Les représentants d'Amnesty International se sont entretenus avec 105 travailleuses migrantes qui vivent au Qatar au domicile de leur employeur et y effectuent des travaux domestiques. Il ressort clairement de ces discussions que leurs droits sont toujours violés, malgré le fait que le gouvernement des États du Golfe ait introduit des réformes pour améliorer les conditions de travail des travailleurs migrants.
Sur les 105 femmes interrogées par Amnesty International, 90 ont déclaré travailler régulièrement plus de 14 heures par jour, 89 travaillaient régulièrement sept jours par semaine, et 87 se sont vues confisquer leur passeport par leur employeur.
En 2017, le Qatar a adopté la Loi sur les travailleurs domestiques, qui fixe la durée maximale de la journée de travail, prévoit des pauses quotidiennes obligatoires, un jour de repos hebdomadaire et des congés payés. Trois ans plus tard, sur les 105 femmes interrogées par Amnesty International, 90 ont déclaré travailler régulièrement plus de 14 heures par jour, 89 travaillaient régulièrement sept jours par semaine, et 87 se sont vues confisquer leur passeport par leur employeur. La moitié d’entre elles travaillaient plus de 18 heures par jour, la plupart sans un seul jour de congé. Certaines ont signalé ne pas percevoir la totalité de leur salaire, tandis que 40 ont raconté les insultes, les gifles ou les crachats.
Cinq femmes ont affirmé avoir été victimes d'abus sexuels de la part de leur employeur ou de membres de leur famille. Les abus sexuels allaient du harcèlement au viol. La plupart des femmes estimaient qu'elles ne pouvaient pas se plaindre à la police par crainte de représailles.
Au moins 23 des femmes interrogées ont déclaré qu'on ne leur donnait pas assez à manger et qu'elles avaient souvent faim pendant leur travail au Qatar. Certaines femmes ont déclaré qu'elles devaient dormir dans des chambres beaucoup trop petites, parfois à même le sol ou sans climatisation. Ces déclarations sur les mauvaises conditions de vie montrent clairement que les autorités qataries n'inspectent pas les lieux de travail.
On compte environ 173 000 travailleurs·euses domestiques étrangers au Qatar. Certaines des femmes interrogées par Amnesty International occupaient toujours leur poste. D’autres avaient quitté leur emploi et étaient restées au Qatar, d’autres encore étaient rentrées chez elles. Tout comme elles, les employeurs·euses qu’elles décrivent sont originaires de pays très divers.
Des réformes insuffisantes
«L’adoption en 2017 de la loi sur les travailleurs domestiques fut un pas en avant vers la protection des droits des travailleuses et travailleurs au Qatar. Hélas, les témoignages de ces femmes montrent clairement que ces réformes ne sont pas dûment mises en œuvre ni appliquées», a déclaré Steve Cockburn, responsable du programme Justice sociale et économique à Amnesty International.
De nombreuses femmes rencontrent des obstacles pour signaler aux autorités les abus et les crimes commis par leurs employeurs, et les violations restent largement impunies.
Les abus documentés dans le rapport «‘Why do you want to rest?‘ – Ongoing abuse of domestic workers in Qatar» sont le résultat de plusieurs facteurs, notamment le manque de mécanismes de contrôle pour assurer le respect de la loi sur les travailleurs domestiques et le système de parrainage, qui donne aux employeurs du Qatar un pouvoir disproportionné sur leurs employés. De nombreuses femmes rencontrent des obstacles pour signaler aux autorités les abus et les crimes commis par leurs employeurs, et les violations restent largement impunies.
Ce n'est que récemment que le Qatar a introduit un salaire minimum et aboli la règle selon laquelle les travailleurs doivent obtenir l'autorisation de leur employeur pour changer d'emploi ou quitter le pays. Ces réformes juridiques peuvent permettre aux travailleurs d'échapper plus facilement aux employeurs qui les exploitent, mais il est peu probable qu'elles réduisent de manière significative les abus ou améliorent sensiblement les conditions de travail des travailleurs domestiques. Cela nécessiterait l'introduction de mesures supplémentaires pour renforcer la protection des droits des travailleurs et assurer leur application.
Impunité
Le Qatar manque à son devoir d’amener les employeurs·euses abusifs à rendre des comptes et peu d’éléments permettent donc de prévenir de futurs abus. Des pratiques comme la confiscation des passeports et le non-paiement des salaires, preuves d’un travail forcé, ne font pas systématiquement l’objet d’investigations et les responsables n’ont pas grand-chose à craindre, même lorsqu’ils refusent de restituer les passeports ou de verser les salaires dus.
Un problème majeur dans le système actuel est que les travailleuses domestiques courent le risque de perdre leur statut juridique, leurs revenus et leur logement pendant que leurs plaintes sont traitées. Elles auraient donc besoin d'un logement sûr et de moyens de subsistance sûrs pendant toute la durée du processus. Tant qu'il n'y a pas de logement public en état de fonctionnement, la plupart des femmes n'ont pas la possibilité de déposer une plainte.
Les affaires de violences physiques et sexuelles sont traitées par des juridictions pénales, mais le fait que les employées domestiques dépendent de leurs employeurs pour le logement et la situation à l’égard de la loi, ajouté au manque de confiance vis-à-vis du système, les dissuade trop souvent de porter plainte. Aussi des crimes graves restent-ils impunis.