Image symbolique (après expiration des droits à l'image de l'image originale) / Affige à Benghazi "Yes to a country of law and institutions" © Amnesty International
Image symbolique (après expiration des droits à l'image de l'image originale) / Affige à Benghazi "Yes to a country of law and institutions" © Amnesty International

Libye Régner par la terreur

19 décembre 2022
Le groupe armé Tariq Ben Zeyad terrorise les populations depuis son apparition en 2016, en se livrant à une longue liste d'actes horribles tels que des homicides illégaux, actes de torture, mauvais traitements, disparitions forcées et viols.

La crise d’impunité qui perdure en Libye permet aux combattants du groupe armé Tariq Ben Zeyad (TBZ) de commettre des crimes de guerre et autres crimes de droit international, dans le but d’écraser toute remise en cause des Forces armées arabes libyennes (FAAL), les autorités de facto contrôlant de vastes zones de ce pays divisé, écrit Amnesty International le 19 décembre 2022 dans une nouvelle synthèse.

Intitulée «We are your masters»: Rampant crimes by the Tariq Ben Zeyad armed group, cette synthèse expose en détail le fait que le groupe armé Tariq Ben Zeyad, dirigé par Saddam Haftar, fils du commandant général des FAAL, Khalifa Haftar, et son bras droit Omar Imraj, prennent régulièrement pour cibles des milliers de détracteurs et opposants présumés ou réels des FAAL.

«Depuis son apparition en 2016, le groupe armé Tariq Ben Zeyad (TBZ) terrorise les populations dans les zones contrôlées par les FAAL, se livrant à une longue liste d’actes horribles – homicides illégaux, actes de torture et mauvais traitements, disparitions forcées, viols et autres violences sexuelles, ainsi que déplacements forcés – sans craindre aucunement les conséquences, a déclaré Hussein Baoumi, chercheur sur l’Égypte et la Libye à Amnesty International.

«Il est grand temps qu’une enquête pénale soit ouverte sur la chaîne de commandement de Saddam Haftar et Omar Imraj. Dans l’attente des résultats, ils doivent immédiatement être suspendus de leur poste qui leur permet de perpétrer de nouvelles violations ou d’interférer dans les investigations. Les FAAL doivent aussi fermer tous les centres de détention non officiels gérés par le TBZ et libérer toutes les personnes détenues arbitrairement.»

Entre février et septembre 2022, Amnesty International a interrogé 38 anciens et actuels habitant·e·x·s des zones contrôlées par les FAAL, dont des anciens détenus, des personnes déplacées à l’intérieur du pays, des commandants militaires et des combattants, certains entretiens ayant été menés lors d’une mission sur le terrain en Libye et d’autres à distance. Elle a examiné des déclarations officielles et des preuves audiovisuelles concernant le TBZ. Le 3 octobre 2022, elle a fait parvenir ses conclusions au Gouvernement d'unité nationale, basé à Tripoli, et au bureau du procureur général, ainsi qu’au commandant général des FAAL afin qu’ils puissent les commenter, mais aucun n’a répondu avant la publication de ce rapport.

Enlèvements, homicides illégaux, torture

Les conclusions d’Amnesty International portent sur les cas de 25 personnes victimes de détentions arbitraires et de disparitions forcées aux mains du TBZ entre 2017 et 2022, en raison de leurs opinions politiques ou de leurs affiliations tribales, familiales ou régionales.

Trois personnes détenues, qui avaient été victimes de disparitions forcées, ont été retrouvées mortes par la suite, leurs corps abandonnés dans la rue ou dans des morgues à Benghazi. Des blessures par balles ou des marques de torture étaient clairement visibles. On est toujours sans aucune nouvelle de quatre autres personnes.

Trois opposants présumés aux FAAL sont toujours détenus de manière arbitraire par le TBZ. Quinze autres ont été libérés : certains ont passé pas moins de cinq années derrière les barreaux, sans inculpation ni jugement par des tribunaux civils, d’autres ont payé des rançons exorbitantes. Toutes les personnes libérées ont déclaré avoir été soumises à la torture et aux violations, notamment aux coups, à la flagellation ou à la suspension régulière dans des postures contorsionnées.

D’après un ancien agent des services de renseignement libyens, le TBZ l’a enlevé parce qu’il avait refusé de coopérer avec eux. Ils l’ont détenu pendant quatre ans dans l’une de leurs bases à Benghazi, où il a été torturé et menacé de viol. Il a déclaré que les combattants du TBZ l’avaient contraint à s’agenouiller et à dire : «Le général Khalifa Haftar est mon maître.»

Deux anciens détenus, interrogés séparément, ont déclaré avoir vu au moins cinq prisonniers mourir sous la torture, ou être privés de soins médicaux, entre 2017 et 2021, dans des centres de détention contrôlés par ce même groupe armé.

Déplacements forcés et expulsions

Depuis fin 2021, le TBZ est impliqué dans le déplacement forcé de milliers de personnes réfugiées et migrantes dans la ville de Sebha et alentour. Amnesty International a analysé des publications sur les réseaux sociaux et une page Facebook gérée par l’un de ses membres, sur laquelle on voit régulièrement des membres du TBZ faire monter des personnes réfugiées et migrantes à bord de camions en partance pour la frontière avec le Niger afin de « débarrasser » la Libye des « migrants en situation irrégulière ». Les personnes expulsées, privées du droit de déposer une demande d’asile ou de contester leur expulsion, ont été abandonnées dans le désert, sans eau ni nourriture.

Le TBZ est également impliqué dans le déplacement forcé de milliers de familles libyennes lors des campagnes militaires menées par les FAAL pour prendre le contrôle des villes de Benghazi et Darnah, dans l'est de la Libye, entre 2014 et 2019. Amnesty International a interrogé les membres de sept familles de l'est de la Libye soupçonnées de s'opposer aux FAAL. Ils ont déclaré que les combattants du TBZ avaient menacé de les tuer s'ils ne quittaient pas l'est de la Libye. Le groupe armé a ensuite saisi leurs maisons, et ils restent dispersés dans l'ouest du pays.

Chaîne de commandement

D’après les éléments de preuve recueillis par Amnesty International, dont des récits de témoins, des matériels audiovisuels et des déclarations officielles, Saddam Haftar, leader de facto du groupe, et Omar Imraj, théoriquement commandant mais dans les faits commandant en second qui exerce son contrôle sur les opérations quotidiennes, savaient au auraient dû savoir que leurs subordonnés commettaient des crimes, mais n’ont rien fait pour prévenir ces agissements ni sanctionner les responsables.

Ils étaient, pour le moins, pleinement informés des violations commises dans les centres de détention contrôlés par le TBZ. D’après d’anciens prisonniers, Omar Imraj se rendait régulièrement au centre de Sidi Faraj, situé à l’est de Benghazi, et s’entretenait avec des détenus présentant des signes visibles de torture. D’après cinq anciens détenus, Saddam Haftar les a menacés, lorsqu’ils l’ont rencontré en personne, soit avant, soit après leur libération, de prolonger ou renouveler leur détention parce qu’ils contestaient les FAAL.

Un militant victime pendant des mois d’une disparition forcée et de torture aux mains du TBZ a déclaré que Saddam Haftar l'avait menacé lors de sa libération : « Tu as le choix. Soit tu travailles pour nous, soit tu vis comme un animal qui mange et dort sans espoir, sans rêves ni aspirations. »

Plusieurs proches d’anciens détenus ont indiqué avoir supplié directement Saddam Haftar et Omar Imraj, les implorant de libérer leurs proches. Un ancien détenu a informé Saddam Haftar au sujet des violations commises dans le centre de détention, mais celui-ci n’a rien fait pour y mettre fin.

« Si la communauté internationale ne change pas d’approche vis-à-vis de la Libye pour accorder la priorité aux droits humains plutôt qu'à des intérêts politiques à court terme, d'innombrables personnes vivant à la merci du groupe armé Tariq Ben Zeyad risquent d'être enlevées, tuées, torturées ou de disparaître. Tous les États doivent exercer leur compétence universelle pour enquêter sur les commandants et les membres du TBZ soupçonnés d'être responsables de crimes de droit international et, lorsqu'il existe des preuves recevables suffisantes, émettre des mandats d'arrêt et engager des poursuites », a déclaré Hussein Baoumi.

Complément d’information

Depuis 2011, la Libye s’est enlisée dans un conflit armé et des divisions politiques, avec des gouvernements parallèles, chacun soutenu par des milices et des groupes armés qui n’ont aucun compte à rendre, et chacun revendiquant sa légitimité. Les FAAL contrôlent et exercent des fonctions similaires à celles d’un gouvernement à Benghazi, la deuxième plus grande ville de Libye, et dans de larges zones de l’Est et du Sud du pays.

Le groupe armé Tariq Ben Zeyad (TBZ) est l'un des plus importants et des plus influents agissant sous l'égide des Forces armées arabes libyennes (FAAL). Il est composé de soldats de carrière ayant combattu aux côtés de Mouammar Kadhafi en 2011 et de combattants issus de tribus alliées aux FAAL.