La plus haute instance militaire iranienne a donné pour instruction aux commandants des forces armées de toutes les provinces de «confronter sévèrement» les manifestant·e·s descendus dans la rue à la suite de la mort en détention de Mahsa Amini aux mains de la police des mœurs. Amnesty International a obtenu des documents officiels qui ont fuité et révèlent la volonté des autorités d’écraser systématiquement les manifestations à tout prix. À ce jour, le bilan de la répression s’élève à au moins 52 morts et des centaines de blessés identifiés.
«Les autorités iraniennes ont sciemment décidé de blesser ou tuer des personnes descendues dans la rue.»
Agnès Callamard, secrétaire générale d'Amnesty International
Dans une analyse détaillée publiée le 30 septembre (en anglais), Amnesty International divulgue des éléments attestant des manœuvres des autorités iraniennes pour écraser brutalement les manifestations en déployant les pasdaran (gardiens de la révolution), la force paramilitaire des bassidjis, la Force de l'ordre de la République islamique d'Iran, la police antiémeutes et des membres des forces de sécurité en civil. Elle dévoile également des preuves de l'usage généralisé de la force meurtrière et des armes à feu par les forces de sécurité iraniennes qui avaient l'intention de tuer les manifestant·e·s ou auraient dû savoir avec un degré raisonnable de certitude que l’usage de ces armes entraînerait des morts.
«Les autorités iraniennes ont sciemment décidé de blesser ou tuer des personnes descendues dans la rue pour exprimer leur colère née de décennies de répression et d'injustice. Alors qu’une impunité systémique prévaut depuis longtemps en Iran, la dernière effusion de sang a coûté la vie à des dizaines d'hommes, de femmes et d'enfants tués illégalement», a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d'Amnesty International.
«Si la communauté internationale ne mène pas une action collective déterminée, qui doit aller au-delà de simples communiqués de condamnation, nombreux sont ceux qui risquent d'être tués, mutilés, torturés, agressés sexuellement ou jetés derrière les barreaux uniquement pour avoir participé à des manifestations. Les documents obtenus par Amnesty International mettent en évidence la nécessité de créer un mécanisme international indépendant d'enquête et d'obligation de rendre des comptes.»
D’après les témoignages directs et les preuves audiovisuelles qu’a examinées Amnesty International, aucune des 52 victimes identifiées ne représentait une menace imminente de mort ou de blessure grave pouvant justifier l’utilisation d’armes à feu à son encontre.
Une semaine d'homicides illégaux passée sous silence
D’après un document officiel qui a fuité et qu’Amnesty International s’est procuré, le 21 septembre, le quartier général des forces armées a adressé aux commandants de toutes les provinces un ordre leur enjoignant de «confronter sévèrement les fauteurs de troubles et les antirévolutionnaires». Plus tard dans la soirée, le recours à la force meurtrière s'est intensifié dans tout le pays et des dizaines d'hommes, de femmes et d'enfants ont été tués au cours de cette seule nuit.
Un autre document ayant fuité montre que, le 23 septembre, le commandant des forces armées de la province du Mazandéran a ordonné aux forces de sécurité de toutes les villes et localités de la province de «faire barrage sans pitié, jusqu'à causer des morts, à tous les troubles causés par les émeutiers et les antirévolutionnaires».
D’après les témoignages directs et les preuves audiovisuelles qu’a examinées Amnesty International, aucune des 52 victimes identifiées ne représentait une menace imminente.
À ce jour, Amnesty International a recensé les noms de 52 personnes, dont cinq femmes et au moins cinq enfants, tuées par les forces de sécurité iraniennes entre le 19 et le 25 septembre. Les deux-tiers des décès (au moins 34) ont été enregistrés le 21 septembre. Estimant que le nombre réel de victimes est bien plus élevé, Amnesty International poursuit ses efforts afin de les identifier.
Elle a examiné des photos et des vidéos montrant que la plupart des victimes sont mortes sous les tirs à balles réelles des forces de sécurité. Au moins trois hommes et deux femmes ont été tués par des tirs de plombs métalliques à bout portant, tandis qu'une adolescente de 16 ans, Sarina Esmailzadeh, est décédée après avoir été rouée de coups de matraques au niveau de la tête.
Dans le but de se décharger de toute responsabilité, les autorités iraniennes ont diffusé de faux récits au sujet des victimes, s’efforçant de les dépeindre comme des «individus dangereux» et «violents» ou affirmant qu'elles avaient été tuées par des «émeutiers». Elles ont également intimidé et harcelé les familles des victimes pour qu'elles se taisent ou leur ont promis une indemnité financière si elles enregistraient des vidéos attribuant la responsabilité de la mort de leurs proches à des «émeutiers» œuvrant pour des «ennemis» de la République islamique d'Iran.
Des manifestant·e·s victimes d’actes de torture et de mauvais traitements
Amnesty International a constaté une pratique généralisée de cas de torture et de mauvais traitements imputables aux forces de sécurité, notamment des passages à tabac de manifestant·e·s et de passant·e·s. Elle a également recueilli des informations sur des agressions sexuelles et d'autres formes de violence sexuelle et fondée sur le genre, notamment des cas où des femmes se sont faits agripper les seins ou tirer violemment les cheveux après avoir enlevé leur foulard en signe de contestation.
Le 28 septembre, une personne manifestant à Ispahan a déclaré : «J'ai vu des manifestant·e·s se faire frapper. La nuit précédente, mes amis ont raconté qu'ils avaient vu une femme [manifestante] se faire traîner par les cheveux au sol. Ses vêtements se détachaient de son corps et les forces de sécurité continuaient de la tirer par les cheveux.»
«Il y a deux nuits, plusieurs de mes amies ont été frappées à coups de matraque. L'une d'entre elles, qui a des bleus sur l'avant-bras et les jambes, m'a dit que les forces de sécurité les ont coincées dans une allée et les ont frappées à coups de matraque. Un agent a dit : "Tirons-leur aussi une balle dans la jambe" et un autre a répondu : "Non, allons-y". Ils sont d’une telle brutalité.»
Amnesty International a visionné des images et des rapports suggérant que certains manifestant·e·s se sont livrés à des actes de violence. Cependant, elle tient à souligner que les actes violents commis par une minorité ne sauraient justifier le recours à la force meurtrière.
Selon le droit international relatif aux droits humains et les normes en la matière, même si certains manifestant·e·s se livrent à des actes de violence, les responsables de l'application des lois doivent veiller à ce que ceux qui restent pacifiques puissent continuer de manifester sans subir d'ingérence indue ni d'intimidation de la part des forces de l’ordre. Toute force utilisée en réponse à une telle violence doit à tout moment respecter les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité, conformément au droit international. Les forces de sécurité ne doivent pas utiliser d'armes à feu, sauf pour se défendre ou défendre autrui contre une menace imminente de mort ou de blessure grave, et uniquement lorsque des moyens moins extrêmes et moins dangereux sont insuffisants pour protéger la vie.