© Amnesty International
© Amnesty International

Iran L’État ignore la crise liée au COVID-19 dans les prisons

Des documents officiels qu’Amnesty International s’est procurés révèlent que le gouvernement iranien a ignoré les demandes réitérées de ressources supplémentaires formulées par de hauts responsables de la gestion des prisons en Iran en vue de contrôler la propagation du COVID-19 et traiter les détenus atteints.

L’organisation a examiné des exemplaires de quatre lettres signées de la main de responsables de l’Organisation des prisons d’Iran, qui relève du pouvoir judiciaire, adressées au ministère de la Santé et tirant la sonnette d’alarme quant aux graves pénuries d’équipement de protection, de produits désinfectants et d’appareils médicaux essentiels. Le ministère de la Santé n’y a pas répondu et les prisons iraniennes ne sont toujours pas équipées pour faire face aux épidémies.

Les détails des lettres envoyées contrastent drastiquement avec les déclarations publiques d’Asghar Jahangir, ancien directeur de l’Organisation des prisons d’Iran et actuel conseiller du responsable du pouvoir judiciaire, qui avait encensé les initiatives exemplaires de l’Iran en vue de protéger les détenu·e·s de la pandémie et avait nié les informations faisant état d’une augmentation du taux d’infection et des morts liées au COVID-19 résultant de la surpopulation, de l’insalubrité et du manque d’accès aux soins de santé dans les prisons.

«Ces lettres officielles fournissent des éléments de preuve accablants de l’inaction consternante du gouvernement en ce qui concerne la protection des détenu·e·s. Des demandes de produits désinfectants, d’équipements de protection et d’appareils médicaux, nécessaires de toute urgence, ont été ignorées pendant des mois. Ceci est particulièrement inquiétant car les lettres signalent également la présence de personnes particulièrement vulnérables dans les prisons iraniennes, a déclaré Diana Eltahawy, directrice adjointe pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnesty International.»

«La surpopulation, la mauvaise ventilation, le manque d’installations sanitaires et d’équipement médical de base et la négligence délibérée des problèmes de santé des détenu·e·s font des prisons iraniennes un terreau fertile pour le COVID-19. Les autorités iraniennes doivent cesser de nier l’existence de la crise sanitaire dans les prisons d’Iran et prendre de toute urgence les mesures qui s’imposent pour protéger la santé et la vie des détenu·e·s.»

Le responsable du service de santé de l’Organisation des prisons a envoyé une première lettre au ministère de la Santé iranien le 29 février 2020. Quatre autres lettres ont ensuite été envoyées: le 25 mars, le 12 mai, le 14 juin et le 5 juillet 2020. Toutes ont été examinées par Amnesty International.

La lettre datée du 25 mars 2020 demande des produits désinfectants et des équipements de protection pour trois mois, notamment «5 400 000 masques, 10 000 masques N95, 3 600 000 gants en latex, 10 000 000 de gants en plastique, 450 000 litres de gel aseptisant pour les mains, 1 000 000 de litres de désinfectant pour les surfaces, 5 000 écrans faciaux, 5 000 paires de lunettes de protection, 5 000 blouses de protection, 300 systèmes de ventilation et 250 machines de désinfection». La lettre souligne également le besoin urgent de fonds pour acheter des centaines d’appareils médicaux essentiels, comme des tensiomètres, des glycomètres, des thermomètres, des oxymètres de pouls, des stéthoscopes et des défibrillateurs.

Bien que la lettre ne spécifie pas pour combien de prisons ces articles et appareils sont destinés, ces chiffres soulèvent des préoccupations quant aux graves pénuries dans les prisons du pays.

La lettre prévient que l’inaction des autorités entraînerait des «risques en matière de sécurité» et des «dommages irréparables», particulièrement car les prisons iraniennes sont «surpeuplées de personnes souffrant de problèmes de santé préexistants, consommant des stupéfiants et/ou souffrant de malnutrition, d’anémie et de maladies infectieuses comme le VIH, l’hépatite et la tuberculose». Elle indique également que les prisons d’Iran accueillent «des [personnes] âgées, des femmes enceintes, des mères allaitantes et leurs nouveau-nés dont le système immunitaire est faible en raison de leur situation socioéconomique et des conditions d’hygiène.»

Les lettres suivantes répètent ces demandes et notent l’absence de réponse de la part du gouvernement. Dans la dernière lettre qu’Amnesty International s’est procurée, datée du 5 juillet 2020, un haut responsable de l’Organisation des prisons déclare n’avoir obtenu aucune réponse du ministère de la Santé et demande une rencontre de toute urgence.

Déni de l’État

Le 6 avril 2020, Asghar Jahangir a déclaré dans un entretien avec les médias que l’Iran devait être reconnu internationalement pour ses efforts en vue de protéger les détenu·e·s pendant l’épidémie de COVID-19, et que les détenu·e·s bénéficiaient de «meilleurs soins de santé et conditions sanitaires que ceux dont ils bénéficieraient dans la société». Il a également affirmé que des équipes médicales avaient été envoyées dans les prisons du pays pour surveiller quotidiennement la santé des détenu·e·s et que les détenu·e·s qui avaient des symptômes étaient immédiatement soumis à des tests et transférés vers des hôpitaux en dehors de la prison en cas de résultat positif. Il a déclaré qu’en conséquence, il n’y avait pas eu une seule mort liée au COVID-19 dans les prisons.

Cependant, les documents qu’Amnesty International s’est procurés, ainsi que les informations fournies par des détenu·e·s, leurs proches et des défenseur·e·s des droits humains indépendants, dépeignent une réalité bien plus sombre.

Amnesty International a reçu des informations inquiétantes selon lesquelles des détenu·e·s ayant des symptômes de COVID-19 étaient négligés pendant des jours, même lorsqu’ils souffraient de problèmes cardiaques et pulmonaires préexistants, de diabète ou d’asthme. Lorsque leur état s’aggrave, nombre d’entre eux sont simplement placés en quarantaine dans une aile dédiée de la prison ou bien en détention à l’isolement, sans accès à des soins de santé.

Au moins une prisonnière qui a été testée positive, Zeynab Jalalian, est soumise une disparition forcée depuis le 25 juin 2020. Elle menait alors une grève de la faim depuis six jours, en raison du refus des autorités de la transférer vers un centre médical en dehors de la prison de Shahr-e Rey (connue sous le nom de Gharchak), dans la province de Téhéran, afin qu’elle puisse recevoir un traitement pour le COVID-19.

Parfois, comme l’a illustré récemment le cas de la défenseure des droits humains et prisonnière d’opinion malade Narges Mohammadi, les autorités ont refusé d’informer les détenu·e·s des résultats de leurs tests de dépistage du COVID-19.

Des groupes indépendants de défense des droits humains en contact avec des personnes à l’intérieur des prisons ont signalé plus de 20 cas de morts soupçonnées d’être liées au COVID-19 dans les prisons, notamment dans la prison de Ghezel Hesar (2 cas), dans la province d’Alborz, le pénitentiaire central du Grand Téhéran (6) et la prison de Shahr-e Rey (2) dans la province de Téhéran, la prison d’Urumieh (8) dans la province de l’Azerbaïdjan occidental, les prisons de Kamyaran (1) et de Saqqez (1) dans la province du Kurdistan, et la prison de Sepidar (1) dans la province du Khouzistan.

D’après des informations des médias, une demande formulée par des représentants de l’OMS de se rendre dans la prison d’Evin, à Téhéran, a été rejetée en mars 2020.

Conditions cruelles et inhumaines

Les autorités iraniennes ont annoncé qu’entre fin février et fin mai 2020, elles avaient libéré provisoirement environ 128 000 détenu·e·s et en avaient gracié 10 000 en réponse à la pandémie. Le 15 juillet 2020, alors que le nombre de cas de COVID-19 augmentait de nouveau, le porte-parole de l’appareil judiciaire a annoncé que le responsable du pouvoir judiciaire avait publié de nouvelles lignes directrices en vue d’une seconde vague de libérations.

Cependant, des centaines de prisonniers et prisonnières d’opinion ont été exclus de ces mesures nécessaires, notamment des défenseur·e·s des droits humains, des ressortissant·e·s étrangers ou binationaux, des défenseur·e·s de l’environnement, des personnes détenues en raison de leurs croyances religieuses et des personnes détenues arbitrairement en raison des manifestations de novembre 2019. Les autorités ont également continué d’appréhender des manifestant·e·s, des dissident·e·s, des militant·e·s des droits des minorités et des défenseur·e·s des droits humains injustement condamnés, afin que ces personnes commencent à purger leur peine de prison. Certains prisonniers et prisonnières d’opinion qui avaient bénéficié d’une libération provisoire en mars 2020 ont également été rappelés en prison.

D’après de récentes déclarations officielles, au 13 juin 2020, la population carcérale en Iran s’élevait à environ 211 000 personnes, soit un nombre deux fois et demie plus élevé que la capacité d’accueil déclarée de 85 000 personnes. En juillet 2019, la population carcérale en Iran était de 240 000 personnes, d’après les autorités.

Parmi les autres préoccupations largement attestées concernant les prisons iraniennes figurent l’absence de système d’aération ou de climatisation adéquat, la saleté des installations sanitaires, qui sont en outre insuffisantes, le manque d’installations et de produits permettant aux détenu·e·s de laver leur vaisselle et leurs vêtements et d’assurer leur hygiène personnelle, la faible pression de l’eau dans les douches, les infestations d’insectes généralisées, la quantité insuffisante d’eau potable et la mauvaise qualité de la nourriture, et la grave pénurie de lits obligeant de nombreux détenu·e·s à dormir par terre.

Depuis de début de l’épidémie de COVID-19, dans certaines prisons, des détenu·e·s se sont en outre plaints de l’utilisation inadaptée de la javel par les autorités pour désinfecter les surfaces, ce qui a aggravé la mauvaise qualité de l’air et entraîné de graves toux, des oppressions thoraciques et des crises d’asthme.

Amnesty International a déjà par le passé recensé des cas de refus délibéré des autorités iraniennes d’accorder des soins de santé à des prisonniers et prisonnières d’opinion et d’autres personnes détenues pour des raisons motivées par des considérations politiques, mettant ainsi gravement en danger leur vie et leur santé. Dans certains cas, la privation de soins médicaux était destinée à sanctionner, intimider ou humilier les détenu·e·s ou à obtenir des «aveux» forcés.

«Une fois de plus, nous appelons les autorités iraniennes à prendre de toute urgence des mesures pour remédier à la surpopulation carcérale, notamment en libérant immédiatement et sans condition toutes les personnes détenues en raison de l’exercice pacifique de leurs droits», a déclaré Diana Eltahawy.

«Elles doivent également envisager de libérer d’autres détenu·e·s, en particulier les personnes en détention provisoire et celles qui courent le plus de risques face au COVID-19. Les détenu·e·s doivent bénéficier d’un accès égal à la prévention, aux tests et aux traitements du COVID-19.»

Amnesty International appelle également les autorités iraniennes à veiller à ce que tous les détenu·e·s bénéficient d’un accès adéquat à de la nourriture, de l’eau, des soins médicaux, des produits d’hygiène et des lits. Elles doivent cesser d’avoir recours à la torture et d’autres mauvais traitements, traiter les détenu·e·s avec dignité et humanité et permettre à des observateurs internationaux, notamment le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran, de mener des inspections indépendantes et inopinées des prisons, conformément aux normes internationales.

Complément d’information

Depuis mars 2020, les conditions lamentables de détention dans les prisons iraniennes et les inquiétudes quant à la propagation du COVID-19 ont entraîné des grèves de la faim, des mouvements de contestation, des émeutes et des tentatives d’évasion dans les prisons du pays. Les autorités ont généralement répondu aux mouvements de contestation dans les prisons par la violence, ayant recours à une force injustifiée et, dans certains cas, en tirant du gaz lacrymogène, des balles de plomb et des balles réelles, causant ainsi des blessures et des morts.