Le 5 janvier 2014, un tribunal pénal de Guizeh, dans l'agglomération du Caire, doit prononcer son verdict dans une affaire concernant 12 personnes accusées d'avoir attaqué et incendié, en mai 2012, les bureaux de campagne de l'ancien candidat à l'élection présidentielle Ahmed Shafiq. Parmi les prévenus se trouvent trois militants de premier plan qui ont dénoncé les violations commises par les forces de sécurité sous les gouvernements égyptiens successifs.
«Il ne faut pas que le verdict de dimanche soit pour les autorités égyptiennes le moyen de punir les militants qui s'opposent au gouvernement, a déclaré Saïd Boumedouha, directeur par intérim du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d'Amnesty International. Il existe des raisons de penser que le procès est motivé par des considérations politiques. Les trois militants ont nié avoir été présents sur les lieux de l'infraction et les éléments de preuve soulevés contre eux sont sujets à caution.
Un contexte de répression
«Le procès s'inscrit dans le cadre d'une répression accrue du gouvernement visant à réduire au silence les voix dissidentes, notamment les sympathisants de l'ancien président Mohamed Morsi, chassé du pouvoir, et de son mouvement des Frères musulmans, ainsi que des militants laïques.
«Dénonçant sans relâche les forces de sécurité, les trois militants sont des épines dans le pied des gouvernements égyptiens successifs, a souligné Saïd Boumedouha, et c'est la raison pour laquelle ils ont été poursuivis aussi bien par les généraux que par Mohamed Morsi.
L'accusation repose pour une bonne part sur le témoignage oculaire supposé du responsable de l'enquête policière, ce qui jette le doute sur son impartialité et sa crédibilité. Les six autres témoignages à l'appui des charges portées contre les militants proviennent notamment de personnes qui ont un casier judiciaire ou qui font actuellement l'objet de poursuites pénales, ce qui les rend plus vulnérables à d'éventuelles pressions et manipulations de la part de la police et du parquet.
Des prisonniers d’opinion
En dépit des demandes déposées par la défense, aucun document audiovisuel ni autre élément de preuve matérielle établissant un lien entre les prévenus et les faits perpétrés n'a été présenté.
«Nous voyons apparaître un phénomène préoccupant de justice sélective et une série inquiétante de procédures judiciaires entachées d'irrégularités, a poursuivi Saïd Boumedouha. Les tribunaux égyptiens acquittent des membres des forces de sécurité accusés d'homicide sur la personne de contestataires et imposent de lourdes peines d'emprisonnement à des manifestants pacifiques. Si l'on veut rétablir la confiance de la population dans l'indépendance et l'impartialité de la justice égyptienne, il faut que le tribunal juge cette affaire sur le fond et dans le respect des normes internationales relatives à l'équité des procès, sans céder aux pressions politiques.»
Alaa Abdel Fattah est détenu depuis le 28 novembre 2013 sous l'inculpation de participation à une manifestation «non autorisée» tenue deux jours plus tôt devant le Conseil consultatif. Amnesty International le considère comme un prisonnier d’opinion, détenu uniquement pour avoir exercé pacifiquement son droit à la liberté d’expression et d’association. Arrêtée et frappée durant cette manifestation, sa sœur, Mona Seif, a été pour sa part remise en liberté sans inculpation quelques heures plus tard. Les autres prévenus sont en liberté dans l'attente du jugement.
Informations complémentaires sur les prévenus présents au tribunal
Le militant politique Alaa Abdel Fattah est un blogueur bien connu qui a subi des persécutions de la part des gouvernements égyptiens successifs.
Lorsque le Conseil suprême des forces armées (CSFA) était au pouvoir, il a été arrêté (le 13 novembre 2011) sous l'accusation de participation à des violences dans des manifestations devant le bâtiment de la télévision du quartier de Maspero, au Caire.
Sous la présidence de Mohamed Morsi, Alaa Abd El Fattah a été convoqué pour interrogatoire par le parquet dans le cadre d'une enquête sur des manifestations tenues devant le siège des Frères musulmans au Caire le 22 mars.
En ce qui concerne l'affaire de l'incendie du quartier général de campagne d'Ahmed Shafiq, il a déclaré au tribunal qu'il n'avait pas participé à la manifestation devant ces locaux et qu'il avait appris la nouvelle de l'attaque a posteriori.
Mona Seif a fondé avec d'autres en Égypte le mouvement No To Military Trials (Non aux procès militaires). Elle a été nominée en 2013 pour le prix Martin Ennals pour les défenseurs des droits de l'homme. Elle a été arrêtée et battue par des membres des forces armées en décembre 2011 lors d'un sit-in devant le siège du gouvernement.
Le 26 novembre 2013, elle a été interpellée en compagnie de dizaines d'autres personnes pendant un rassemblement organisé devant le Conseil consultatif pour réclamer l'exclusion de la Constitution des dispositions permettant aux tribunaux militaires de juger des civils. Les forces de sécurité l'ont placée en détention avec d'autres manifestantes arrêtées, puis l'ont relâchée sur une route déserte à 1 heure du matin le 27 novembre. Elle n'a pas été inculpée.
Concernant l'affaire de l'incendie du quartier général de campagne d'Ahmed Shafiq, elle a expliqué qu'elle se trouvait dans un autre quartier du Caire au moment de l'attaque.
Ahmed Abdallah est un membre de premier plan du Mouvement des jeunes du 6 avril. Ce groupe a joué un rôle majeur dans la « révolution du 25 janvier », qui a entraîné l'éviction d'Hosni Moubarak. Ahmed Abdallah a dans un premier temps soutenu la candidature de Mohamed Morsi contre celle d’Ahmed Shafiq lors du second tour de l'élection présidentielle égyptienne de 2012. Mais lui et son mouvement se sont montrés ensuite de plus en plus critiques vis-à-vis des politiques du président élu. Ahmed Abdallah n'a cessé de dénoncer activement les violations des droits humains qui se poursuivent. À la suite de l'éviction de Mohamed Morsi, il a co-fondé la Commission égyptienne pour les droits et les libertés, une organisation qui collecte des informations sur les violations des droits humains et dénonce ces abus.
Il a déclaré à Amnesty International et au tribunal qu'il n'était pas présent devant le siège de campagne d'Ahmed Shafiq au moment de l'attaque.