Le bilan imputable aux forces de sécurité égyptiennes s'est encore alourdi. © Omnia E. Al Desoukie
Le bilan imputable aux forces de sécurité égyptiennes s'est encore alourdi. © Omnia E. Al Desoukie

Égypte Des preuves accablent les défaillances des forces de sécurité

10 juillet 2013
Les éléments de preuve recueillis par Amnesty International laissent à penser que les forces de sécurité ont recouru à une force excessive contre les partisans du président déchu Mohamed Morsi. Le bilan s’élève à au moins 88 morts, dont trois membres des forces de sécurité, et 1 500 blessés dans le cadre des manifestations et des violences politiques qui ont éclaté depuis le 5 juillet.

Pas moins de 51 partisans de Mohamed Morsi ont été tués le 8 juillet lors des affrontements qui se sont déroulés devant le siège de la Garde républicaine. «Alors que l’armée affirme que les manifestants sont à l’origine des accrochages du 8 juillet et qu’il n’y a pas de femmes ni d’enfants parmi les blessés, les témoignages directs recueillis par Amnesty International brossent un tableau très différent. Même si certains manifestants se sont montrés violents, la réponse était disproportionnée et a fait des morts et des blessés parmi ceux qui étaient pacifiques», a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

L’armée tire à balles réelles

L’armée et le ministère de l’Intérieur ont déclaré le 9 juillet que les violences étaient la conséquence de l’assaut lancé par les manifestants rassemblés devant le siège de la Garde républicaine et annoncé qu’un officier et deux membres des forces de sécurité avaient été tués. Cependant, les récits de témoins oculaires contredisent cette version des faits. Amnesty International s’est rendue dans des morgues, des hôpitaux et sur des sites où avaient eu lieu des affrontements au Caire et à Alexandrie, afin de recueillir les témoignages de manifestants blessés et de proches de victimes. D’après ses conclusions, les forces de sécurité ont fait un usage disproportionné de la force, y compris meurtrière. Nombre des personnes tuées ou blessées avaient été touchées à la tête et sur le haut du corps par des plombs de fusil et des balles réelles.

Selon Hassiba Hadj Sahraoui, «les autorités égyptiennes doivent prendre des mesures pour que l’armée et la police cessent de recourir à une force manifestement disproportionnée. Même lorsque des manifestants se montrent individuellement violents, l’armée doit répliquer de manière proportionnée, sans tuer ni blesser ceux qui ne mettent pas en danger la vie des forces de sécurité ou d’autres personnes. Les autorités doivent mener dans les meilleurs délais une enquête indépendante et impartiale aux yeux de toutes les parties, afin de garantir que les violations présumées des droits humains commises par l’armée ne soient pas étouffées. Elles doivent aussi veiller à ce que des autopsies soient pratiquées et des rapports médicaux établis pour faciliter la tenue d’enquêtes approfondies et garantir l’accès à la justice et à des réparations.»

Les frères musulmans déterminés à poursuivre la contestation

Les craintes de nouvelles effusions de sang sont avivées par les déclarations des dirigeants des Frères musulmans, qui ont fait le serment de poursuivre la contestation jusqu’à ce que l’ancien président soit rétabli dans ses fonctions, appelant leurs partisans à «se soulever» et à «résister», malgré les nombreuses victimes.

D’après une femme âgée d’une quarantaine d’année, blessée le 8 juillet, les violences ont éclaté alors qu’elle terminait sa prière, à côté d’une tente qui abritait des femmes et des enfants. «J’ai vu des hommes courir vers nous, puis les gaz lacrymogènes ont commencé à tout envahir. Je ne savais pas quoi faire, ni où emmener les enfants. Je ne pouvais pas retourner sous la tente, car nous aurions été asphyxiés, et je ne savais pas où courir à cause des tirs… Les tirs et les gaz lacrymogènes fusaient de toutes parts. Des hommes gisaient sur le sol dans des mares de sang devant moi, je suis restée là, sous l’arbre, et j’ai continué à prier. J’ai pensé que c’était la fin», a-t-elle raconté. Elle a finalement réussi à se réfugier dans une rue adjacente.

La police laisse faire

Les évènements du 8 juillet ont fait suite aux tirs survenus le 5 juillet, lorsque les forces de sécurité ont abattu quatre personnes qui manifestaient devant le siège de la Garde républicaine. Amnesty International a constaté que les forces de sécurité étaient intervenues trop tard, ou n’étaient pas intervenues du tout, lors des heurts opposant les pro- et les anti-Morsi au Caire et à Alexandrie le 5 juillet – accrochages qui ont fait des victimes dans les deux camps. Au moins huit personnes sont mortes lors de ces affrontements qui ont duré près de cinq heures place Tahrir et dans le quartier d’al Manial au Caire, alors que les forces de sécurité n’étaient pas présentes sur les lieux.

Le même jour, à Alexandrie, au moins 17 personnes ont été tuées dans le quartier de Sidi Gaber. Les forces de sécurité ne sont arrivées qu’après la mort de plusieurs personnes. Mohamed Badr al Din, un habitant du quartier, a été poignardé et jeté du haut d’un toit par des partisans de Mohamed Morsi. D’après des habitants du quartier, les appels lancés à la police pour qu’elle intervienne sont restés vains.

«Il est de la responsabilité des forces de l’ordre de maintenir la sécurité et de protéger les vies humaines. Pourtant, au lieu de prévenir les effusions de sang, elles semblent y contribuer en recourant à une force excessive et en ignorant les appels à l’aide des citoyens, a déploré Hassiba Hadj Sahraoui. Ceux qui agressent violemment des opposants politiques doivent répondre de leurs actes, quelle que soit leur appartenance politique.»