la législation égyptienne devra préciser les compétences judiciaires de l’armée, ses pouvoirs en matière d’arrestation et d’incarcération et les conditions dans lesquelles elle sera habilitée à utiliser la force.
«Il est extrêmement inquiétant que l’armée ait pavé sa propre voie pour pouvoir continuer à arrêter et à placer en détention des civils et à recourir à la force contre des manifestants, sans aucune véritable surveillance de ses actes, a déclaré Philip Luther, directeur du Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.
«En aucune circonstance l’armée égyptienne, avec son mauvais bilan en matière de droits humains, ne doit avoir le pouvoir d’arrêter des civils, de les incarcérer ou d’enquêter sur eux.»
Amnesty International a rassemblé des informations sur des violations graves des droits humains commises par l’armée égyptienne depuis sa prise de pouvoir, en février 2011. Elle s’est notamment rendue coupable d’arrestations arbitraires et de torture, et des milliers de civils ont été jugés par des tribunaux militaires à l’issue de procès inéquitables.
L’organisation a condamné une décision prise la semaine dernière par le ministère de la Justice et visant à accorder à la police militaire et aux agents du renseignement les mêmes pouvoirs que la police civile lorsqu’ils ont affaire à des civils soupçonnés d’infractions relatives à la sécurité nationale et à l’ordre public.
Amnesty International a également recueilli des informations sur une série d’opérations de répression de manifestations qui ont fait plusieurs morts, dont 27 manifestants en octobre, au Caire, autour du bâtiment Maspero; 50 personnes en novembre, dans la rue Mohamed Mahmoud, près du ministère de l’Intérieur ; et 17 autres en décembre, toujours au Caire, près du bâtiment qui abrite le conseil des ministres.
«L’armée ayant déjà fait usage d’une force excessive contre des manifestants, elle ne doit pas être déployée pour maintenir l’ordre lors de manifestations pacifiques», a déclaré Philip Luther.
Les nouvelles dispositions font craindre sérieusement qu’il n’y ait plus dorénavant aucun moyen d’obliger l’armée à rendre des comptes pour les violations des droits humains qu’elle commet.
Aux termes de la déclaration amendée, et dans l’éventualité où l’armée intervient pendant des «troubles», la loi égyptienne précisera en détail les situations dans lesquelles la responsabilité des militaires ne saurait être engagée pour leurs actes. Amnesty International est préoccupée à l’idée que la formulation vague des nouveaux textes puisse être un moyen pour l’armée de protéger ses forces contre toute enquête ou poursuite pour violations des droits humains.
«Cette initiative de l’armée montre à quel point elle est déterminée à se maintenir au-dessus des lois tout en bafouant l’état de droit, a ajouté Philip Luther.
«À ce jour, aucune prétendue enquête militaire sur des violences commises par l’armée n’a permis de faire en sorte qu’un militaire ait à rendre compte de ses actes.»
Les modifications à la Déclaration constitutionnelle accordent aussi à l’armée le pouvoir de former une nouvelle assemblée constituante – organe chargé de rédiger la prochaine constitution de l’Égypte et représentant les divers groupes de la société – au cas où l’Assemblée constituante actuelle ne puisse pas mener ses travaux à terme. Les modifications vont encore plus loin, car elles autorisent le CSFA à s’opposer à tout article proposé par une assemblée constituante.
Amnesty International redoute que cela ne donne à l’armée les moyens de rejeter toute tentative d’une assemblée constituante de contenir les militaires et de les placer sous surveillance civile – ou de les contraindre à rendre des comptes en cas de violation des droits humains.
Pour l’organisation, il est capital qu’une assemblée constituante, quelle qu’elle soit, assure une participation et une représentation équitables des femmes et des minorités.