© Omar al-Qattaa/Getty Images
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Gaza Le Hamas réprime les libertés d'expression et de réunion

Communiqué de presse du 28 mai 2025, Londres, Berne – Contact du service de presse
Les autorités de la bande de Gaza occupée doivent respecter le droit de réunion pacifique et la liberté d'expression et mettre fin à la répression actuelle contre les manifestant·e·s.

Au cours des deux derniers mois, Amnesty International a documenté un schéma inquiétant de menaces, d'intimidations et de harcèlement – notamment des interrogatoires et des passages à tabac – par les forces de sécurité dirigées par le Hamas à l'encontre de personnes exerçant leur droit de manifester pacifiquement dans le contexte du génocide perpétré par Israël et de la récente escalade des bombardements et des déplacements massifs de population.

«Il est honteux que les autorités du Hamas exacerbent encore les souffrances des Palestinien·ne·s de Gaza qui subissent des atrocités commises par Israël en intensifiant les menaces et les intimidations à l'encontre de personnes qui osent simplement dire ‘nous voulons vivre’.»
Erika Guevara-Rosas, directrice du programme recherche et campagnes à Amnesty International

Depuis le 25 mars, les habitant·e·s de Beit Lahia, une ville du gouvernorat de Gaza-Nord, ont organisé plusieurs marches pour demander la fin du génocide et des déplacements illégaux perpétrés par Israël. Ces manifestations ont rassemblé des centaines, voire des milliers de Palestinien·ne·s. Les manifestant·e·s ont scandé des slogans et brandi des pancartes critiquant les autorités dirigées par le Hamas à Gaza – certains appelaient à la fin du régime du Hamas. Des manifestations de moindre ampleur ont également eu lieu dans le camp de réfugié·e·s de Jabalia, à Shuja'iya et à Khan Younis, où les manifestant·e·s ont également scandé des slogans contre certain·e·s dirigeant·e·s du Hamas.

« Les autorités du Hamas doivent immédiatement cesser toutes les mesures répressives contre les Palestinien·ne·s qui expriment courageusement et ouvertement leur opposition aux pratiques du Hamas à Gaza. Les informations faisant état de passages à tabac, de menaces et d'interrogatoires sont extrêmement alarmantes et constituent de graves violations du droit à la liberté d'expression et de réunion pacifique », a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice du programme recherche et campagnes à Amnesty International.

« Il est odieux et honteux que, tandis que les Palestinien·ne·s de Gaza subissent des atrocités commises par Israël, les autorités du Hamas exacerbent encore leurs souffrances en intensifiant les menaces et les intimidations à l'encontre de personnes qui osent simplement dire ‘nous voulons vivre’. Les Palestinien·ne·s de Gaza protestent contre les conséquences dévastatrices du génocide perpétré par Israël et des déplacements forcés, ainsi que contre l'incapacité des autorités de Gaza à les protéger contre ces attaques. Iels ont le droit de critiquer les autorités sans craindre de représailles violentes. »

Amnesty International a interrogé 12 personnes – dix hommes et deux femmes – qui ont participé ou organisé des manifestations, ainsi que des membres de la famille de trois autres manifestant·e·s. Les personnes interrogées ont déclaré que leurs proches avaient été menacé·e·s s'ils décidaient de continuer à manifester. Elles ont également décrit des incidents au cours desquels des personnes ayant participé à des manifestations avaient été convoquées pour être interrogées sans procédure formelle, battues à coups de bâtons et, dans certains cas, menacées d'être abattues.

Beaucoup ont exprimé leur crainte que la répression se poursuive, certains proches de manifestant·e·s ayant fait état de menaces et de violences à l'encontre de leurs proches. D'autres ont fait part de leur défiance. Un habitant d'al-Atatra, à Beit Lahia, dont la famille a été décimée lors d'une frappe aérienne israélienne l'année dernière, a déclaré à Amnesty International : « Nous avons le droit de vivre dans la dignité. Nous avons commencé à manifester parce que nous voulons une solution à nos souffrances. Personne ne nous a incités à manifester ni ne nous a dit de le faire. Les gens manifestent parce qu'ils ne peuvent pas vivre, ils veulent que les choses changent... Les forces de sécurité sont venues nous menacer et nous frapper, nous accusant d'être des traîtres, simplement parce que nous avons élevé la voix. Nous continuerons à manifester, quel que soit le risque. »

Il a raconté qu'après une manifestation le 16 avril, des membres des services de sécurité du Hamas l'ont convoqué pour l'interroger, ainsi que plusieurs autres personnes du quartier d'al-Atatra où il vit. Ieles auraient été emmené·e·s dans un bâtiment de Mashrou' Beit Lahia qui avait été transformé en centre de détention improvisé, où une cinquantaine d'hommes armés en civil les auraient battu·e·s :

« J'ai été frappé au cou, dans le dos, avec des bâtons en bois. Ils m'ont crié dessus... Ils m'ont accusé d'être un traître, un collaborateur du Mossad [les services secrets israéliens]. Je leur ai dit que nous étions descendus dans la rue parce que nous voulions vivre, manger et boire... J'ai perdu ma famille dans l'un des pires massacres de cette guerre, cinq de mes frères et sœurs et leurs enfants ont été tués. C'était horrible d'être traité de collaborateur, de voir son patriotisme remis en question, alors que toute ma famille a été exterminée », a-t-il déclaré, ajoutant que le gouvernement de Gaza avait failli à ses citoyen·ne·s et que, même si les gens savent qu'Israël est responsable, ils ont également le sentiment que les autorités du Hamas ne « voient pas leur souffrance. » Il a été libéré après près de quatre heures de détention et d'interrogatoire et s'est vu interdire de participer à toute nouvelle manifestation.

Depuis sa prise de contrôle de Gaza en 2007 et la mise en place d'un appareil de sécurité et de maintien de l'ordre parallèle, le Hamas a imposé de sévères restrictions à la liberté d'association, d'expression et de réunion pacifique, recourant à une force excessive pour réprimer plusieurs mouvements de protestation, notamment en 2019, et procédant régulièrement à des détentions et à des actes de torture à l'encontre de dissident·e·s. Même pendant le génocide en cours perpétré par Israël, les services de sécurité du Hamas ont continué de restreindre la liberté d'expression, notamment en qualifiant les détracteurs de traîtres.

Témoignages

Sept manifestants interrogés par Amnesty International ont déclaré avoir été qualifiés de « traîtres » par des forces de sécurité en civil, qui les ont approchés après les manifestations ou pendant leur interrogatoire. Un manifestant a déclaré : « Ici, à Beit Lahia, nous sommes attachés à notre terre... alors quand nous avons été déplacés, c'était comme si quelqu'un nous avait enlevé toute notre vie. Nous avons appelé nos voisins et nos amis à manifester après les ordres d'évacuation, car nous avions peur d'être à nouveau déplacés. C'était une manifestation contre l'occupation, mais aussi contre le Hamas. Nous voulions qu'ils nous écoutent. »

Il a déclaré qu'au départ, les manifestant·e·s avaient appelé Israël à mettre fin à son génocide, à instaurer un cessez-le-feu et à ouvrir les points de passage vers Gaza. Cependant, beaucoup ont commencé à scander des slogans contre le Hamas, car « les gens sont en colère et en ont assez ».

Il a déclaré à Amnesty International qu'il avait été convoqué à plusieurs reprises pour être interrogé, mais qu'il avait refusé de se rendre au poste jusqu'à ce que des personnes affiliées aux services de sécurité du Hamas se présentent à son domicile le 17 avril. « Ils m'ont frappé avec des bâtons et m'ont donné des coups de poing au visage. Les coups n'étaient pas très violents, je pense qu'il s'agissait plutôt d'une menace. Avant cela, après une manifestation, une personne affiliée au Hamas est venue me voir et m'a menacé de me tirer dans les pieds si je continuais à manifester », a-t-il déclaré.

Au cours de son interrogatoire, il a été accusé d'avoir été recruté par le chef des services de renseignement des autorités palestiniennes basées à Ramallah et d'être payé par les services de renseignement israéliens. « Tout cela n'a aucun sens », a-t-il déclaré. « Ils savent que c'est absurde. Oui, je m'identifie au Fatah [l'autre principal parti politique palestinien], mais à Gaza aujourd'hui, il ne s'agit plus du Hamas ou du Fatah. Nous voulons survivre, nous voulons vivre. »

D'autres habitant·e·s de Beit Lahia ont déclaré que les autorités les avaient menacé·e·s, mais sans aller jusqu'à leur faire de mal physiquement. Un étudiant de 18 ans a déclaré à Amnesty International que des hommes en civil avaient menacé de s'en prendre à lui et à sa famille s'il ne cessait pas de manifester.

Une femme qui a aidé à organiser une veillée menée par des femmes à Beit Lahia a déclaré à l'organisation que son mari et ses enfants avaient été menacés d'arrestation pour avoir participé aux manifestations. Elle a déclaré : « Après les menaces proférées contre les hommes, nous avons voulu faire entendre notre voix en tant que femmes. C'était une petite manifestation, mais nous voulions envoyer un message à nos dirigeants, ainsi qu'à l'occupant [Israël], pour leur dire que nous ne pouvons plus tolérer cette situation. Nous voulons protéger nos enfants, nous voulons vivre. »

Ces derniers jours, les forces israéliennes ont étendu leurs opérations militaires dans toute la bande de Gaza occupée, redéployant des chars à Beit Lahia et forçant la plupart des habitant·e·s à fuir. Une femme déplacée de Beit Lahia vers le camp de réfugié·e·s de Shati, dans la ville de Gaza, le 16 mai, a déclaré à Amnesty : « Nous avons manifesté contre le Hamas et contre la guerre, et maintenant nous sommes à nouveau déplacé·e·s par Israël. »

Faisant référence à une déclaration du porte-parole du Hamas, Sami Abu Zuhri, qui a déclaré : « La maison sera reconstruite et le martyr... nous le reproduirons dix fois », elle a déclaré à Amnesty : « Ils [les dirigeants du Hamas] se moquent de nos souffrances. Même si je reconstruis ma maison qui a été détruite, les souvenirs et la vie que j'avais là-bas ne seront jamais reconstruits. Ma cousine a perdu son mari et ses trois enfants dans une frappe israélienne. Peut-il la regarder et lui dire que ses enfants seront reproduits ? »

Les critiques à l'égard des propos de Sami Abu Zuhri et d'autres déclarations de dirigeant·e·s du Hamas qui semblent minimiser les souffrances des Palestinien·ne·s à Gaza ont été exprimées par des personnes déplacées qui ont organisé une manifestation spontanée lorsque Khan Younis a reçu un « ordre d'évacuation » massif le 19 mai 2025.

« Les autorités de Gaza doivent permettre aux manifestant·e·s pacifiques, aux dissident·e·s et aux journalistes d'exercer leurs droits sans intimidation, harcèlement ou violence. Les interrogatoires des manifestant·e·s doivent cesser immédiatement, et les responsables des violences ou des menaces doivent être tenus pour responsables. Les autorités de Gaza doivent respecter les droits de la population de Gaza et la protéger, à un moment où sa survie est en jeu », a ajouté Erika Guevara-Rosas.

Contexte

La récente répression des manifestations dans la bande de Gaza occupée s'inscrit dans le contexte du génocide en cours perpétré par Israël et d'une crise humanitaire sans précédent. Le 2 mars, Israël a complètement coupé l'approvisionnement en aide humanitaire et en autres articles indispensables à la survie des civils. Le siège total de 77 jours, qu’Israël a légèrement mais insuffisamment assoupli sous la pression internationale, et les restrictions sévères qui persistent constituent une tentative claire et calculée de punir collectivement plus de deux millions de civils et de contribuer à la création de conditions de vie conduisant à la destruction physique des Palestinien·ne·s à Gaza.