Les frappes aériennes du 1er août 2015 faisaient partie d'une campagne militaire lancée par la Turquie contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), mais selon les informations recueillies par Amnesty International, les villageois visés n’étaient pas affiliés au PKK. L'organisation appelle le gouvernement turc à lancer une enquête indépendante, impartiale et efficace sur les frappes aériennes et à publier les résultats de cette enquête.
Civils tués, mutilés et déplacés
«Les récentes attaques de Kandil ont mutilé, tué et déplacé de force des habitants, en détruisant des maisons et semant la terreur dans une zone où aucune cible militaire ne semblait exister», a déclaré Lama Fakih, conseillère pour les situations de crise chez Amnesty International, après avoir visité la zone.
«Ces morts suscitent des interrogations quant à la légalité de l'attaque, et soulignent la nécessité d'une enquête indépendante et impartiale sur les frappes aériennes, afin que les responsables rendent des comptes et que les victimes et leurs familles obtiennent réparation.»
Violation du droit international
Que les affrontements entre le PKK et le gouvernement turc constituent ou non un conflit armé non international, les homicides de villageois sans relation avec le PKK sont illégaux, tant au regard des lois de la guerre que du droit international relatif aux droits humains.
Les autorités turques avaient initialement déclaré que les frappes visaient des membres du PKK basés dans un «camp terroriste». Depuis, elles ont annoncé leur intention de mener une enquête conjointe sur les frappes avec le Gouvernement régional du Kurdistan irakien (GRK).
Aucune des victimes ne combattait avec le PKK
Les éléments recueillis lors d'une visite d’Amnesty International au village de Zergele trois jours après les frappes aériennes laissent penser que les personnes tuées et blessées dans l'attaque n’étaient pas en lien avec le PKK. Amnesty a parlé à plusieurs témoins oculaires, dont deux médecins qui ont secouru les blessés et trois villageois qui ont dit qu'aucun des morts ou blessés ne combattait pour le PKK, et qu'il n'y avait pas de combattants du PKK dans la zone. Un maire et deux travailleurs de la municipalité figuraient au nombre des victimes.
Tous les témoins présents au moment de l'attaque ou arrivés peu après ont déclaré que les victimes portaient des vêtements civils et qu'ils n’avaient pas vu d'armes sur les lieux. Amnesty International a examiné 10 photos et une vidéo concordant avec les déclarations des témoins.
Combattants peshmergas
Des témoins ont également dit que des proches et les premières personnes venues pour aider les victimes du premier raid aérien avaient été tués et blessés au cours d’attaques ultérieures.
Des habitants ont dit que certains des morts et des blessés étaient des combattants peshmergas du GRK. Ces combattants ne sont pas impliqués dans les affrontements entre le PKK et le gouvernement turc, mais se battent contre le groupe autoproclamé État islamique (EI) dans d'autres parties du pays. Dans le contexte d'un conflit Turquie-PKK, ils seraient considérés comme des civils au regard du droit international humanitaire.
Aucune base du PKK à Zergele
Amnesty International a également constaté l’absence de point de contrôle, de poste de police ou d’installations militaires fixes dans le village de Zergele, ce qui confirme les témoignages des villageois qui ont dit qu’aucun combattant du PKK n’était basé dans ces lieux. Les points de contrôle fixes les plus proches se trouvaient respectivement à environ 25 km et 3-5 km par voie terrestre, de chaque côté du village.
Un porte-parole autorisé à parler aux médias au nom du PKK a déclaré à Amnesty International que, afin d'assurer la protection des civils, les combattants du PKK ne se mélangeaient pas à la population et que, en pratique générale, ils maintenaient des positions éloignées d'au moins 5 km des civils.
Le 4 août 2015, Amnesty International a constaté la présence de quelques combattants du PKK dans le village. Les résidents et le porte-parole du PKK ont dit qu'ils étaient venus dans la zone après la frappe afin de maintenir la sécurité.
Frappes aériennes illégales
«L'absence apparente d'une cible militaire dans le voisinage des frappes aériennes laisse penser que ces dernières sont illégales, qu’il y ait ou non un conflit armé entre les autorités turques et le PKK. Le gouvernement turc a fait preuve d'un mépris flagrant pour la vie des villageois et n’a pas pris les précautions nécessaires pour minimiser les dommages qu’ils pouvaient subir, ni pour les distinguer des combattants du PKK», a déclaré Lama Fakih.
«Ces attaques doivent faire l’objet d’une enquête et les autorités turques doivent garantir que les responsabilités seront déterminées, et que des réparations seront attribuées si des actes répréhensibles ont été commis.»
Huit morts et au moins huit blessés
Les personnes interrogées ont déclaré à Amnesty International que les frappes aériennes sur Zergele avaient eu lieu entre 3 et 5 heures du matin le 1er août 2015, tuant huit personnes et en blessant au moins huit autres. Les témoins divergent sur le nombre exact de frappes mais ils disent avoir entendu jusqu’à 11 explosions distinctes dans la zone, le matin en question.
Complément d’information
Les membres du PKK, groupe armé actif en Turquie, ont longtemps eu des bases dans les montagnes de Kandil, une chaîne de la région du Kurdistan irakien, frontalière de l'Iran et se prolongeant dans le sud de la Turquie. Selon Mohamed Hassan, le co-président de la municipalité des montagnes de Kandil, 61 villages de cette chaîne montagneuse sous contrôle du PKK sont habités par des civils qui vivent dans des zones distinctes des combattants du PKK. Il a déclaré à Amnesty International que la population globale, selon un recensement de 2013, était d'environ 8 000 habitants.
Les frappes aériennes du gouvernement turc contre le PKK dans les montagnes de Kandil ont commencé le 24 juillet 2015, après une attaque en Turquie imputée au PKK. Les attaques contre le PKK dans les montagnes de Kandil et les attaques par le PKK contre l'armée turque et la police en Turquie représentent la fracture la plus grave d’un fragile processus de paix entamé en mars 2013 entre le PKK et le gouvernement turc.
Ces frappes aériennes sont survenues après une longue escalade des tensions faisant suite à un attentat-suicide commis le 20 juillet 2015 et imputé à l’EI, qui a tué 32 personnes et blessé plus de 80 autres dans la ville de Suruç, dans la province de Sanlıurfa, en Turquie. Deux jours plus tard, dans la même province, deux policiers ont été tués lors d’une autre attaque attribuée au PKK. Après les frappes aériennes dans les montagnes de Kandil, le PKK a lancé un certain nombre d'attaques contre l'armée et la police en Turquie.