Des véhicules blindés de transport de troupes fournis par la France ont été utilisés par les forces de sécurité égyptiennes dans le but d'écraser l’opposition. © Shutterstock
Des véhicules blindés de transport de troupes fournis par la France ont été utilisés par les forces de sécurité égyptiennes dans le but d'écraser l’opposition. © Shutterstock

Égypte Une répression sanglante armée par la France

Communiqué de presse publié le 16 octobre 2018, Londres - Genève. Contact du service de presse
Des véhicules blindés de transport de troupes fournis par la France ont été utilisés, avec des conséquences meurtrières, par les forces de sécurité égyptiennes au cours de plusieurs opérations armées visant à disperser des manifestations et à écraser l’opposition.

Le rapport intitulé Égypte: «Des armes françaises au cœur de la répression» s’appuie sur une analyse de plus de 20 heures de vidéos disponibles dans le domaine public, de plusieurs centaines de photos et de 450Go de supports visuels supplémentaires provenant de groupes locaux de défense des droits humains et des médias. Ces éléments attestent sans aucun doute possible du déploiement de véhicules Sherpa et MIDS fournis par la France lors de certaines des opérations les plus sanglantes de la répression interne.
«Il est consternant de constater que la France a poursuivi ses livraisons d’équipements militaires à destination de l’Égypte après l’une des attaques les plus meurtrières du XXIe siècle contre des manifestants», a déclaré Najia Bounaim, directrice des campagnes pour l’Afrique du Nord à Amnesty International.

«Il est consternant de constater que la France a poursuivi ses livraisons d’équipements militaires à destination de l’Égypte après l’une des attaques les plus meurtrières du XXIe siècle contre des manifestants» Najia Bounaim, directrice des campagnes pour l’Afrique du Nord à Amnesty International

«Comme ces transferts ont continué d’avoir lieu alors que les autorités égyptiennes n’ont pris aucune mesure laissant entrevoir la fin des violations systématiques dont elles se rendent coupables, la France risque de se voir accusée de complicité dans la crise des droits humains que connaît actuellement l’Égypte.»

Entre 2012 et 2016, la France a livré à l’Égypte plus d’armes qu’elle ne l’avait fait au cours des vingt dernières années. Au cours de la seule année 2017, le montant du matériel militaire et des équipements de sécurité exportés se chiffrait à plus de 1,4 milliard d’euros.

Des blindés français impliqués dans le massacre de Rabaa

Le 14 août 2013, des véhicules blindés de type Sherpa fournis par la France ont été déployés un peu partout au Caire par les forces de sécurité égyptiennes pour disperser des sit-in. Près de 1 000 personnes ont été tuées. Jamais dans l’histoire égyptienne moderne autant de manifestants n’avaient trouvé la mort en un seul jour, et on parle aujourd’hui du massacre de Rabaa et d’al-Nahda pour évoquer cette journée. Selon des personnes qui ont participé aux manifestations et qu’a rencontrées Amnesty International, des agents des forces de sécurité égyptiennes ont tiré à balles réelles sur des manifestants alors qu’ils se trouvaient à l’intérieur des blindés fournis par la France, plaçant ces véhicules au cœur du massacre.

Le transfert de véhicules blindés semble constituer une violation flagrante de la Position commune de l’UE, adoptée en 2008 qui régit le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires. Selon cette réglementation, la France et tous les autres États membres de l’UE sont tenus juridiquement de refuser une autorisation d’exportation s’il existe un risque manifeste que la technologie ou les équipements militaires servent à la répression interne. «Dans le cas des transferts à destination de l’Égypte, ce risque était on ne peut plus clair, et nous l’avons, à maintes occasions, porté à l’attention des pouvoirs publics français» a déclaré Najia Bounaim.

Les autorités françaises ont indiqué à Amnesty International n’avoir autorisé l’exportation de matériel militaire à destination de l’armée égyptienne que dans le cadre de la «lutte contre le terrorisme» dans le Sinaï, et non pour des opérations de maintien de l’ordre.

Des armes détournées de leur utilisation initiale

Un haut responsable français a toutefois concédé que, si les équipements de sécurité fournis par la France étaient initialement destinés à l’armée égyptienne, les autorités égyptiennes avaient détourné certains blindés au profit des forces de sécurité intérieure.

Les autorités françaises compétentes ont refusé de répondre aux demandes d’information d’Amnesty International et ont affirmé que les blindés MIDS ne faisaient l’objet d’aucun contrôle à l’exportation. Le constructeur des Sherpa et des MIDS a en revanche déclaré que l’exportation de tous les véhicules était soumise au régime de contrôle des exportations du ministère de la Défense.

«En tant qu’État partie au Traité sur le commerce des armes, la France ne doit pas autoriser de transferts d’armes s’il existe un risque substantiel que ces armes puissent être utilisées pour commettre ou faciliter des violations graves du droit international relatif aux droits humains », a déclaré Najia Bounaim.

«Tant que les autorités égyptiennes n’auront pas montré de façon crédible qu’elles ont enquêté sur les cas d’utilisation abusive relevés dans le passé, la France et les autres États fournisseurs doivent clairement faire savoir aux autorités égyptiennes que la répression brutale de l’opposition d’une part, et l’impunité d’autre part, ne sauraient en aucun cas être tolérées.»