Intitulé «What do I care if you die?» – Negligence and denial of health care in the Egyptian prisons (pdf, in english, 74 p), ce rapport, publié à l’occasion du 10e anniversaire du début du soulèvement de 2011 en Égypte, brosse un tableau sombre de la crise des droits humains dans les prisons égyptiennes, que le gouvernement du président Abdel Fattah al Sissi a remplies d'hommes et de femmes qui étaient à la pointe du combat pour la justice sociale et politique.
«L’administration pénitentiaire fait montre d’un mépris total pour la vie et le bien-être des personnes entassées dans les prisons surpeuplées du pays, et néglige largement leurs besoins en matière de santé.» Philip Luther, directeur de la recherche et du plaidoyer pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Amnesty International
«L’administration pénitentiaire fait montre d’un mépris total pour la vie et le bien-être des personnes entassées dans les prisons surpeuplées du pays, et néglige largement leurs besoins en matière de santé. Elle laisse aux familles des détenu le soin de leur fournir des médicaments, de la nourriture et de l'argent pour acheter des produits de base comme du savon, et inflige aux détenus des souffrances supplémentaires en les privant de soins médicaux adaptés ou de transferts en temps opportun vers les hôpitaux», a déclaré Philip Luther, directeur de la recherche et du plaidoyer pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Amnesty International.
Des conditions de détention cruelles et inhumaines
«Des éléments prouvent que l’administration pénitentiaire, en invoquant parfois des instructions de l’Agence de sécurité nationale, prend pour cibles certaines personnes détenues afin de les punir parce qu’elles sont considérées comme des opposants ou perçues comme critiques à l’égard du gouvernement», a déclaré Philip Luther.
Parmi les actes de représailles infligés figurent la détention prolongée à l’isolement sans durée définie, dans des conditions délétères, pendant plus de 22 voire 23 heures par jour, la privation de visites de la famille pendant des périodes pouvant aller jusqu'à quatre ans, et l’interdiction de recevoir de ses proches des colis contenant de la nourriture ou d’autres produits de première nécessité.
Négligence médicale et privation de soins médicaux
Les recherches d’Amnesty International ont montré que l’administration pénitentiaire s’abstient régulièrement de fournir aux détenus des soins médicaux adaptés - soit par négligence, soit délibérément.
Les responsables de la sécurité ont persisté à empêcher le prisonnier d'opinion Zyad el Elaimy, ancien parlementaire et l’une des figures de proue des manifestations du 25 janvier 2011, de bénéficier régulièrement des soins continus dont il a besoin en raison de ses problèmes de santé chroniques.
Abdelmoniem Aboulfotoh, 69 ans, ancien candidat à l’élection présidentielle et fondateur du parti d’opposition Misr Al Qawia, est détenu arbitrairement à l’isolement depuis février 2018 et souffre de diabète, d'hypertension et d'une hypertrophie de la prostate. Pourtant, l’administration pénitentiaire a refusé à maintes reprises ses demandes de transfert aux fins de traitement à l'extérieur de la prison et a fortement retardé son accès aux médecins pénitentiaires. Le ministère public a rejeté ses plaintes.
«Il est choquant que chacune des 67 personnes dont le cas est étudié dans ce rapport ait été privée de soins médicaux adaptés en prison ou d’un transfert vers un hôpital doté de moyens spécialisés au moins une fois pendant sa détention.»
«Il est choquant que chacune des 67 personnes dont le cas est étudié dans ce rapport ait été privée de soins médicaux adaptés en prison ou d’un transfert vers un hôpital doté de moyens spécialisés au moins une fois pendant sa détention, ce qui a entraîné une nette dégradation de son état de santé», a déclaré Philip Luther. «Ce grave manquement aux obligations des autorités pénitentiaires est commis au su des procureurs et parfois avec leur complicité, en l'absence de tout contrôle indépendant.»
Morts en détention
Amnesty International a enquêté sur 12 cas de décès survenus en détention ou peu après une libération. Elle a également eu connaissance de 37 autres cas concernant l’année 2020, pour lesquels l’organisation n’a pas obtenu l’accord des proches pour publier des informations détaillées, car ceux-ci craignaient de subir des représailles. Des groupes égyptiens de défense des droits humains estiment que des centaines de personnes sont mortes en détention depuis 2013.
Les conditions de détention épouvantables, notamment la détention prolongée à l’isolement, conjuguées à la privation délibérée de soins médicaux adaptés, pourraient avoir contribué ou conduit à de nombreux décès en 2019 et en 2020. Des vies ont également été perdues en raison de soins inadaptés ou prodigués trop tard dans des situations d'urgence.
Détentions arbitraires massives et surpopulation
Les autorités égyptiennes refusent de révéler le nombre de personnes incarcérées dans le pays. Selon certaines estimations, il s’élèverait à 114 000, soit plus du double de la capacité carcérale de 55 000 places évoquée par le président Abdel Fattah al Sissi en décembre 2020.
Le nombre de personnes emprisonnées a explosé après la destitution de l'ancien président Mohamed Morsi en juillet 2013, entraînant une grave surpopulation carcérale. Dans les 16 prisons étudiées, des centaines de personnes sont entassées dans des cellules surpeuplées, la surface disponible au sol par personne étant estimée à 1,1 m² en moyenne, soit beaucoup moins que les 3,4 m² minimum recommandés par des experts.
Les autorités continuent à ne pas tenir compte des appels à réduire la population carcérale dans le contexte de la propagation du COVID-19, mettant toujours plus de vies en danger. En 2020, ce sont même 4 000 personnes de moins par rapport à 2019 qui ont été libérées à la faveur de grâces présidentielles et de libérations conditionnelle.
Une réponse déficiente au COVID-19 dans les prisons
Face à la pandémie de COVID-19, l’administration pénitentiaire s’est abstenue de fournir régulièrement des produits d’hygiène, de tracer et de trier les nouveaux arrivants, et de tester et d’isoler les détenus en cas de contamination présumée. Des problèmes de longue date, tels que le manque d'eau potable, l’insuffisance de la ventilation et la surpopulation, ont rendu impossible la mise en œuvre de la distanciation physique et de mesures d’hygiène préventives.
Les détenus présentant des symptômes de COVID-19 n'ont pas fait l’objet d’un dépistage systématique. Dans certaines prisons, ces personnes ont été mises en quarantaine dans des cellules sombres et exiguës utilisées pour la détention à l'isolement, sans bénéficier d’un traitement adéquat. Dans d'autres établissements, on les a laissées dans leurs cellules, mettant ainsi leurs codétenus en danger.
Le rôle de la Suisse
Face aux violations massives des droits humains en Égypte, la communauté internationale doit réagir avec détermination. Amnesty International demande à la Suisse de soutenir la création d'une mission indépendante d'observation au sein du Conseil des droits de l'homme des Nations unies. Cette mission devrait enquêter en détail sur la situation des droits humains en Égypte et en faire rapport à la communauté internationale.