- Quelles menaces avez-vous reçues?
- Quand j’étais en Iran, comme beaucoup d’autres avocats qui sont actifs dans ce pays, je ne pensais jamais aux menaces. Il y en avait mais je n’en tenais pas compte. J’étais souvent contrôlé par le Ministère des services de renseignement, qui m’a convoqué plusieurs fois et soumis à des interrogatoires. J’ai même passé une semaine en prison. J’avais l’interdiction de quitter l’Iran. Mais je n’ai jamais senti qu’il fallait que je ralentisse mes activités.
- C’est donc au moment où votre femme a été arrêtée que vous avez décidé de partir?
- Oui. J’avais été convoqué pour un interrogatoire, puis je suis retourné à mon bureau. Je n’avais pas pris mon téléphone portable car je pensais que j’allais être emprisonné aussitôt après l’interrogatoire. A mon bureau, mon beau-père m’a prévenu que ma femme avait entre-temps été arrêtée. Après six jours, j’ai compris que ma femme ne serait pas libérée et j’ai décidé de quitter l’Iran. Je suis arrivé en Turquie où j’ai été détenu durant une semaine, comme la plupart des Iraniens qui passent la frontière. Dès que j’ai été libéré, je suis parti en Norvège. Ma femme a été libérée et a pu me rejoindre là-bas, avec ma fille.
- Pouvez-vous continuer à vous engager en faveur des droits humains depuis la Norvège?
- Comme j’ai quitté l’Iran, j’ai davantage de responsabilités, car la situation des droits humains est tellement critique dans mon pays que je dois continuer à faire tout ce que je peux pour l’améliorer. En Iran, je pouvais travailler directement sur des dossiers juridiques et mes actions avaient un impact direct sur mes clients. Depuis l’étranger, je ne peux malheureusement plus m’engager pour des clients, mais je mène une action plus large, je dénonce ce qui se passe là-bas.
- Est-ce grâce à la pression internationale que Sakineh n’a pas été exécutée?
- Oui. Le travail des médias a eu un immense impact et déclenché une pression et une solidarité internationales incroyables. Cela n’a été possible qu’avec l’aide des mouvements sociaux en Iran.
- Mais cette mobilisation ne risque-t-elle pas d’être contre-productive?
- Il y a toujours des victimes dans l’histoire de l’humanité. Il existe beaucoup d’autres personnes qui sont dans la même situation que Sakineh, mais on ne les connaît pas toutes. Du coup, c’est difficile de mesurer exactement l’impact positif ou négatif de la mobilisation.
- Qu’est-ce qui explique que l’Iran lapide encore des personnes aujourd’hui?
- Il n’y a que deux pays qui ont encore la lapidation dans leur loi, l’Iran et le Nigeria, même si le Nigeria ne l’a plus appliquée depuis longtemps. En Iran, le gouvernement islamique veut remplacer toutes les lois par des lois basées sur la charia. Comme il y a beaucoup d’intégristes au pouvoir, c’est impossible de faire abroger ce genre de lois, car ils disent que la loi du Coran ne peut pas être changée.
- Mais la révision du Code pénal ne représente-t-elle pas un espoir?
- Si, c’est effectivement un espoir: s’il n’existe plus de base légale, la lapidation ne pourra plus être appliquée. Ce serait aussi le cas avec les exécutions de mineurs, si la révision est acceptée. C’est pour cette raison que je pense que toutes les actions en faveur des droits humains, au niveau international mais aussi en Iran, ont eu un impact sur la situation dans mon pays.
- Vous mentionnez la mobilisation en Iran. Est-ce que la population iranienne est opposée à la lapidation?
- En Iran, le peuple déteste ce genre d’actes qui datent du Moyen-âge. Il y a peut-être moins d’opposition contre la pendaison et la peine de mort en général. Mais de toute façon, si on veut réussir à abolir la peine de mort dans tous les pays, il faut qu’un gouvernement ait ce projet et qu’il convainque la population que la peine de mort n’est pas la solution pour faire diminuer la criminalité.