Les forces de sécurité israéliennes inspectent la ville de Sderot, au sud d'Israël, le 2 mai 2023. © IMAGO / UPI Photo
Les forces de sécurité israéliennes inspectent la ville de Sderot, au sud d'Israël, le 2 mai 2023. © IMAGO / UPI Photo

Israël / Territoires palestiniens occupés Arrestations arbitraires et torture: la Cisjordanie sous le joug des mesures d'urgence israéliennes

Communiqué de presse du 8 novembre 2023, Londres, Berne – Contact du service de presse
Au cours des quatre dernières semaines, les autorités israéliennes ont considérablement accru leur recours à la détention administrative, une forme de détention arbitraire, à l'encontre de Palestinien·ne·s dans l'ensemble de la Cisjordanie occupée. Elles ont étendu les mesures d'urgence qui facilitent les traitements inhumains et dégradants des prisonniers, et elles n'ont pas enquêté sur les cas de torture et de mort en détention.

Depuis le 7 octobre, les forces israéliennes ont arrêté plus de 2 200 Palestinien·ne·s, hommes et femmes, selon le Club des prisonniers palestiniens. Selon l'organisation israélienne de défense des droits humains HaMoked, entre le 1er octobre et le 1er novembre, le nombre total de Palestinien·ne·s placé·e·s en détention administrative, sans inculpation ni jugement, est passé de 1 319 à 2 070. 

Des témoignages de détenu·e·s libéré·e·s et d'avocat·e·s spécialisé·e·s dans la défense des droits humains, ainsi que des séquences vidéo et des images illustrent certaines des formes de torture et autres mauvais traitements auxquels les prisonniers et prisonnières ont été soumis par les forces israéliennes au cours des quatre dernières semaines. Il s'agit de coups violents et d'humiliations infligés aux détenu·e·s, notamment en les obligeant à garder la tête baissée, à s'agenouiller sur le sol lors du comptage des détenu·e·s et à chanter des chansons israéliennes.  

« Au cours du mois dernier, nous avons assisté à une augmentation significative du recours à la détention administrative par Israël – une détention sans inculpation ni procès qui peut être renouvelée indéfiniment. Cette forme de détention était déjà à son plus haut niveau depuis 20 ans avant la dernière escalade des hostilités le 7 octobre. La détention administrative est l'un des principaux outils par lesquels Israël a mis en œuvre son système d'apartheid à l'encontre des Palestinien·ne·s. Les témoignages et les vidéos font également état de nombreux cas de torture et d'autres mauvais traitements infligés par les forces israéliennes, notamment de sévères passages à tabac et des humiliations délibérées à l'encontre de Palestinien·ne·s détenu·e·s dans des conditions déplorables », a déclaré Heba Morayef, directrice régionale pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord.

«Au cours du mois dernier, nous avons assisté à une augmentation significative du recours à la détention administrative par Israël.»
Heba Morayef, directrice régionale pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord

« Les assassinats sommaires et les prises d'otages perpétrés par le Hamas et d'autres groupes armés le 7 octobre sont des crimes de guerre et doivent être condamnés en tant que tels, mais les autorités israéliennes ne doivent pas utiliser ces attaques pour justifier leurs propres attaques illégales et les punitions collectives infligées aux civils dans la bande de Gaza assiégée, ainsi que le recours à la torture, à la détention arbitraire et à d'autres violations des droits des prisonniers et prisonnières palestinien·ne·s. L'interdiction de la torture ne peut jamais être suspendue ou faire l'objet d'une dérogation, y compris – et surtout – dans des moments comme celui-ci. »

Torture et humiliation

Depuis des décennies, Amnesty International fait état d'actes de torture généralisés commis par les autorités israéliennes dans les lieux de détention de Cisjordanie. Cependant, au cours des quatre dernières semaines, des vidéos et des images ont été largement diffusées en ligne, montrant des scènes horribles de soldats israéliens battant et humiliant des Palestiniens alors qu'ils étaient détenus les yeux bandés, déshabillés, les mains liées. Il s’agit d’un cas de démonstration publique particulièrement effrayante de torture et d'humiliation.

Sur une image analysée par le Crisis Evidence Lab d'Amnesty International, on peut voir trois Palestiniens, les yeux bandés et déshabillés, à côté d'un soldat portant un uniforme vert olive comme ceux des forces terrestres israéliennes. Une enquête de Haaretz publiée le 19 octobre a révélé que l'image avait été prise à Wadi al-Seeq, un village situé à l'est de Ramallah, le 12 octobre. L'une des trois victimes représentées sur la photo a déclaré à Amnesty International qu'elle avait d'abord été retenue et battue par des colons, mais que deux heures plus tard une jeep militaire israélienne était arrivée.

« L'un des officiers israéliens qui est arrivé s'est approché de moi et m'a donné des coups de pied sur le côté gauche, puis il a sauté sur ma tête avec ses deux jambes, enfonçant mon visage dans la terre, et il a continué à me donner des coups de pied alors que j'étais la tête en bas, dans la terre, avec les mains attachées dans le dos. Il a ensuite pris un couteau et a déchiré tous mes vêtements, à l'exception de mes sous-vêtements, et a utilisé une partie de mes vêtements déchirés pour me bander les yeux. Les coups sur le reste de mon corps n'ont pas cessé, à un moment donné il a commencé à me sauter sur le dos – trois ou quatre fois – tout en criant 'crève, crève espèce d'ordure'... à la fin, avant que cela ne s'arrête enfin, un autre officier a uriné sur mon visage et mon corps tout en nous criant également 'crève'. »  

Amnesty International s'est également entretenue avec deux femmes qui ont été détenues arbitrairement pendant 14 heures dans un poste de police de Jérusalem-Est occupée, où elles ont été humiliées, soumises à des fouilles à nu, moquées et invitées à maudire le Hamas. Elles ont ensuite été libérées sans inculpation.

Dans une vidéo publiée pour la première fois sur les réseaux sociaux le 31 octobre et analysée par le Crisis Evidence Lab d'Amnesty International, on peut voir neuf hommes détenus, qui, d'après leurs accents identifiables, sont palestiniens, certains dénudés et d'autres à moitié nus, les yeux bandés et menottés, entourés d'au moins 12 soldats portant des uniformes vert olive et équipés de fusils d'assaut M4A1 ou Tavor X95. Les uniformes et les armes font partie de l'équipement standard des forces terrestres israéliennes. On voit l'un des soldats donner un coup de pied à la tête d'un des détenus. Une autre vidéo analysée par le Crisis Evidence Lab d'Amnesty, mise en ligne sur la plateforme X le 31 octobre, montre une personne aux yeux bandés, probablement un Palestinien, ainsi qu'un sergent de l'armée israélienne se moquant du prisonnier et dansant autour de lui. 

Un détenu palestinien de Jérusalem-Est occupée récemment libéré, qui s'est entretenu avec Amnesty International sous couvert d'anonymat, a expliqué que les interrogateurs israéliens l'avaient soumis, ainsi que d'autres détenus du Russian Compound (al Maskoubiyeh), un centre de détention de Jérusalem, à de violents passages à tabac qui lui ont laissé des ecchymoses et trois côtes cassées. Il a également souligné que les interrogateurs de la police israélienne les frappaient continuellement sur la tête en leur criant de toujours garder la tête baissée, tout en leur ordonnant de « faire l'éloge d'Israël et de maudire le Hamas ».  Il a ajouté : « même lorsque l'un des 12 détenus qui se trouvaient avec nous dans la cellule a fait cela, les coups et l'humiliation n'ont pas cessé. »  

Depuis le 7 octobre, selon les autorités israéliennes, quatre détenus palestiniens sont morts dans des centres de détention israéliens dans des circonstances qui n'ont pas encore fait l'objet d'une enquête impartiale. Deux de ces quatre personnes sont des travailleurs de la bande de Gaza occupée, détenus au secret par l'armée israélienne dans des centres de détention militaires, et dont le décès n'a été rendu public par l'armée qu'à la suite d'une enquête menée par le journal israélien Haaretz.

En vertu du droit international, la torture et les autres mauvais traitements infligés à des personnes protégées dans un territoire occupé constituent un crime de guerre. La détention de personnes protégées en dehors du territoire occupé, comme c'est le cas des prisonniers palestiniens du TPO détenus en Israël, constitue également une violation du droit international humanitaire, car elle équivaut à un transfert forcé. 

Traitements inhumains et dégradants dans les prisons 

L'administration pénitentiaire israélienne a informé le groupe de défense des droits humains HaMoked qu'au 1er novembre, elle détenait 6809 prisonniers et prisonnières palestinien·ne·s. Le 31 octobre, les autorités israéliennes ont prolongé d'un mois « l'état d'urgence dans les prisons » qui accorde au ministre israélien de la sécurité nationale des pouvoirs pratiquement illimités. Elles peuvent ainsi refuser aux prisonniers et prisonnières condamné·e·s l'accès aux visites d'avocat·e·s et de membres de la famille, pour détenir les détenu·e·s dans des cellules surpeuplées, pour les priver d'exercice en plein air et pour imposer des mesures cruelles de punition collective telles que la coupure d'eau et d'électricité pendant de longues heures.

Le Comité international de la Croix-Rouge a confirmé que, depuis le 7 octobre, les prisonniers palestiniens n'ont pas pu entrer en contact avec leurs familles et leurs avocats. Sanaa Salameh, l'épouse de Walid Daqqah, un prisonnier palestinien en phase terminale de maladie, a déclaré à Amnesty International que depuis le 7 octobre, ni elle ni l'avocat de Walid Daqqah n'ont été autorisés à le voir ou à recevoir des informations sur son état de santé. « Je ne sais pas s'il reçoit les soins médicaux dont il a besoin ; je n'ai absolument aucun contact avec lui, je n'ai même pas une bribe d'information pour me réconforter », a-t-elle déclaré à Amnesty International.

L'avocat palestinien Hassan Abadi, qui rend visite à au moins quatre détenus chaque semaine depuis le 7 octobre, a déclaré à Amnesty International que les détenu·e·s palestinien·e·s étaient privé·e·s de leur droit de faire de l'exercice en plein air et que l'une des formes d'humiliation à laquelle iels étaient soumis lors du comptage des détenu·e·s consistait à les forcer à s'agenouiller sur le sol. Il a ajouté que les Palestinien·ne·s en détention se sont vu confisquer tous leurs effets personnels, parfois brûlés, y compris des livres, des journaux intimes, des lettres, des vêtements, de la nourriture et d'autres objets. Les femmes palestiniennes détenues dans la prison d'al-Damon se sont vu confisquer leurs serviettes hygiéniques par les autorités pénitentiaires. Selon Abadi, une cliente qu'il représente lui a raconté que lorsqu'elle a été détenue et qu'on lui a bandé les yeux au poste de police de Kiryat Arba, près d'Hébron, un officier l'a menacée de la violer.  

Augmentation des détentions arbitraires 

La détention administrative de Palestiniens a augmenté tout au long de l'année 2023, atteignant 1 319 le 1er octobre 2023. Au 1er novembre, ce chiffre était passé à plus de 2 070 Palestinien·ne·s détenu·e·s et placé·e·s en détention administrative. Les Palestinien·ne·s classés par Israël comme « prisonniers de sécurité » sont souvent détenu·e·s sans inculpation ni procès, la plupart du temps en vertu d'ordonnances de détention administrative qui peuvent être renouvelées indéfiniment tous les six mois.

La détention administrative est une forme de détention en vertu de laquelle des personnes sont détenues par les autorités de l'État pour des raisons de sécurité secrètes que le défendeur et son avocat ne peuvent pas examiner, contournant ainsi les garanties d'une procédure régulière pour toutes les personnes privées de leur liberté en vertu du droit international. Amnesty International a constaté qu'Israël utilisait systématiquement la détention administrative comme un outil de persécution des Palestinien·ne·s, plutôt que comme une mesure préventive extraordinaire et utilisée de manière sélective. 

Les autorités israéliennes ont également choisi d'appliquer la loi sur les « combattants illégaux », une catégorie qui n'est pas reconnue par le droit international, pour détenir indéfiniment, sans inculpation ni jugement, au moins 105 Palestiniens de la bande de Gaza occupée qui sont entrés en Israël lors de l'attaque menée par le Hamas le 7 octobre. On ne sait toujours pas combien d'entre eux sont détenus en relation avec les attaques.

Les autorités israéliennes ont également soumis à une troisième forme de détention arbitraire des milliers de Palestinien·ne·s de Gaza ayant un permis d'entrée en Israël, pour la plupart des travailleurs, qui ont été détenus au secret pendant au moins trois semaines dans deux bases de détention militaires en Israël et en Cisjordanie. Nombre d'entre eux ont été libérés, mais les autorités israéliennes ne font preuve d'aucune transparence quant au nombre de personnes encore détenues. 

« Les autorités israéliennes doivent immédiatement annuler les mesures d'urgence inhumaines imposées aux prisonniers et prisonnières palestinien·ne·s et leur accorder un accès immédiat à leurs avocat·e·s et à leurs familles. Tous les Palestinien·ne·s détenu·e·s arbitrairement doivent être libéré·e·s. Nous demandons instamment à Israël d'autoriser le Comité international de la Croix-Rouge à effectuer des visites urgentes dans les prisons et les centres de détention et à surveiller les conditions de détention des Palestinien·ne·s », a déclaré Heba Morayef.

« Les autorités judiciaires israéliennes doivent également enquêter de manière impartiale et indépendante sur les plaintes pour torture et autres mauvais traitements et poursuivre, dans le cadre de procès équitables, les personnes responsables d'avoir ordonné et pratiqué la torture. »