Tous les habitants de la ville de Tawargha, soit quelque 40 000 personnes, en ont été chassés par des groupes armés de Misratah qui les accusaient de soutenir le gouvernement du colonel Kadhafi. Amnesty International publie à l'occasion du deuxième anniversaire de la fin du conflit une synthèse intitulée Barred from their homes qui met en lumière le fait que les Tawarghas continuent à subir des discriminations, des enlèvements et des placements arbitraires en détention, ainsi que des menaces et des attaques de représailles de la part de milices qui agissent au mépris de la loi.
«Deux ans après le conflit, les Tawarghas et d'autres communautés déplacées attendent toujours que justice leur soit rendue et que des réparations effectives leur soient accordées pour les violences subies. Ils sont encore nombreux à souffrir de discriminations et à vivre dans des camps qui manquent de moyens, sans aucune solution en vue», a indiqué Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d'Amnesty International.
Aujourd'hui, Tawargha est une ville fantôme. Les combattants anti-Kadhafi, cherchant vengeance pour les crimes de guerre qu'ils accusent les Tawarghas d'avoir commis à Misratah au nom du colonel Kadhafi, ont pillé et incendié leurs maisons. Pourchassés par les milices pendant des mois après le conflit, des Tawarghas ont été arbitrairement arrêtés, torturés ou tués.
Des miliciens continuent à les menacer et à les attaquer dans les camps, disant qu'ils feront tout pour les empêcher de retourner dans leur ville. Les autorités, quant à elles, n'ont pas garanti leur retour dans de bonnes conditions de sécurité; elles ont à plusieurs reprises tenté de les dissuader de retourner, invoquant des raisons de sécurité.
«Ce qui est inimaginable, c'est que l'on a demandé aux victimes de violences de renoncer à leur droit à un retour sûr, alors que les milices et les autres auteurs de menaces ne sont pas inquiétés, a dit Hassiba Hadj Sahraoui. Il est juste que les habitants de Misratah puissent demander des comptes pour les crimes de guerre commis dans leur ville, mais la justice ne doit pas être sélective et une communauté tout entière ne doit pas être punie de manière collective.»
Des dizaines de milliers de déplacés
En tout quelque 65 000 personnes sont déplacées à travers la Libye. Aux Tawarghas s'ajoutent des membres de la tribu des Mashashyas des monts Nafusah, des habitants de Syrte et de Bani Walid, et des Touaregs de Ghadamés. Les Tawarghas, qui sont des Libyens noirs, sont parmi ceux qui ont le plus souffert.
Selon les estimations, on est sans nouvelles de plus de 1 300 d'entre eux. Soit ils sont détenus, soit ils ont été victimes de disparition forcée, essentiellement à Misratah. La plupart ont été capturés par des milices et maltraités, voire torturés. Parmi les sévices subis en détention figurent les décharges électriques et les coups de fouet, de barre métallique ou de tuyau d'arrosage.
Plusieurs centaines de Tawarghas, dont des enfants, sont détenus depuis plus de deux ans dans des prisons d'État, n’ont été ni inculpés ni jugés et vivent dans des conditions déplorables, sans soins appropriés ni visites familiales régulières. Les familles de Tawarghas détenus craignent d'être attaquées en représailles chaque fois qu'elles se rendent à Misratah. Dans la prison de Wahda, à Misratah, les représentants d'Amnesty International ont rencontré neuf mineurs qui étaient détenus sans inculpation depuis leur arrestation en 2011.
Zone de non-droit
La Libye fait face actuellement à la crise politique et de sécurité la plus grave depuis le conflit de 2011. L'État de droit a souffert du manque généralisé de respect de la loi, des détentions arbitraires, des enlèvements et des attaques que des milices liées à l'État ont lancées contre des institutions gouvernementales. Malgré ces problèmes, les autorités libyennes se doivent d'assurer la protection des communautés déplacées à travers le pays, qui sont parmi les groupes les plus vulnérables. «Il faudra du temps pour trouver une solution durable au problème des déplacés en Libye. Dès maintenant, toutefois, si les autorités prennent certaines mesures elles montreront qu'elles tiennent réellement à respecter les droits des Tawarghas et des autres communautés. Il n'y a aucune raison que ces personnes ne bénéficient pas de leur droit à l'éducation et à un niveau de vie suffisant, à l'instar de tous les autres Libyens.»
Le mois dernier, le Congrès général national libyen a donné son accord de principe à une loi relative à la justice de transition. Celle-ci comprend une série de mesures aux termes desquelles les victimes de violations des droits humains perpétrées pendant et après le régime de Kadhafi pourront connaître la vérité et obtenir réparation et leurs auteurs devront rendre des comptes. Le texte, qui attend un dernier vote avant de prendre force de loi, porte création d'une Commission d'établissement des faits et de réconciliation chargée, entre autres, de se pencher, sans discrimination, sur la situation des personnes déplacées.