«Le gouvernement intérimaire a déjà entaché son bilan en termes de droits humains, d’abord en ne recourant pas à des armes non létales pour disperser les sit-ins de manifestants pro-Morsi et en ne permettant pas l’évacuation des blessés en toute sécurité, alors qu’il s’y était engagé, ensuite en justifiant ses actions malgré les pertes humaines tragiques, a expliqué Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty International.
«La réaction de la communauté internationale a été faible et inefficace, même si l’ensemble de ses membres se sont empressés de condamner ce massacre, a-t-il ajouté. La communauté internationale doit agir avec fermeté pour faire savoir clairement qu'aucun gouvernement ne peut se comporter ainsi et conserver sa crédibilité.
«Le recours à la violence par certains manifestants pro-Morsi ne peut en aucun cas justifier une réaction aussi disproportionnée. Les actes violents de certains manifestants ne doivent pas non plus servir de prétexte pour réprimer tous les sympathisants des Frères musulmans, sans distinction aucune entre ceux qui emploient la violence et prônent son usage et ceux qui expriment simplement leurs opinions. Dans quel pays est-il possible que les forces de sécurité fassent preuve de tant de brutalité et d’une telle irresponsabilité sans que des mesures décisives soient prises?»
Les chefs de file d’Amnesty International se réunissent cette semaine à Berlin, à l’occasion du Conseil international, réunion que l’organisation tient tous les deux ans. L’une des premières initiatives prises lors de cette réunion a été de réunir publiquement tous les participants, qui ont demandé au gouvernement égyptien de ne plus recourir à une force excessive ou inutile et d’ouvrir des enquêtes indépendantes et impartiales. Une pétition a ensuite été remise à l’ambassade d’Égypte à Berlin.
«Le fait que plusieurs centaines de personnes dans tout le pays puissent être tuées par les forces de sécurité, et plusieurs milliers d’autres blessées, en quelques jours seulement, est à peine concevable, a-t-il ajouté. Une enquête exhaustive est indispensable pour que les victimes obtiennent justice et que les responsables aient à rendre des comptes.»
Depuis la destitution du président Morsi le 3 juillet, les chercheurs d’Amnesty International travaillant en Égypte ont mis en évidence toute une série de graves violations des droits fondamentaux, qui ont atteint leur paroxysme avec l’attaque systématique lancée par les forces de sécurité contre les sit-ins de manifestants pro-Morsi. Ils ont notamment constaté une hausse inquiétante et sans précédent des violences intercommunautaires visant les coptes dans tout le pays, en représailles semble-t-il du soutien qu’ils ont affiché envers la destitution du président Morsi. Des militants coptes ont fait état de plus de 60 attaques d’églises depuis la dispersion brutale des sit-ins de manifestants pro-Morsi, les forces de sécurité se montrant incapables d’intervenir efficacement pour mettre fin aux violences.
Amnesty International a également recueilli des informations sur des violations perpétrées par des manifestants pro-Morsi, y compris des coups, des tortures et des homicides. Ces derniers jours, les violences dont se sont rendus coupables des partisans du président déchu se sont de toute évidence intensifiées. Certains s’en sont notamment pris à des bâtiments publics, à des commissariats ainsi qu’à des agents de police. D’autres ont tiré à balles réelles contre des habitants, y compris des enfants, et contre des opposants présumés. Les manifestants faisant usage de la violence doivent être tenus pour pénalement responsables.
«Par le passé, les autorités égyptiennes n’ont guère amené les forces de sécurité à rendre des comptes à la suite de l’utilisation d’une force meurtrière excessive et injustifiée. Il est donc nécessaire que les experts des Nations unies, en particulier le rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, puissent se rendre librement en Égypte pour enquêter sur les circonstances dans lesquelles se sont produites les violences et sur le recours systématique à une force meurtrière excessive et injustifiée, a déclaré Salil Shetty.
«Une violation manifeste du droit international et des normes internationales, au cours d’événements que l’on peut qualifier de véritable carnage, a été commise en Égypte. Les autorités égyptiennes doivent agir immédiatement pour empêcher de nouvelles pertes humaines et rétablir la sécurité et l’ordre public dans les rues», a-t-il ajouté.
Complément d’information
Le bilan s’était encore alourdi, s’établissant à plus de 800 morts (des manifestants et des personnes se trouvant sur les lieux), depuis la dispersion violente des sit-ins de partisans du président Morsi le 14 août 2013. Des représentants du ministère de l’Intérieur ont indiqué à Amnesty International que 69 membres des forces de sécurité avaient eux aussi perdu la vie.
À la suite des violences qui ont secoué l'Égypte mercredi 14 août, les chercheurs d'Amnesty International situés au Caire se sont employés à identifier les violations des droits humains commises. Ils ont recueilli des éléments de preuve dans des hôpitaux et des centres de soins de la capitale égyptienne ainsi qu'à la morgue Zeinhum de la ville et dans une mosquée où sont provisoirement entreposés plusieurs dizaines de corps de victimes. Ils ont mis en évidence un très grand nombre de décès et obtenu le témoignage de membres du personnel de santé, qui ont raconté que de nombreux blessés et morts présentaient des blessures par balle dans la partie supérieure du corps.