De nombreuses autres ONG ont utilisé le terme d’apartheid pour désigner le traitement infligé par Israël aux Palestiniens et Palestiniennes. En quoi le rapport d’Amnesty est-il différent ?
Amnesty a conclu que les autorités israéliennes imposent un système d’apartheid contre tous les Palestinien·ne·s vivant sous son contrôle effectif – qu’ils vivent en Israël, dans les territoires palestiniens occupés (TPO), ou dans d’autres pays en tant que réfugié·e·s. Notre rapport fournit de nouveaux éléments attestant la nature institutionnelle de l’oppression des Palestiniens et Palestiniennes par Israël, et la manière dont les lois et politiques israéliennes sont conçues spécifiquement dans le but de priver les Palestinien·ne·s de leurs droits.
Il existe un nombre croissant de travaux consacrés à la question de l’apartheid par des organisations palestiniennes, israéliennes et internationales de défense des droits humains, ainsi que par des avocat·e·s, des auteur·e·s et des universitaires. Cela inclut les recherches effectuées récemment par les organisations israéliennes de défense des droits humains Yesh Din et B’Tselem, ainsi que par Human Rights Watch, qui ont contribué à un large éventail d’analyses dans le cadre légal définissant l’apartheid. Human Rights Watch est arrivé à la conclusion que le gouvernement israélien a fait la preuve de son intention de maintenir la domination des juifs et juives israéliens sur les Palestinien·ne·s à travers Israël et les TPO. Yesh Din est parvenu à cette conclusion en Cisjordanie, spécifiquement. B’Tselem a conclu que Israël perpétue un système d’apartheid à l’encontre des Palestinien·ne·s dans les TPO ainsi que celles et ceux qui vivent au sein de ses propres frontières.
Pourquoi Amnesty publie-t-elle ce rapport maintenant ?
Amnesty International a adopté une ligne de conduite mondiale en 2017 sur l’apartheid, qui constitue une atteinte aux droits humains et un crime, après avoir reconnu que nous n’avions pas accordé suffisamment d’attention aux situations de discrimination et d’oppression systématiques dans le monde. Cela nous a permis d’examiner des situations d’apartheid potentiel à travers le monde de manière cohérente. Par exemple, en 2017, nous avons diffusé un rapport ayant déterminé que le gouvernement du Myanmar soumet le peuple rohingya à un système d’apartheid.
Trop longtemps, la communauté internationale a relégué la question des droits humains à un rang secondaire lorsque la situation d’Israël et des Palestinien·ne·s était abordée. Les Palestiniens et Palestiniennes confrontés à la brutalité de la répression israélienne réclament depuis plus de 20 ans que le régime israélien soit considéré comme une forme d’apartheid. Au fil du temps, une reconnaissance internationale plus large du traitement réservé par Israël aux Palestinien·ne·s comme un apartheid a vu le jour. Il s’agit là de quelques-unes des raisons qui ont motivé notre décision de commencer à enquêter sur le crime potentiel d’apartheid en Israël et dans les TPO.
Quelle différence cela fait-il de qualifier la situation d’« apartheid » ?
L’apartheid est à la fois une infraction internationalement illicite et un crime contre l’humanité. Quand un crime contre l’humanité est commis, la communauté internationale a l’obligation d’amener les auteurs présumés à rendre des comptes. Nous espérons qu’en attirant l’attention sur le système discriminatoire de domination mis en place par Israël à l’encontre du peuple palestinien, nous permettrons une intensification des actions visant à démanteler les politiques et pratiques néfastes qui empêchent les Palestinien·ne·s de vivre dans la dignité en jouissant de droits égaux. Cet objectif ne pourra être atteint que si la communauté internationale amène le gouvernement israélien et les autres parties complices à rendre des comptes.
Sur quels éléments s’appuie le rapport ?
Amnesty International a effectué des recherches et des analyses pour ce rapport entre juillet 2017 et novembre 2021. Nous avons analysé en détail les lois, la réglementation et les ordonnances militaires israéliennes pertinents, ainsi que les lignes de conduite des institutions publiques et les déclarations du gouvernement israélien et des responsables militaires. Nous avons examiné des documents officiels et accessibles au public, tels que des documents des archives parlementaires israéliennes, des documents de planification et des plans d’affectation des sols, ainsi que des budgets gouvernementaux et des décisions rendues par des tribunaux israéliens.
Nous avons analysé la documentation recueillie par Amnesty depuis des décennies répertoriant des violations des droits humains en Israël et dans les TPO, ainsi que des rapports d’organes des Nations unies et d’organisations de défense des droits humains, en les étudiant sous l’angle de l’apartheid. Pour les études de cas présentées dans le rapport, Amnesty a recueilli des dizaines d’entretiens auprès de communautés palestiniennes en Israël et dans les TPO entre février 2020 et juillet 2021.
Nous avons également consulté de nombreux représentant·e·s d’ONG palestiniennes, israéliennes et internationales, ainsi que des organes des Nations unies, des universitaires, des expert·e·s juridiques et des praticien·ne·s du droit. Nous avons sollicité l’avis de spécialistes externes du droit international, avant et pendant que nous menions nos recherches et analyses juridiques. Des spécialistes de la question de l’apartheid dans le droit international ont en outre examiné l’argument juridique écrit et les conclusions du rapport préliminaire.
Qu’est-ce que l’apartheid ?
L’apartheid est une violation du droit public international, une grave atteinte aux droits humains, ainsi qu’un crime contre l’humanité. Il peut être vu à la fois comme un système (composé de lois, de politiques et de pratiques) et un crime (agissements spécifiques).
Le plus simple, pour expliquer l’apartheid en tant que système, est de se pencher d’abord sur les définitions du crime d’apartheid. Celles-ci sont énoncées dans la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid (Convention contre l’apartheid) et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (Statut de Rome).
Ces traités définissent l’apartheid comme un crime contre l’humanité, commis lorsqu’un acte « inhumain » est perpétré dans le contexte d’un « régime institutionnalisé » d’« oppression » et de « domination » systématiques d’un « groupe racial » sur un autre, dans l’objectif d’entretenir ce système. Les actes inhumains incluent les homicides illégaux et les blessures graves, la torture, les transferts forcés, la persécution et la privation de droits et libertés fondamentaux.
Les définitions données dans le Statut de Rome et dans la Convention contre l’apartheid ne sont pas identiques. Notre rapport explique en détail comment les éléments de chaque traité s’appliquent à la situation en Israël et dans les TPO.
Pour identifier le crime d’apartheid, il est nécessaire de montrer qu’un système d’oppression et de domination est en place. S’appuyant sur les interprétations d’expert·e·s juridiques, Amnesty considère qu’il s’agit du traitement discriminatoire systématique, prolongé et cruel, infligé par un groupe racial d’êtres humains à un autre, dans le but de contrôler ce second groupe.
Où le droit international mentionne-t-il un système d’apartheid ?
La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1965 a été le premier instrument du droit international relatif aux droits humains à proscrire l’apartheid. Elle ne définit pas explicitement l’apartheid, mais condamne « les politiques gouvernementales fondées sur la supériorité ou la haine raciale, telles que les politiques d’apartheid, de ségrégation ou de séparation ».
L’interdiction de l’apartheid en droit public international la plus explicite se trouve dans un avis consultatif de la Cour internationale de justice, au sujet de la présence de l’Afrique du Sud en Namibie, dans laquelle cette violation prend la forme de « distinctions, exclusions, restrictions et limitations qui sont uniquement fondées sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique et qui constituent un déni des droits fondamentaux de la personne humaine. »
Lorsque nous avons utilisé ces définitions dans notre rapport, nous avons aussi pris en considération les références dans le droit pénal international aux régimes reposant sur l’oppression et la domination. En vertu du droit international relatif aux droits humains et du droit public international, il est interdit aux États d’établir et de maintenir des régimes (ou systèmes) d’oppression et de domination par un groupe racial sur un autre.
Est-ce qu’Amnesty a déjà conclut que l’apartheid était pratiqué par d’autres pays ?
Oui. En 2017, Amnesty a publié un rapport ayant déterminé que le gouvernement du Myanmar soumet le peuple rohingya à un système d’apartheid.
Il est important de noter ici que les divers systèmes d’oppression et de domination ne sont jamais identiques, et notre rapport ne tente pas d’établir des comparaisons ou des analogies entre les traitements infligés aux Palestinien·ne·s et au peuple rohingya.
De même, si la communauté internationale a commencé à employer le terme d’apartheid en référence au système politique en Afrique du Sud, les conventions et traités condamnant, prohibant et criminalisant l’apartheid sont rédigés de manière universelle. Notre rapport ne soutient pas la thèse que le système d’apartheid imposé par Israël est identique ou comparable à la situation de l’Afrique du Sud entre 1948 et le milieu des années 90. Il analyse plutôt les discriminations systématiquement employées par Israël contre les Palestinien·ne·s à l’aune des définitions de l’apartheid en droit international.
Pourquoi utilisez-vous le terme de « groupes raciaux » en référence au peuple juif et aux Palestinien·ne·s ?
Il n’appartient pas à Amnesty de décider de ce qui constitue un groupe racial. Notre analyse dans ce rapport s’appuie sur la manière dont le terme « groupe racial » est utilisé en référence à l’apartheid dans le droit international : comme un concept subjectif, qui dépend de la façon dont le groupe dominant perçoit l’autre groupe. Dans un système d’apartheid, l’auteur du crime traite le groupe racial dominé comme différent et inférieur sur la base d’attributs physiques et/ou culturels particuliers.
Les juifs et juives israéliens et les Palestinien·ne·s se définissent comme des groupes différents. Surtout, comme le montre notre rapport, le droit israélien considère le peuple palestinien comme un groupe inférieur et distinct, défini par son statut arabe et non-juif. Cela est indiqué expressément dans la Loi de 2018 sur l’État-nation, qui dispose qu’« Israël est l’État-nation du peuple juif », et que « le droit à l’autodétermination au sein de l’État d’Israël appartient exclusivement au peuple juif ». Cette loi ne reconnaît aucune autre identité nationale, bien que les Palestinien·ne·s représentent 19 % de la population en Israël. Le droit israélien attribue donc un statut supérieur à la « nationalité juive », qui est distincte de la citoyenneté.
En quoi le traitement réservé par Israël aux Palestiniens et Palestiniennes relève-t-il de l’apartheid ?
Depuis l’établissement d’Israël en 1948, les politiques et la législation israéliennes ont été façonnées par un objectif principal : maintenir une majorité démographique juive et renforcer le contrôle juif israélien sur les terres, au détriment des Palestinien·ne·s.
Afin d’y parvenir, les gouvernements successifs ont délibérément imposé un système d’oppression et de domination sur les Palestinien·ne·s. Les principaux éléments de ce système sont la fragmentation territoriale ; la ségrégation et le contrôle ; la dépossession de terres et de biens ; et la privation de droits économiques et sociaux.
Certains exemples de ce système sont :
Les restrictions sévères au droit de circuler librement en Cisjordanie, imposées par le biais d’un réseau de postes de contrôle et de la fermeture de routes. Cela est associé à un système de permis contraignant les Palestinien·ne·s qui souhaitent se rendre dans d’autres zones des TPO à obtenir la permission de l’armée israélienne.
Une nationalité juive d’un statut supérieur accordée aux citoyen·ne·s juifs d’Israël, qui est différente de la citoyenneté et qui fournit la base de la différence de traitement entre les citoyen·ne·s juifs et non-juifs. Les Palestinien·ne·s ne peuvent pas bénéficier de ce statut.
Les refus systématiques de délivrance de permis de construire à Jérusalem-Est, qui donnent lieu à des démolitions répétées de logements et des expulsions forcées. L’expansion des colonies israéliennes illégales à Jérusalem-Est pousse les Palestinien·ne·s hors de chez eux et confine la population palestinienne dans des enclaves de plus en plus petites.
Le déni du droit des réfugié·e·s palestiniens au retour, qui est protégé sur le plan international. Israël empêche les familles palestiniennes déplacées depuis des générations de retourner dans leurs anciens villages ou logements en Israël et dans les TPO, afin de conserver le contrôle de la démographie.
Les restrictions à l’accès à la terre et aux zones de pêche dans la bande de Gaza, qui exacerbent l’impact socioéconomique du blocus illégal imposé par Israël.
Dans ses critères, la Convention sur l’apartheid mentionne des « actes inhumains ». Quels actes inhumains ont été commis par Israël ?
Les autorités israéliennes font systématiquement subir aux Palestinien·ne·s un grand nombre des actes identifiés comme inhumains par la Convention contre l’apartheid et le Statut de Rome.
Pour le présent rapport, Amnesty a examiné les actes de transferts forcés ; la détention administrative et la torture ; les homicides et les blessures graves causés par des agissements illégaux ; la privation de libertés et droits fondamentaux ; ou les persécutions commises contre la population palestinienne en Israël et dans les TPO, associés au système de lois, politiques et pratiques discriminatoires.
Nous avons déterminé que ces agissements relèvent du crime contre l’humanité qu’est l’apartheid, parce qu’ils sont commis dans un contexte d’oppression et de domination systématiques, et dans l’objectif de maintenir ce système.
Par exemple, dans les TPO, les forces israéliennes recourent régulièrement à une force meurtrière afin d’étouffer les actions de protestation de Palestiniens et Palestiniennes revendiquant le respect de leurs droits. Durant la Grande marche du retour, le long de la frontière entre Israël et la bande de Gaza, une série de manifestations de masse hebdomadaires contre le blocus et l’exclusion des réfugié·e·s palestiniens, les forces israéliennes ont tué 214 civil·e·s, dont 46 mineur·e·s, et blessé plus de 8 000 autres personnes.
Des citoyen·ne·s palestiniens d’Israël ont-ils été également soumis à des « actes inhumains » ?
Amnesty reconnaît que des actes inhumains surviennent dans une moindre mesure et avec beaucoup moins de violence à l’intérieur d’Israël que dans les TPO. Notre rapport fournit cependant des informations sur des violations commises à l’intérieur d’Israël constituant des actes inhumains et, dans le contexte du système plus large de domination et d’oppression des Palestinien·ne·s, des crimes d’apartheid constituant des crimes contre l’humanité.
Par exemple, les autorités israéliennes ont procédé à des démolitions répétées de logements et à des expulsions forcées contre des Bédouins palestiniens dans la région du Néguev/Naqab, ce qui s’apparente à des transferts forcés.
En vertu de la Convention contre l’apartheid et du Statut de Rome, les actes inhumains peuvent inclure des violations systémiques ainsi que des agissements fondamentalement violents. Dans sa liste des actes pouvant constituer le crime d’apartheid, la Convention contre l’apartheid inclut :
« des mesures […] destinées à empêcher un groupe racial ou plusieurs groupes raciaux de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays », ainsi que la création délibérée de conditions faisant obstacle à leur plein développement en les privant « des libertés et droits fondamentaux de l’homme, notamment le droit au travail, le droit de former des syndicats reconnus, le droit à l’éducation, le droit de quitter son pays et d’y revenir, le droit à une nationalité, le droit de circuler librement et de choisir sa résidence, le droit à la liberté d’opinion et d’expression et le droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques. »
Certains des actes inhumains répertoriés au sein d’Israël comprennent :
Le déni du droit des réfugié·e·s palestiniens de retourner dans leurs villages et leurs habitations ;
Le déni des droits des réfugié·e·s palestiniens et des prétendus « absents présents » de reprendre possession de leurs logements, de leurs terres et de leurs biens ;
Une gestion raciste des terrains publics, validée par l’État, qui empêche les Palestinien·ne·s de louer ou d’acquérir l’immense majorité des terrains et logements publics, ni d’y avoir accès ou de pouvoir y construire ;
Des restrictions discriminatoires relatives aux regroupements familiaux, au droit de se marier et à l’extension du droit de résidence.
Notre rapport s’intéresse au fait qu’un grand nombre de ces actes inhumains sont prévus par la loi, et au manquement des tribunaux israéliens au devoir de proposer des recours ou de mettre fin à ces violations.
Le traitement discriminatoire des citoyen·ne·s palestiniens d’Israël est crucial à la compréhension du système israélien d’oppression et de domination sur les Palestinien·ne·s. Le crime d’apartheid n’implique cependant pas que tous les membres d’un groupe racial soient systématiquement soumis à des actes inhumains ; la principale caractéristique est que ces actes aient lieu dans le cadre d’un système plus large.
Les citoyen·ne·s palestiniens d’Israël ont beaucoup plus de droits que les Palestinien·ne·s des TPO – comment pouvez-vous dire qu’ils sont soumis au même système ?
Notre rapport reconnaît ces différences. Si certains citoyen·ne·s palestiniens d’Israël ont un mandat au Parlement israélien ou dans d’autres branches du gouvernement, ou s’ils ont la chance d’avoir accès à des opportunités professionnelles, cela n’infirme pas notre constat qu’un système d’oppression et de domination s’étend également aux Palestinien·ne·s qui vivent au sein d’Israël.
Il est également important de reconnaître que la fragmentation géographique du peuple palestinien est en soi un élément fondamental du système d’apartheid. En Israël, à Jérusalem-Est et dans le reste de la Cisjordanie, dans la bande de Gaza, mais aussi dans les communautés de réfugié·e·s, Israël emploie des systèmes de contrôle administratif et juridique interconnectés vis-à-vis des Palestinien·ne·s. Examiner ces situations isolément ne permet pas d’appréhender la question dans sa globalité.
Le traitement différencié réservé par le gouvernement israélien à la population juive israélienne et aux Palestinien·ne·s ne connaît pas de frontières. Par exemple, Israël propose la gamme complète de ses protections et services aux juifs et juives israéliens vivant dans des colonies illégales dans les territoires palestiniens occupés, tout en privant les Palestinien·ne·s vivant dans ces mêmes zones des droits les plus fondamentaux.
Vos constats s’appliquent-ils aux Palestinien·ne·s qui sont désormais citoyen·ne·s d’autres pays, après leur arrivée sur place en tant que réfugié·e·s ?
Oui. Israël dénie aux réfugié·e·s palestiniens hors d’Israël et des TPO le droit à la citoyenneté et les empêche de retourner chez eux. Ceci est une grave violation de leur droit de quitter leur pays et d’y revenir, leur droit à une nationalité, leur droit de circuler librement et le droit à la résidence. L’exclusion des réfugié·e·s palestiniens est essentielle aux objectifs démographiques d’Israël.
Lorsqu’elles sont commises dans l’intention de contrôler le peuple palestinien dans son ensemble, ces violations contribuent à maintenir le système d’oppression et de domination, et constituent des actes inhumains qui rentrent dans le cadre des critères définissant l’apartheid.
Pourquoi arrivez-vous à la conclusion qu’Israël impose un régime d’apartheid aux Palestinien·ne·s en Cisjordanie et dans la bande de Gaza alors que ces territoires sont dirigés par l’Autorité palestinienne ?
L’Autorité palestinienne dirigée par le Fatah en Cisjordanie, et l’administration de fait du Hamas dans la bande de Gaza, mènent leurs activités sous l’occupation militaire d’Israël. Israël conserve le contrôle effectif sur ces territoires, notamment sur la population palestinienne vivant sur place, ses ressources naturelles et – à l’exception de la courte frontière que la bande de Gaza partage avec l’Égypte dans le sud – leurs frontières terrestres et maritimes, ainsi que leur espace aérien. Dans certaines zones de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, l’impact de l’Autorité palestinienne est extrêmement limité – par exemple dans les secteurs où se trouvent des colonies ou des postes de contrôle restreignant les mouvements.
Amnesty condamne-t-elle aussi les violations des droits humains commises par les autorités palestiniennes ?
Oui. Ce n’est pas le sujet de ce rapport, mais Amnesty recense systématiquement les violations graves commises par les autorités palestiniennes en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Nous signalons et condamnons systématiquement les attaques illégales lancées par des groupes armés palestiniens contre des civil·e·s israéliens. Cela inclut les tirs aveugles de roquettes depuis la bande de Gaza vers Israël, sur lesquels nous avons demandé à la Cour pénale internationale d’ouvrir une enquête pour crimes de guerre.
Nous avons également recueilli des informations sur les violations des droits humains commises contre des Palestinien·ne·s par les autorités palestiniennes, notamment des actes de torture, des détentions arbitraires, des restrictions à la liberté d’expression et un recours excessif à la force contre les manifestant·e·s.
Les soutiens du gouvernement israélien ont accusé Amnesty par le passé de « pointer du doigt Israël ». Comment répondez-vous à ces allégations ?
Amnesty recense des violations des droits humains perpétrées par des gouvernements du monde entier, y compris celles commises par l’Autorité palestinienne, et nous appliquons les mêmes normes et suivons les mêmes lignes directrices dans notre évaluation du bilan de tous les pays en matière de droits humains. Un rapide coup d’œil à notre page sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord démontre l’attention que nous portons à toutes les violations de droits à travers l’ensemble de la région.
Nombreux sont les États qui préfèreraient ne pas voir leurs atteintes aux droits humains ainsi mises en avant. L’expérience l’a montré, il est très fréquent que les États essaient de détourner l’attention des résultats de nos recherches en nous accusant de partialité, en particulier quand ils n’ont de pas de réponse à apporter face aux preuves de violations.
Les autorités israéliennes ne mettent-elles pas les politiques dont vous parlez en place afin de lutter contre les menaces de sécurité ?
Comme tous les pays, Israël a le droit – et même l’obligation, en vertu du droit international – de protéger toutes les personnes se trouvant sous son contrôle, et de garantir la sécurité de son territoire. Les politiques sécuritaires doivent toutefois respecter le droit international, et elles doivent être proportionnées à la menace posée.
Les autorités israéliennes invoquent des raisons de sécurité pour justifier un grand nombre des politiques présentées dans le rapport, notamment les confiscations de terrain, le refus de délivrer des permis de construire et d’urbanisme, la révocation du droit de résidence, les restrictions à la liberté de mouvement, et les lois discriminatoires sur les regroupements familiaux. Amnesty a examiné chacune des justifications de sécurité citées par Israël et a conclu qu’elles ne sont qu’un prétexte à des agissements réellement motivés par l’intention de contrôler la population palestinienne et d’exploiter ses ressources.
Par exemple, la privation prolongée, cruelle et discriminatoire de l’accès des Palestinien·ne·s à leurs terres et biens, saisis de manière violente et discriminatoire, n’a aucune justification liée à la sécurité. Aucun motif lié à la sécurité ne justifie la ségrégation de facto des citoyen·ne·s palestiniens d’Israël au moyen de lois discriminatoires relatives à l’aménagement du territoire et à l’accès au logement, ou par la privation de leur droit à revendiquer leurs biens fonciers et immobiliers saisis au titre de lois racistes. De la même manière, l’ingérence arbitraire et discriminatoire dans les droits des citoyen·ne·s palestiniens d’Israël à se marier, et à étendre le droit de résidence à leurs conjoint·e·s et enfants, en l’absence d’éléments tangibles indiquant que des individus présentent une menace, ne peut être justifiée par des raisons de sécurité.
Dans le contexte de l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza par Israël, certaines limitations des droits humains sont susceptibles d’être admises en vertu du droit international humanitaire, si elles sont appliquées de bonne foi. Toutefois, la justification du traitement différencié ne peut être étendue à l’implantation de colons juifs israéliens dans les territoires occupés. Elle ne peut pas non plus être étendue aux meurtres, aux homicides ciblés, à la torture, à l’expulsion et aux transferts forcés de populations qui ont été perpétrés dans les TPO depuis des années.
Israël garde les informations en relation avec la sécurité secrètes, ce qui signifie souvent que des personnes dont les droits sont bafoués au nom de la sécurité n’ont aucun véritable moyen de recours.
Le rapport fournit de nombreux exemples de politiques où une intention claire et illégitime de dominer et d’opprimer l’emporte de loin sur les considérations de bonne foi en matière de sécurité.
Vous appelez au démantèlement du système d’apartheid en Israël. Cela signifie-t-il que vous appelez au démantèlement de l’État d’Israël ?
Non. Amnesty se concentre sur les violations des droits humains commises par les États, pas sur la légitimité des gouvernements ou États eux-mêmes. Par exemple, en règle générale, nous n’appelons jamais à un « changement de régime » ; nous faisons par contre des recommandations sur la manière dont les gouvernements peuvent mettre leurs actes en conformité avec le droit international.
Amnesty International reconnaît que le peuple juif et le peuple palestinien revendiquent tous deux le droit à l’autodétermination.
Le rapport couvre par ailleurs tout un ensemble de recommandations à l’adresse de l’État d’Israël et nous avons demandé à rencontrer des représentant·e·s des autorités israéliennes pour en discuter avec eux. L’État d’Israël est membre des Nations unies depuis sa création, en 1948. Il est partie à des conventions internationales relatives aux droits humains, ainsi qu’à d’autres traités, et doit donc honorer les obligations qui en découlent, notamment en faisant respecter le droit à l’égalité et à la non-discrimination, et en faisant cesser et en réparant les violations des droits humains.
Ce rapport vise à inciter le gouvernement israélien à entreprendre les réformes requises afin qu’Israël respecte les obligations auxquelles il est tenu en vertu du droit international. À ce propos, et à titre d’exemple, le droit international n’interdit pas à Israël d’encourager l’immigration juive. Cela ne peut cependant pas s’accompagner de discriminations à l’égard des Palestinien·ne·s exerçant leur droit au retour, ni contribuer d’une quelconque autre manière à l’oppression et à la domination des Palestinien·ne·s.
En demandant à Israël de démanteler son système d’apartheid, plaidez-vous en faveur d’une solution à un État binational à la place d’Israël et d’un futur État palestinien ?
Ceci est une question politique et Amnesty ne prend donc pas position sur le sujet, ni sur une solution à deux États, une confédération ou encore d’autres arrangements possibles.
Notre unique requête concernant une éventuelle solution politique serait qu’elle soit fondée sur le respect du droit international, et notamment du droit international relatif aux droits humains, du droit international humanitaire et du droit pénal international.
Pourquoi Amnesty demande-t-elle des sanctions ?
Amnesty demande au Conseil de sécurité des Nations unies d’imposer des sanctions ciblées, telles que des interdictions de voyager et des gels d’avoirs contre les responsables israéliens les plus impliqués dans le crime d’apartheid, et d’imposer un embargo complet sur les armes à destination d’Israël. L’objectif est d’empêcher Israël de commettre des crimes de guerre et d’autres violations graves.
Nous ne demandons pas l’imposition de sanctions économiques de grande ampleur, ni de sanctions qui ne sont pas ciblées. Un embargo sur les armes doit couvrir l’approvisionnement, la vente ou le transfert de toutes les armes, munitions et équipements de sécurité, y compris les formations. Nous avons par le passé, conformément à notre ligne de conduite, préconisé ce type de sanctions contre d’autres pays, notamment la Syrie, la Libye, le Soudan, le Myanmar et le Népal.
Israël n’est pas partie au Statut de Rome ni à la Convention contre l’apartheid. Cela ne signifie-t-il pas que cet État n’est pas lié par les obligations qui en découlent ?
Non. Tout d’abord, Israël a ratifié la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, qui interdit l’apartheid. Ensuite, la prohibition de l’apartheid s’inscrit dans le droit international coutumier, qui est composé des obligations internationales découlant de pratique générales des États ayant valeur juridique. La Cour internationale de justice (CIJ) a déclaré que l’apartheid est une violation flagrante des objectifs et principes de la Charte des Nations unies.
Amnesty considère aussi qu’il existe de nombreux éléments attestant que la définition de l’apartheid comme crime contre l’humanité dans le Statut de Rome reflète le droit international coutumier.
Quel est le rôle de la Cour pénale internationale dans cette situation ?
La Cour pénale internationale (CPI) est compétente pour enquêter sur les crimes commis dans l’État de Palestine depuis juin 2014. En mars 2021, le bureau de la procureure de la CPI a annoncé avoir ouvert une enquête sur la situation en Palestine. Sa compétence territoriale couvre la bande de Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est.
Puisque l’apartheid, crime contre l’humanité, est pratiqué dans ces territoires, nous demandons au bureau de la procureure d’envisager d’élargir l’enquête afin de l’y inclure.