Rien ne prédestinait Roni Hammermann, une mère de famille et bibliothécaire de Jérusalem, à s’engager pour les droits des Palestinien·ne·s. Jusqu’au jour où, un peu par hasard, elle se rend à l’un des check-points qui marquent la frontière entre Israël et les territoires occupés. Là, elle est choquée par les humiliations subies par les Palesitinen·ne·s. «Les hommes, les femmes, les enfants n’étaient pas traité·e·s comme des civil·e·s, mais comme des criminel·le·s. Tout était prétexte à leur faire sentir l’emprise que les soldats israéliens avaient sur eux.»
Tous les jours, des centaines de civil·e·s doivent passer ces barrages ultra-sophistiqués pour se rendre à leur travail, à l’école, ou chez le médecin. «Les civil·e·s palestinien·ne·s sont les otages des soldats aux check-points. Les violences verbales, les intimidations et les menaces sont monnaie courante. Sous prétexte de contrôles de sécurité, les soldats déchirent les sacs, jettent par terre leur contenu, n’ont aucun respect pour les affaires des Palestinien·ne·s qui passent. Ils sont parfois contraints d’attendre des heures sous un soleil de plomb avant de pouvoir enfin passer le check-point. Les soldats abusent de leur pouvoir tout simplement parce qu’ils sont en position de force: ils sont persuadés qu’ils n’auront jamais à répondre de ces actes.» Des contrôles excessifs qui ne sauraient être justifiés par l’argument sécuritaire avancé par certains politiciens: «Les check-points n’ont rien à voir avec la sécurité d’Israël, assène Roni Hammermann, c’est un instrument d’asservissement et de contrôle de la population palestinienne.»
Observer et dénoncer: le pouvoir de l’action civile
De ce constat est né le mouvement Machsom Watch, dont l’action est de rapporter –et, par là, de dénoncer – les abus quotidiens aux check-points. «Nous nous rendons sur place, nous discutons avec lesPalestinien·ne·s. Observer et témoigner, c’est un droit dont nous jouissons, en tant que citoyens israéliens, contrairement aux Palestinien·ne·s. Il est de notre devoir d’en profiter, et de montrer au gouvernement que nous nous opposons à sa politique discriminatoire.»
Est-ce que les membres de Machsom Watch ont un impact visible aux check-points ? Roni Hammermann soupire : «Cela dépend de ce que l’on entend par ‘impact visible’: nous n’avons pas le pouvoir d’améliorer durablement la situation aux check-points, cela est certain. Mais les Palestinien·ne·s nous disent que les soldats se permettent moins d’abus lorsque nous sommes là. Comme quoi une simple présence civile, aussi malvenue soit-elle, constitue déjà un rempart contre l’impunité. C’est pourquoi nous voulons continuer notre observation, même si beaucoup nous disent que nous ne servons à rien.»
Les souffrances des Palestinien·ne·s, d’après Roni Hammermann «ne sont plus un secret». Pourquoi, dans ce cas, cantonner l’action de Machsom Watch aux check-points, et non dénoncer la discrimination contre la population palestinienne en général ? «Pour moi, les check-points incarnent l’abus de pouvoir, car ils privent de la liberté fondamentale de circuler librement. De ce droit découlent tant d’autres : l’accès à l’éducation et aux soins, le droit à une vie de famille. Les bons médecins ou les meilleures écoles, sont du côté israélien de Jérusalem. Le champs du possible des civil·e·s palestinien·ne·s se réduit comme peau de chagrin.»
Une radicalisation politique inquiétante
Roni Hammermann observe depuis une dizaine d’année un recul effrayant de la tolérance et de l’engagement au sein de la population israélienne. Elle déplore le patriotisme « aveugle » de la population, surtout lorsque des violences éclatent. Et les choses ne sont pas près d’évoluer : Roni Hammermann ne doute pas que le parti conservateur de Netanyahou gagnera les prochaines élections «Depuis les années 1960, le discours n’a cessé de se radicaliser, certains politiciens tiennent des discours digne de fascistes!» Un contexte qui ne suffit pas à décourager les militantes israéliennes : «Parfois, on a envie de baisser les bras et de tout arrêter. Puis on se souvient que l’inertie serait pire que tout : ne plus chercher de solutions, c’est à son tour devenir une partie du problème.»