Lorsque j’ai appris que mes parents étaient morts, dans l’après-midi du 7 octobre, j’ai sombré dans un océan de tristesse. La douleur était quasi physique, j’étais anéanti.
C’était de merveilleux parents et grands-parents. Ils avaient tous deux dépassé la septantaine, étaient encore très actifs et sportifs. Ils possédaient un grand jardin dans une petite communauté, où ils cultivaient des fruits et des légumes. Ma mère était artiste. Elle a peint des milliers de mandalas ces dernières années et m’en a offert un où on peut lire : « aucun rêve n’est impossible à réaliser quand nous avons le courage de le poursuivre ».
En Israël, octobre est le mois des semailles, le mois où, pendant cinquante ans, mon père a semé son blé. Il est temps pour moi de semer l’espoir, la réconciliation et la paix.
Mon père était agriculteur, c’est un métier pénible. Au repas du soir, il parlait souvent des défis qu’implique le travail de la terre, la canicule, la sécheresse, les parasites. Il disait qu’il continuerait l’an prochain et qu’il ferait mieux, parce qu’il tirerait les leçons de ce qui s’était passé, prendrait conseil auprès d’autres agriculteurs et se procurerait de meilleures semences. C’est exactement ce que je fais aujourd’hui. En Israël, octobre est le mois des semailles, le mois où, pendant cinquante ans, mon père a semé son blé. Il est temps pour moi de semer l’espoir, la réconciliation et la paix.
Dans la tradition juive, les enterrements sont suivis d’une période de deuil de sept jours, la Shiv’ah. Lors du deuxième jour de la Shiv’ah que nous avons observée pour mes parents, mon jeune frère a formulé une demande : que nous tous, en tant que famille, communiquions autour de nous que nous ne souhaitons pas la vengeance.
Pour Israël, le 7 octobre a été extrêmement traumatisant. Mais si nous revivons sans cesse ce traumatisme dans les médias, dans nos cœurs et dans nos têtes, nous nous désintégrons. Nous devons tirer la leçon de la souffrance et du chagrin, pour continuer à avancer.
Nous n’y arriverons pas en traumatisant d’autres personnes. Il ne sert à rien de déshumaniser le Hamas ou les habitants de Gaza, ou d’en faire une incarnation du mal absolu, que nous ne pourrions combattre qu’en lui faisant la guerre. On ne soigne rien, au contraire, on ne peut qu'envenimer la situation. La seule façon de guérir d'un traumatisme, c’est de lui donner un sens.
Ce sens est pour moi un médicament, que j’offre à tous ceux qui sont prêts à m’écouter. J’ai un rêve et j’ai un plan pour que d’ici 2030, nous puissions faire la paix du Jourdain à la Méditerranée.
Jusqu’au 7 octobre, je travaillais en tant qu’entrepreneur et j’ai contribué à mettre sur pied plus de vingt initiatives touristiques et sociales. À chaque fois, j’ai parcouru cinq étapes.
Au début, il y a un rêve, c’est très important. Mon rêve, c’est la paix. Puis nous devons réfléchir à la forme que pourrait prendre ce rêve dans la réalité, en accord avec nos valeurs. J’ai parlé avec beaucoup de Palestiniens et d’Israéliens, dont certains avaient perdu des proches. Nous sommes tous d’accord que la paix doit reposer sur des valeurs, qui sont l’égalité et la dignité, l’estime mutuelle, la réconciliation et la guérison, la sécurité.
En troisième lieu, il faut des coalitions et des partenaires. Un grand rêve, on ne peut pas le réaliser tout seul. Nous formons aujourd’hui un groupe d’individus et d’organisations de la société civile d’Israël et de Palestine, auquel s’ajoutent des organisations internationales. Quatrième étape, nous avons besoin d’une feuille de route pour définir comment nous voulons procéder. Nous allons appeler le monde à changer de politique vis-à-vis d’Israël et de la Palestine, à miser sur la construction plutôt que sur la destruction.
Enfin, il faut concrétiser le plan. Nous nous engageons partout pour la paix à travers des événements, des campagnes de lobbying et de relations publiques, et nous élargissons sans cesse notre coalition. Nous en voyons déjà les effets. Il y a dans le monde entier des embargos sur les livraisons d’armes à Israël. Et à la mi-septembre, l’Assemblée générale de l’ONU a voté à une écrasante majorité pour la fin de l’occupation en Cisjordanie.
Il y a régulièrement des moments où je réalise que mon travail sert à quelque chose. Le plus impressionnant fut la rencontre avec le pape François à l’Arena di Pace de Vérone. J’ai pris la parole avec mon partenaire palestinien, Aziz Abu Sarah, dont le frère a été torturé à mort dans une prison israélienne. Il y avait dans le public des milliers de militants pour la paix venus du monde entier. Le pape a évoqué l’importance des conflits pour faire progresser l’humanité : des conflits qui ne doivent pas être réprimés ou ignorés, mais peuvent nous aider à grandir si nous en tirons les leçons.
Nous avons besoin d’une alternative au discours ambiant, à la politique dévoyée du Hamas et du gouvernement israélien.
Aziz et moi avons raconté notre décision de mettre de côté notre douleur, notre tristesse et notre colère afin de construire un dialogue et de rendre possible un meilleur avenir pour les deux peuples en Terre sainte. Toutes les personnes présentes se sont levées et ont applaudi. Nous avions les larmes aux yeux. Le pape nous a fait signe d’approcher et nous a pris l’un et l’autre dans ses bras. À ce moment, j’ai pris conscience que nous pouvions vraiment changer l’avenir.
Nous avons besoin d’une alternative au discours ambiant, à la politique dévoyée du Hamas et du gouvernement israélien. Des deux côtés, des politiciens extrémistes tirent profit des massacres, même si ce faisant, ils hypothèquent notre avenir. L’espoir et la paix sont les seuls remèdes pour les Israéliens et les Palestiniens. Ce ne sera certainement pas facile. La situation est terrible. Il y a tellement de victimes, tellement de destruction. Mais nous n’avons pas le droit de baisser les bras.
Selon un récent sondage, une majorité d’Israéliens ne croit plus que ce conflit peut nous mener quelque part et pense qu’il faut trouver une solution pour y mettre fin. C’est un énorme changement. Avant le 7 octobre, on nous avait persuadés, moi compris, que notre défense passait par la construction de murs, que nous pouvions assurer notre stabilité à coups de bombes, que la guerre était nécessaire à notre sécurité. Nous avons réalisé que tout cela ne fonctionnait absolument pas. Pas seulement le 7 octobre, mais aussi durant une année de guerre à Gaza, en Cisjordanie et au Liban.
Je rencontre souvent des politiciens et à chaque fois, je leur dis que la paix est possible. Ils me regardent comme si j’étais naïf, ou fou. Quand ce sont des Allemands, je leur rappelle que leur pays a fondé l’Union européenne avec ses pires ennemis, au terme de deux guerres mondiales. Ils ont réussi à faire la paix, après que des millions de gens ont été tués, alors que ces événements étaient encore tout récents. Bien sûr que la paix est possible. La paix est inévitable. La question est seulement de savoir combien d’êtres humains doivent perdre la vie avant d’y arriver.