Amnesty International s’est entretenue avec des victimes et des témoins, a analysé des images satellites et vérifié des photos et des vidéos afin d’enquêter sur les bombardements aériens effectués par les forces israéliennes entre le 7 et le 12 octobre, qui ont causé de terribles destructions et ont parfois coûté la vie à des familles entières. L’organisation présente ci-dessous une analyse approfondie de ses conclusions sur cinq de ces attaques illégales. Dans chacun des cas, les attaques israéliennes ont bafoué le droit international humanitaire, notamment en ne prenant pas toutes les précautions pour épargner les civil·e·s, ou parce qu’il s’agissait d’attaques menées sans discrimination — sans établir de distinction entre objectifs civils et militaires — ou possiblement dirigées contre des biens de caractère civil.
«Dans leur intention déclarée d’utiliser tous les moyens pour anéantir le Hamas, les forces israéliennes font preuve d’un mépris choquant pour la vie des civil·e·s. Elles pulvérisent rue après rue des immeubles résidentiels, tuant de nombreux civil·e·s et détruisant des infrastructures essentielles, tandis que les nouvelles restrictions entraînent Gaza vers des pénuries d’eau, de médicaments, de carburant et d’électricité. Les récits de témoins oculaires et de rescapés ont mis en évidence, à maintes reprises, le fait que les attaques israéliennes déciment des familles palestiniennes, provoquant de telles destructions que les survivants n’ont plus guère que des décombres pour se souvenir de leurs proches», a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.
«Les cinq cas présentés effleurent à peine la surface de l’horreur relevée par Amnesty et illustrent l’impact dévastateur des frappes aériennes israéliennes sur la population de Gaza. Depuis 16 ans, le blocus illégal imposé par Israël a fait de Gaza la plus grande prison à ciel ouvert du monde. La communauté internationale doit agir sans attendre pour éviter qu’elle ne devienne un cimetière géant. Nous demandons aux forces israéliennes de cesser sur-le-champ les attaques illégales contre Gaza et de veiller à prendre toutes les précautions possibles pour réduire au minimum les dommages causés aux civils et aux biens à caractère civil. Les alliés d’Israël doivent immédiatement imposer un embargo global sur les armes, au regard des graves violations du droit international commises.»
Depuis le 7 octobre, les forces israéliennes ont lancé des milliers de bombardements aériens sur la bande de Gaza, tuant plus de 3 793 personnes, pour la plupart des civil·e·s, dont plus de 1 500 mineur·e·s, selon le ministère palestinien de la Santé de Gaza. Environ 12 500 personnes ont été blessées et plus de 1 000 dépouilles se trouvent encore sous les décombres.
En Israël, plus de 1 400 personnes, très majoritairement des civil·e·s, ont été tuées et quelque 3 300 blessées, selon le ministère israélien de la Santé, après que des groupes armés ont lancé depuis la bande de Gaza une attaque sans précédent contre Israël le 7 octobre. Ils ont tiré sans discrimination des roquettes et envoyé des combattants dans le sud d’Israël, qui ont perpétré des crimes de guerre, notamment en tuant délibérément des civil·e·s et en prenant des otages. L’armée israélienne affirme que les combattants ont également emmené plus de 200 otages civils et soldats captifs dans la bande de Gaza.
«Amnesty International demande au Hamas et aux autres groupes armés de libérer sans délai tous les otages civils et de cesser immédiatement les tirs aveugles de missiles. Rien ne saurait justifier les homicides délibérés de personnes civiles, en aucune circonstance», a déclaré Agnès Callamard.
Quelques heures après le début des attaques, les forces israéliennes ont commencé à bombarder Gaza. Depuis, le Hamas et les autres groupes armés continuent d’effectuer des tirs de roquettes sans discrimination vers des zones civiles en Israël, dans le cadre d’attaques qui doivent faire l’objet d’enquêtes pour crimes de guerre. Parallèlement, en Cisjordanie occupée, notamment à Jérusalem-Est, au moins 79 Palestinien·ne·s, dont 20 enfants, ont été tués par les forces ou des colons israéliens, dans un contexte d’usage excessif de la force par l’armée israélienne et d’escalade de la violence des colons soutenus par l’État, qui font également l’objet d’enquêtes par Amnesty International.
L’organisation continue d’enquêter sur des dizaines d’attaques à Gaza. Ce document met l’accent sur cinq attaques illégales qui ont frappé des immeubles d’habitation, un camp de réfugiés, une maison familiale et un marché. L’armée israélienne affirme qu’elle ne vise que des cibles militaires, mais dans plusieurs cas, Amnesty International n’a trouvé aucun élément probant quant à la présence de combattants ou d’objectifs militaires à proximité au moment des attaques. En outre, elle a noté que l’armée israélienne n’avait pas pris toutes les précautions possibles avant les attaques : les civil·e·s palestiniens n’ont pas été avertis efficacement au préalable — pas du tout dans certains cas, ou de façon inadéquate dans d’autres.
«Nos recherches relèvent des preuves accablantes de crimes de guerre pendant la campagne de bombardement menée par Israël, qui doivent faire l’objet d’enquêtes sans attendre. Des décennies d’impunité et d’injustice et le niveau inédit de mort et de destruction de l’offensive actuelle ne feront qu’entraîner de nouvelles violences et renforcer l’instabilité en Israël et dans les territoires palestiniens occupés», a déclaré Agnès Callamard.
«Il est crucial que le bureau du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) accélère les enquêtes en cours sur les éléments mettant en évidence de possibles crimes de guerre et autres crimes de droit international imputables à toutes les parties. Sans justice ni démantèlement du système d’apartheid israélien contre les Palestinien·ne·s, il sera impossible de mettre un terme aux terribles souffrances des populations civiles dont nous sommes témoins.»
Le bombardement incessant de Gaza est source de souffrances inimaginables, alors que la population est déjà en proie à une grave crise humanitaire. Après un blocus illégal de 16 ans, le système de santé à Gaza est au bord de la ruine et son économie est en lambeaux. Les hôpitaux croulent, incapables de gérer le nombre élevé de blessés et manquant cruellement de médicaments et d’équipements vitaux.
La communauté internationale doit engager Israël à mettre fin à son siège total, qui prive les habitant·e·s de Gaza de nourriture, d’eau, d’électricité et de carburant, et à autoriser d’urgence l’entrée d’aide humanitaire dans Gaza. Elle doit aussi faire pression sur Israël pour lever son blocus de longue date qui s’apparente à une sanction collective contre la population civile de Gaza, constitue un crime de guerre et un aspect clé du système d’apartheid israélien. Enfin, les autorités israéliennes doivent annuler leur « ordre d’évacuation » qui peut s’apparenter à un déplacement forcé de population.
La population civile de Gaza paie le prix fort
Amnesty International a enquêté sur cinq attaques israéliennes contre la bande de Gaza, qui ont eu lieu entre le 7 et le 12 octobre. Entre 2012 et 2022, les autorités israéliennes ont rejeté toutes les requêtes de l’organisation pour pouvoir se rendre à Gaza, ou n’y ont pas répondu. Aussi Amnesty a-t-elle collaboré avec un travailleur de terrain, installé à Gaza, qui s’est rendu sur les sites des attaques et a recueilli des témoignages et des éléments de preuve. Les chercheurs d’Amnesty International ont interviewé 17 victimes et d’autres témoins, ainsi que six proches de victimes au téléphone, pour les cinq cas figurant dans ce rapport. Le Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises a analysé des images satellites et vérifié des photos et des vidéos des sites des attaques.
Dans les cinq cas étudiés ci-dessous, Amnesty International a constaté que les forces israéliennes ont procédé à des attaques ayant bafoué le droit international humanitaire, notamment en ne prenant pas toutes les précautions possibles pour épargner les civil·e·s, ou en procédant à des attaques sans discrimination — sans établir de distinction entre objectifs civils et militaires — ou possiblement dirigées contre des biens de caractère civil.
En vertu du droit international humanitaire, toutes les parties au conflit doivent, en toutes circonstances, faire la distinction entre les civil·e·s et les biens à caractère civil, et les combattants et les objectifs militaires, et ne diriger leurs attaques que sur des combattants et des objectifs militaires. Les attaques visant directement des civil·e·s ou des biens à caractère civil sont totalement interdites et constituent des crimes de guerre. Les attaques menées sans discrimination — qui ne font pas la distinction requise — sont également interdites. Lorsqu’une telle attaque tue ou blesse des civil·e·s, elle s’apparente à un crime de guerre. Les attaques disproportionnées, c’est-à-dire celles dont on peut attendre qu’elles causent des dommages aux civils et aux biens de caractère civil excessifs par rapport à « l’avantage militaire concret et direct attendu » sont également prohibées. Mener sciemment une attaque disproportionnée est un crime de guerre.
Des familles entières anéanties
Le 7 octobre vers 20 h 20, les forces israéliennes ont frappé un immeuble de trois étages dans le quartier d’al Zeitoun, dans la ville de Gaza, où vivaient trois générations de la famille al Dos. Cette frappe a tué 15 membres de la famille, dont sept enfants. Parmi les victimes figurent Awni et Ibtissam al Dos, et leurs petits-enfants qui portent les mêmes noms, Awni, 12 ans, et Ibtissam, 17 ans, ainsi qu’Adel et Ilham al Dos et leurs cinq enfants. Adam, un bébé de 18 mois, était la plus jeune victime.
Mohammad al Dos, dont le fils de cinq ans Rakan a péri lors de l’attaque, a déclaré à Amnesty International :
«Deux bombes sont tombées d’un coup sur l’immeuble et l’ont détruit. Avec ma femme, nous avons eu la chance de survivre parce que nous habitions au dernier étage. Elle était enceinte de neuf mois et a accouché à l’hôpital d’al Shifa le lendemain. Notre famille est anéantie.»
Amnesty International a interviewé un voisin dont la maison a été endommagée par l’attaque. Comme Mohammad al Dos, il a indiqué qu’il n’avait pas reçu d’avertissement de la part des forces israéliennes, pas plus qu’aucun membre de sa famille.
«C’était soudain, boum, personne ne nous a rien dit», a-t-il expliqué.
Le fait que de nombreux civil·e·s se trouvaient dans le bâtiment au moment de la frappe aérienne corrobore le témoignage des survivants, selon lesquels les forces israéliennes n’ont pas émis d’avertissement. Il a fallu aux proches, aux voisins et aux équipes de secours plus de six heures pour extirper les corps des décombres.
Les recherches d’Amnesty International n’ont pas conclu à la présence de cibles militaires dans la zone au moment de l’attaque. Si les forces israéliennes ont attaqué cet immeuble d’habitation en sachant qu’il n’y avait que des civil·e·s à ce moment-là, il pourrait s’agir d’une attaque directe contre des civil·e·s ou un bien à caractère civil, donc une attaque prohibée qui constitue un crime de guerre. Israël n’a donné aucune explication sur cet événement. Il incombe à l’agresseur de prouver la légitimité de son opération militaire. Même si les forces israéliennes visaient selon elles un objectif militaire, le fait d’attaquer un bâtiment résidentiel, alors que des civil·e·s se trouvent à l’intérieur, au cœur d’un quartier densément peuplé, en causant autant de victimes civiles et un tel degré de destruction, constituerait une attaque menée sans discrimination. Or, ce type d’attaques qui tuent et blessent des civil·e·s sont des crimes de guerre.
Le 10 octobre, une frappe aérienne israélienne sur une maison a tué 12 membres de la famille Hijazi et quatre de leurs voisins, dans la rue al Sahaba, dans la ville de Gaza. Parmi les victimes, trois enfants. L’armée israélienne a assuré avoir frappé des cibles du Hamas dans la zone, sans donner d’autre information ni fournir d’éléments attestant de la présence de cibles militaires. Les recherches d’Amnesty International n’ont pas conclu à la présence de cibles militaires dans la zone au moment de l’attaque.
Amnesty International s’est entretenue avec Kamal Hijazi, qui a perdu sa sœur, ses deux frères et leurs épouses, cinq neveux et nièces et deux cousins lors de l’attaque :
«Notre maison, qui compte trois niveaux, a été bombardée à 17 h 15. Ce fut soudain, sans aucun avertissement, c’est pourquoi nous étions tous à la maison.»
Ahmad Khalid Al Sik, l’un des voisins de la famille Hijazi, a également été tué. Il avait 37 ans et était père de trois jeunes enfants, tous blessés lors de la frappe. Le père d’Ahmad a raconté ce qui s’était passé :
«J’étais chez moi, dans notre appartement, et Ahmad était en bas lorsque la maison en face de chez nous [celle de la famille Hijazi] a été bombardée, et il est mort. Il allait se rendre chez le coiffeur, qui se trouve à côté de l’entrée de notre immeuble. Lorsqu’Ahmad est sorti pour aller se faire couper les cheveux, je n’aurais jamais imaginé que c’était la dernière fois que je le voyais. La frappe fut soudaine, inattendue. Aucun avertissement, tout le monde vaquait à ses occupations quotidiennes.»
Le coiffeur chez qui se rendait Ahmad a lui aussi été tué.
Selon les conclusions d’Amnesty International, il n’y avait pas d’objectif militaire à l’intérieur de la maison ni à proximité, ce qui indique qu’il pourrait s’agir d’une attaque directe contre des civil·e·s ou des biens à caractère civil — donc interdite et constituant un crime de guerre.
Des avertissements inadéquats
Dans les cas qu’elle a recensés, Amnesty International a constaté à plusieurs reprises que l’armée israélienne n’avait pas averti les civil·e·s ou avait émis des avertissements inadéquats. Dans certains cas, elle n’a informé qu’une seule personne de la frappe qui a touché des immeubles entiers ou des rues bondées, ou a donné des ordres d’«évacuation» peu clairs, qui ont laissé les habitant·e·s dans l’incertitude quant aux horaires. Dans les cinq frappes examinées, les forces israéliennes n’ont pas veillé à ce que les civil·e·s puissent évacuer vers un lieu sûr. Lors de l’attaque contre le marché à Jabalia, des habitant·e·s avaient quitté leur domicile conformément à l’ordre d’«évacuation», avant de se faire tuer là où ils avaient fui.
Le 8 octobre, une frappe aérienne israélienne a touché le camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza, tuant Mohammed et Shuruq al Naqla, et deux de leurs enfants, Omar, trois ans, et Yousef, cinq ans, et blessant leur fillette de deux ans, Mariam, et leur neveu de trois ans Abdel Karim. Environ 20 autres personnes ont été blessées lors de cette frappe.
Ismail al Naqla, frère de Mohammed et père d’Abdel Karim, a déclaré que leur voisin de palier a reçu un appel de l’armée israélienne vers 10 h 30, pour l’avertir de la frappe imminente. Ismail, Mohammed et leurs familles ont quitté le bâtiment sur-le-champ, tout comme leurs voisins. Vers 15 h 30, rien ne s’était passé et la famille al Naqla, comme d’autres, est revenue chercher des produits essentiels. Ismail a expliqué qu’ils pensaient qu’il n’y avait pas de danger, puisque cinq heures s’étaient écoulées depuis l’avertissement et qu’ils prévoyaient de faire très vite.
Mais alors qu’ils retournaient dans leurs appartements, une bombe a frappé l’immeuble voisin, détruisant la maison des al Naqla et endommageant d’autres habitations alentour. Mohammed et sa famille étaient encore dans la cour de l’immeuble lorsqu’ils ont été tués. Ismail a vu une partie du cerveau de Yousef (son neveu de cinq ans) « sortir de son crâne » et a ajouté qu’ils n’ont pu retrouver sous les décombres le corps d’Omar, trois ans, que le lendemain. Il a expliqué que Mariam et Abdel Karim, les deux enfants rescapés, sont sortis rapidement de l’hôpital, car à Gaza, ils sont débordés par le nombre de blessés.
Avertir la population n’exonère pas les forces armées de leurs obligations découlant du droit international humanitaire. En particulier, au regard du laps de temps entre l’avertissement et l’attaque, les forces armées auraient dû vérifier avant d’agir si des civil·e·s étaient présents. En outre, s’il s’agit bien d’une attaque directe contre un bien à caractère civil, cela constituerait un crime de guerre.
«Chacun cherchait son enfant»
Le 9 octobre vers 10 h 30, les frappes aériennes israéliennes ont touché un marché dans le camp de réfugié·e·s de Jabalia, situé à quelques kilomètres au nord de la ville de Gaza, faisant au moins 69 victimes. La rue du marché est connue pour être l’une des plus commerçantes du nord de la bande de Gaza. Ce jour-là, elle était encore plus fréquentée que d’habitude, car des milliers de personnes des alentours avaient fui leur logement le matin, sans rien emporter, après avoir reçu des SMS de l’armée israélienne.
Le Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises d’Amnesty International a examiné six vidéos filmées au lendemain de la frappe aérienne sur le marché du camp de Jabalia. Ces images montrent une zone densément peuplée, avec des immeubles de plusieurs étages. Sur des vidéos et des images satellites, on peut voir au moins trois de ces immeubles complètement détruits et plusieurs bâtiments alentour gravement endommagés. On peut également voir de nombreux corps, sous les décombres, sur ces images choquantes.
Selon l’armée israélienne, la frappe du marché à Jabalia ciblait «une mosquée dans laquelle des membres du Hamas avaient été présents», mais elle n’a fourni aucune preuve venant étayer cette allégation. Quoi qu’il en soit, appartenir à un groupe politique ne fait pas en soi d’un individu une cible. Sur les images satellites analysées, on ne voit aucune mosquée à proximité immédiate de la rue du marché.
D’après des témoins oculaires, des images satellites et des vidéos vérifiées, l’attaque qui a fait de nombreuses victimes civiles a été menée sans discrimination et doit faire l’objet d’une enquête pour crime de guerre.
Imad Hamad, 19 ans, a été tué lors de cette frappe au marché à Jabalia alors qu’il allait acheter du pain et des matelas pour sa famille. Selon le témoignage de son père, Ziyad Hamad, la famille avait quitté leur logement à Beit Hanoun la veille après avoir reçu un avertissement de l’armée israélienne, et avait parcouru presque cinq kilomètres jusqu’à une école gérée par l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), qui servait d’abri, dans le camp de Jabalia.
En chemin, son fils Imad portait son tout jeune frère sur les épaules. Ziyad a raconté que le lendemain, il portait le corps sans vie d’Imad sur ses propres épaules, pour l’enterrer.
Ziyad a décrit les scènes terribles qu’il a vues à la morgue, où il a retrouvé le corps de son fils, avec beaucoup d’autres.
«Les corps étaient brûlés, j’avais peur de les regarder. Je ne voulais pas regarder, je redoutais de voir le visage d’Imad. Les corps étaient éparpillés sur le sol. Chacun cherchait son enfant dans cet empilement. Je n’ai reconnu mon fils qu’à son pantalon. Je voulais l’enterrer tout de suite, alors j’ai pris mon fils et je l’ai sorti. Je l’ai porté.»
Lorsqu’Amnesty International a interviewé Ziyad et sa famille, ils se trouvaient dans une école gérée par l’UNRWA, qui servait d’abri aux personnes déplacées. Il a déclaré qu’il n’y avait pas de services essentiels ni d’installations sanitaires, et pas de matelas.
Son sentiment de désespoir face aux injustices subies est palpable :
«Qu’ai-je fait pour mériter ça ? Perdre mon fils, ma maison, dormir par terre dans une salle de classe ? Mes enfants mouillent leurs vêtements, de panique, de peur, de froid. Nous n’avons rien à voir là-dedans. Quelle faute avons-nous commise ? J’ai élevé mon enfant toute ma vie, pourquoi ? Pour le voir mourir en allant acheter du pain.»
Pendant que le chercheur d’Amnesty s’entretenait avec Ziyad au téléphone, il a entendu une autre frappe aérienne non loin.
Depuis que les chercheurs d’Amnesty ont interviewé Ziyad le 10 octobre, les conditions de vie des personnes déplacées se sont encore dégradées, du fait de l’ampleur du déplacement et de la destruction, et des effets dévastateurs du blocus total imposé depuis le 9 octobre. D’après le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), le nombre de personnes déplacées à Gaza avait atteint 1 million au 19 octobre, dont plus de 527 500 hébergées dans des centres d’urgence de l’UNRWA, dans le centre et le sud de Gaza.
«Nous ne pouvons même pas compter nos morts»
Le 10 octobre, à 16 h 30, une frappe aérienne israélienne a touché un immeuble de six étages à Sheikh Radwan, un quartier de la ville de Gaza. L’immeuble a été complètement détruit et au moins 40 civil·e·s ont perdu la vie.
D’après les images satellites, les immeubles de cette rue ont été endommagés entre 12 h 11 TU le 10 octobre et 7 h 30 TU le 11 octobre. Le laboratoire de preuves d’Amnesty a géolocalisé deux vidéos postées sur les réseaux sociaux qui corroborent la destruction d’habitations à Sheikh Radwan. Sur l’une des vidéos, postée en ligne le 10 octobre, on peut voir des gens retirer des décombres le corps sans vie d’un nourrisson.
Amnesty International a parlé avec Mahmoud Ashour dont la fille Iman et ses quatre enfants, Hamza, six mois, Ahmad, deux ans, Abdelhamid, six ans, et Rihab, huit ans, ont péri dans l’attaque. Il a déclaré :
«Ma fille et ses enfants sont venus ici pour se réfugier parce que cette zone était relativement sûre lors des précédentes attaques. Mais je n’ai pas pu les protéger, je n’ai aucune trace de ma fille.»
Mahmoud a décrit l’ampleur de la destruction :
«Je vous parle alors que je tente d’enlever les décombres de mes mains. Nous ne pouvons même pas compter nos morts.»
Fawzi Naffar, 61 ans, a déclaré que 19 membres de sa famille, dont son épouse, ses enfants et ses petits-enfants, ont été tués lors de la frappe aérienne. Amnesty International lui a parlé cinq jours plus tard et il n’avait pu retrouver que la dépouille de sa belle-fille et «l’épaule de son fils».
D’après les recherches d’Amnesty International, un membre du Hamas habitait à l’un des étages du bâtiment, mais n’était pas sur place au moment de la frappe. Appartenir à un groupe politique ne fait pas en soi d’un individu une cible militaire.
Même si cet individu était un combattant, la présence d’un combattant dans un bâtiment civil ne fait pas de ce bâtiment, ni des civils présents, un objectif militaire. Le droit international humanitaire impose aux forces israéliennes de prendre toutes les précautions possibles pour limiter le préjudice causé aux civil·e·s et aux biens à caractère civil, notamment en annulant ou en reportant une attaque s’il devient évident qu’elle va s’avérer aveugle ou illégale.
Ces précautions n’ont pas été prises en amont de l’attaque aérienne à Sheikh Radwan. Il était clair que des habitant·e·s, dont des enfants, se trouvaient dans l’immeuble et le danger qu’ils couraient aurait pu être anticipé. Il s’agit d’une attaque menée sans discrimination, qui a tué et blessé des civil·e·s et doit faire l’objet d’une enquête pour crime de guerre.
Amnesty International demande
Aux autorités israéliennes :
- de cesser sur-le-champ les attaques illégales et respecter le droit international humanitaire, notamment en veillant à prendre toutes les précautions possibles pour réduire au minimum les dommages causés aux civil·e·s et aux biens de caractère civil, et s’abstenir de mener des attaques directes contre des civil·e·s et des biens de caractère civil, ainsi que des attaques aveugles et disproportionnées ;
- permettre sans délai l’acheminement sans entraves de l’aide humanitaire à la population civile de Gaza ;
- lever d’urgence le blocus illégal de Gaza, qui s’apparente à une sanction collective et constitue un crime de guerre, compte tenu de la terrible situation et des impératifs humanitaires.
- annuler leur ordre d’« évacuation » qui provoque le déplacement de plus d’un million de personnes ;
- accorder l’accès immédiat à la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé afin de mener des investigations, y compris en recueillant avant qu’il ne soit trop tard des témoignages et des preuves.
À la communauté internationale et particulièrement aux alliés d’Israël, notamment aux États membres de l’Union européenne, aux États-Unis et au Royaume-Uni :
- de prendre des mesures concrètes afin de protéger la population civile de Gaza contre les attaques illégales ;
- imposer un embargo général sur les armes contre toutes les parties au conflit, compte tenu des graves violations constitutives de crimes de droit international qui sont commises. Les États ne doivent pas fournir à Israël des armes et du matériel militaire — technologies, pièces et composants connexes, assistance technique, formation, aide financière ou autre. Ils doivent appeler les États qui fournissent des armes aux groupes armés palestiniens de s’en abstenir.
- s’abstenir de toute déclaration ou action qui pourrait, même indirectement, légitimer les crimes et violations commis par Israël à Gaza ;
- faire pression sur Israël pour lever son blocus illégal en place depuis 16 ans dans la bande de Gaza, qui s’apparente à une sanction collective contre la population civile, est un crime de guerre et un aspect clé du système d’apartheid israélien ;
- veiller à ce que l’enquête en cours de la Cour pénale internationale (CPI) sur la situation en Palestine reçoive un soutien complet et toutes les ressources nécessaires.
Au Bureau du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) :
- d’accélérer sans attendre son enquête sur la situation en Palestine, en examinant tous les crimes présumés commis par toutes les parties, dont le crime contre l’humanité d’apartheid dont sont victimes les Palestinien·ne·s.
Au Hamas et autres groupes armés :
- de cesser immédiatement d’attaquer délibérément des civil·e·s, de tirer des roquettes sans discrimination et de prendre des otages. Ils doivent libérer immédiatement et sans condition tous les otages civils.