Un graffiti dans les rues du Caire. © AI
Un graffiti dans les rues du Caire. © AI

Egypte Combattre la violence contre les femmes sous toutes ses formes

12 juin 2013
Que ce soit dans la sphère privée ou publique, qu’elle soit le fait d’agents gouvernementaux ou de particuliers, la violence contre les femmes en Égypte demeure largement impunie. Par Diana Eltahawy, chercheuse sur l’Égypte à Amnesty International

La plupart des cas de violence ne sont pas signalés pour une multitude de raisons qui vont des stéréotypes discriminatoires liés au genre et du manque de connaissance chez les femmes de leurs droits, aux pressions sociales et familiales qui incitent à se taire, aux lois discriminatoires et à la dépendance économique des femmes. Même lorsqu’elles surmontent ces obstacles et se tournent vers les institutions de, elles sont souvent en butte aux réactions dédaigneuses ou insultantes de leurs interlocuteurs, qui ne renvoient pas ces affaires devant les tribunaux, et doivent faire face à des procédures judiciaires longues et coûteuses lorsqu’elles souhaitent divorcer. Celles qui parviennent à obtenir le divorce se retrouvent alors bien souvent face à la non-application des décisions de justice en matière de pension alimentaire au titre du conjoint ou des enfants.

Au cours des dernières semaines, lors d’une mission d’Amnesty International en Égypte, j’ai rencontré plusieurs femmes et jeunes filles qui ont été agressées par leur mari ou des proches. Beaucoup souffrent en silence pendant des années, alors qu’elles sont frappées, violées, brutalisées et insultées.

Om Ahmed m’a raconté que son époux s’était mis à boire et à la frapper après trois ans de mariage. Une fois, son ex-époux lui a fracassé sur le visage une bouteille en verre, pleine, lui cassant les dents de devant. Elle est restée avec lui pendant encore 17 ans, en partie parce qu’elle n’avait nulle part où aller, et en partie parce qu’elle ne voulait pas attirer la «honte» sur sa famille. Elle n’a jamais envisagé d’aller voir la police, expliquant d’un haussement d’épaules: «Les policiers s’en fichent, pour eux ce n’est pas un problème si un mari bat sa femme. Si vous êtes pauvre, ils vous traitent comme si vous n’existiez pas et vous renvoient à la maison.»

Les rare recours légaux sont complexes et coûteux

Les hommes musulmans égyptiens ont la possibilité de divorcer de leur femme de manière unilatérale, et sans fournir aucun motif. Les Égyptiennes, en revanche, doivent aller devant les tribunaux et apporter la preuve du «tort» que leur a causé leur mariage. Pour prouver les dommages corporels, elles doivent présenter des preuves, tels que des rapports médicaux ou des témoignages oculaires, dans le cadre de procédures fastidieuses et coûteuses.

Om Mohamed, 24 ans, a raconté à Amnesty International: «Nous sommes séparés depuis plus de quatre ans, mais je ne suis toujours ni mariée ni divorcée… Pendant tout ce temps, je me suis efforcée de prouver devant le tribunal qu’il avait l’habitude de me frapper avec tout ce qui lui tombait sous la main, y compris des ceintures et des câbles. Chaque fois que je me rends au tribunal, l’audience est reportée, et j’ai besoin de tel ou tel papier. J’ai dépensé beaucoup d’argent pour les avocats, et sans rien obtenir.»

Il n’existe que neuf centres d’accueil officiels dans toute l’Égypte, qui manquent cruellement de ressources et ont besoin de formation et de renforcement des capacités. La plupart des victimes de violence domestique ignorent tout simplement leur existence. L’idée de ces centres d’accueil n’est pas encore complètement acceptée, en raison de l’opprobre associé pour une femme au fait de vivre en dehors de sa famille ou du domicile de son époux.

En mai, les autorités égyptiennes ont annoncé la mise sur pied d’une unité spéciale de la police, composée de femmes, pour lutter contre les violences sexuelles et les actes de harcèlement sexuel. Cette mesure est positive, mais les autorités doivent faire bien davantage pour prévenir et sanctionner la violence et le harcèlement liés au genre. Elles doivent aussi modifier la loi, afin de garantir que les victimes bénéficient de recours effectifs. Enfin, elles doivent faire preuve de volonté politique et s’attaquer à la culture du déni, voire de la complicité des responsables de l’application des lois.