Au Qatar, les ouvriers migrants qui travaillent dans les chantiers en vue de la Coupe du monde 2022 sont soumis à une chaleur extrême © Amnesty International
Au Qatar, les ouvriers migrants qui travaillent dans les chantiers en vue de la Coupe du monde 2022 sont soumis à une chaleur extrême © Amnesty International

Qatar - Coupe du monde 2022 L’absence d’enquête sur la mort de travailleurs migrants plonge les familles dans le désespoir

Communiqué de presse du 26 août 2021. Londres/Berne. Contact du service de presse
Les autorités qatariennes n’ont pas enquêté sur les décès de plusieurs milliers de travailleurs migrants survenus au cours de la dernière décennie, alors qu’un lien a été établi entre leur mort prématurée et leurs conditions de travail dangereuses sur les chantiers.

Le nouveau rapport de l’organisation, intitulé Fauchés dans la fleur de l'âge, présente des informations qui montrent que le Qatar délivre régulièrement des certificats de décès pour des travailleurs migrants sans avoir mené les enquêtes adéquates, attribuant la mort à des « causes naturelles » ou à de vagues problèmes cardiaques. Ces attestations – considérées par un médecin légiste de premier plan comme « dénuées de sens », excluent toute possibilité d’indemnisation pour les familles, qui pour beaucoup ont de graves difficultés financières du fait du décès du principal soutien de famille.   

Amnesty International a attiré l’attention sur les dangers que représentent pour les travailleurs les conditions climatiques extrêmes du Qatar, en particulier quand elles sont associées à un travail physiquement exténuant et d’une durée excessive. Le Qatar a récemment adopté de nouvelles dispositions pour protéger les travailleurs, mais certains dangers majeurs persistent et les autorités n’ont guère pris de mesures pour enquêter sur le nombre élevé de décès liés à la chaleur.

« Si ces travailleurs ont été exposés à des conditions dangereuses telles qu’une chaleur extrême, et si aucune autre cause n’a pu être établie pour leur mort, le Qatar doit alors indemniser de façon adéquate les familles, et prendre immédiatement les mesures nécessaires pour renforcer la protection des autres travailleurs. »Steve Cockburn, responsable du programme Justice économique et sociale à Amnesty International. 

« Quand des hommes relativement jeunes et en bonne santé meurent soudainement après de longues heures de travail par une chaleur extrême, cela incite à s'interroger sur la sécurité des conditions de travail au Qatar. En s’abstenant d’enquêter sur les causes sous-jacentes de la mort de ces travailleurs migrants, les autorités qatariennes ne tiennent aucun compte des signaux d’alarme qui auraient pourtant permis de sauver des vies. Il s’agit d’une violation du droit à la vie », a déclaré Steve Cockburn, responsable du programme Justice économique et sociale à Amnesty International. 

« Nous demandons aux autorités qatariennes d’enquêter de façon exhaustive sur tous ces décès de travailleurs migrants. Si ces travailleurs ont été exposés à des conditions dangereuses telles qu’une chaleur extrême, et si aucune autre cause n’a pu être établie pour leur mort, le Qatar doit alors indemniser de façon adéquate les familles, et prendre immédiatement les mesures nécessaires pour renforcer la protection des autres travailleurs. L’absence d’enquête, de réparation et de mesures visant à empêcher la mort de travailleurs migrants constitue une violation de l’obligation qui incombe au Qatar de défendre et protéger le droit à la vie. »

Des experts en épidémiologie ont indiqué que dans un système de santé doté de ressources suffisantes, il devrait être possible de déterminer la cause exacte de la mort dans 99 % des cas ; or, les données qu’Amnesty a examinées provenant de pays qui fournissent une grande partie de la main d’œuvre montrent que le taux de décès inexpliqués de travailleurs migrants au Qatar est proche des 70 %. 

il devrait être possible de déterminer la cause exacte de la mort dans 99 % des cas ; or, les données qu’Amnesty a examinées montrent que le taux de décès inexpliqués de travailleurs migrants au Qatar est proche des 70 %. 

De nombreux décès inexpliqués

Amnesty International a examiné 18 certificats de décès de travailleurs migrants délivrés par le Qatar entre 2017 et 2021. Quinze de ces documents ne fournissent aucune information sur les causes sous-jacentes du décès, se contentant d’indiquer : « insuffisance cardiaque aiguë causes naturelles », « insuffisance cardiaque non spécifiée » et « insuffisance respiratoire aiguë due à des causes naturelles ».   

Des expressions similaires ont été utilisées dans les rapports concernant plus de la moitié des 35 décès qui ont été enregistrés comme n’étant « pas liés au travail » et qui sont survenus sur des chantiers de la Coupe du monde depuis 2015, ce qui incite à penser que des enquêtes dignes de ce nom n’ont probablement pas été menées sur ces cas. 

Le docteur David Bailey, pathologiste de renom et membre du Groupe de travail de l’OMS sur la certification des décès, a dit à Amnesty International : « Il s’agit d’expressions qui ne devraient pas figurer sur un certificat de décès si elles ne s’accompagnent pas de précisions expliquant les causes sous-jacentes. Fondamentalement, tout le monde meurt des suites d’une insuffisance respiratoire ou cardiaque, et ces expressions sont dénuées de sens en l’absence d’une explication en précisant les raisons. »

L’examen par Amnesty des données sur les décès provenant de diverses sources indique que les décès de travailleurs migrants sont dans une grande mesure inexpliqués. Les statistiques officielles du Qatar indiquent que plus de 15 021 personnes non qatariennes – de tous âges et de toutes professions – sont mortes entre 2010 et 2019, mais les données sur la cause du décès ne sont pas fiables en raison de l’absence d’enquêtes, ce qui a été documenté par Amnesty.  

Le fait qu’un grand nombre de décès soient indiqués comme étant dus à des « maladies cardiovasculaires » dans les statistiques du Qatar masque le fait qu’un grand nombre de ces décès sont, en réalité, non expliqués. Cela transparait également dans les statistiques sur les décès de pays d’Asie du Sud, d’où viennent la grande majorité de ces travailleurs migrants.   

Par exemple, les statistiques officielles du Bangladesh montrent que 71 % des décès de ressortissants de ce pays enregistrés au Qatar entre novembre 2016 et octobre 2020 ont été attribués par les autorités qatariennes à des « causes naturelles ». Une enquête parue dans The Guardian montre aussi que 69 % des décès de travailleurs indiens, népalais et bangladais enregistrés entre 2010 et 2020 ont été attribués à des causes naturelles. 

Dangers que représente pour la santé une chaleur extrême 

L’obligation qui incombe aux États de protéger le droit à la vie, et leur obligation de garantir des conditions de travail et un environnement sains, comprennent l’adoption de lois ou d’autres mesures pour protéger la vie face à des menaces raisonnablement prévisibles. L’un de ces risques les plus documentés et prévisibles pour la vie et la santé des travailleurs et travailleuses au Qatar est l’exposition à une chaleur et une humidité extrêmes, qui a fait l’objet de nombreux rapports. 

Une étude parue en 2019 dans la revue Cardiology a établi une corrélation entre la chaleur et la mort d’ouvriers népalais au Qatar, indiquant que « pas moins de 200 des 571 décès cardiovasculaires sur la période 2009-2017 pourraient avoir été évités » avec des mesures efficaces de protection contre la chaleur.  

En 2019, le gouvernement du Qatar a commandé une enquête sur cette question au laboratoire FAME basé en Grèce. Cette étude a indiqué que des travailleurs ne bénéficiant que de la protection minimale prévue par la législation qatarienne à l’époque étaient exposés à un risque sensiblement plus élevé d’hyperthermie qu’un groupe d’ouvriers travaillant sur un chantier de la Coupe du monde, où les travailleurs sont généralement mieux protégés.

Une étude parue en 2019 dans la revue Cardiology a établi une corrélation entre la chaleur et la mort d’ouvriers népalais au Qatar, indiquant que « pas moins de 200 des 571 décès cardiovasculaires [de travailleurs migrants népalais] sur la période 2009-2017 pourraient avoir été évités » avec des mesures efficaces de protection contre la chaleur.  

Jusque récemment, la principale protection contre le stress dû à la chaleur dans le cadre du travail au Qatar était une interdiction du travail à l’extérieur à certaines heures entre le 15 juin et le 31 août. Il n’existait aucune restriction pour le reste de l’année. En mai 2021, le Qatar a élargi cette période d’interdiction concernant certaines plages horaires en été, qui court désormais du 1er juin au 15 septembre, et mis en place de nouvelles exigences, notamment avec l’interdiction du travail à l’extérieur quand l’indice mesurant la chaleur et l’humidité atteint 32 degrés. Ces nouvelles dispositions législatives accordent en outre aux travailleurs le droit de cesser de travailler et de porter plainte auprès du ministère du Développement administratif, du Travail et des Affaires sociales en cas de préoccupations liées au stress thermique.  

La nouvelle réglementation améliore la protection des travailleurs, mais il est très inquiétant de constater qu’elle n’impose pas de période de repos obligatoire proportionnelle aux conditions climatiques et à la nature du travail accompli. Au lieu de cela, elle accorde aux travailleurs le droit de travailler « à leur propre rythme » quand il fait chaud.

Compte tenu de l’extrême inégalité des relations de pouvoir entre les employé·e·s et les employeurs ou employeuses au Qatar, les experts consultés par Amnesty ont souligné que de nombreux travailleurs ne vont probablement pas être en mesure de respecter « leur propre rythme », et que la sécurité des travailleurs « dépend de façon critique » des pauses obligatoires.   

« Tous nos rêves ont été brisés »  

Aucune des familles qu’Amnesty a interrogées ne s’est vu proposer une quelconque forme d’examen post-mortem pour déterminer les causes sous-jacentes du décès de leur proche. Il n’a donc pas pu être établi si les conditions de travail ont contribué au décès, ce qui a exclu la possibilité d’une indemnisation soit par l’employeur soit par les autorités qatariennes.  

Amnesty International appelle le Qatar à renforcer sa législation pour protéger les travailleurs contre la chaleur extrême, avec des dispositions rendant obligatoires les pauses à la mesure des risques encourus, et à améliorer le processus d’enquête, de certification et d’indemnisation en cas de décès de travailleurs migrants. 

FIFA et ASF doivent faire pression sur le Qatar

Amnesty International Suisse appelle la FIFA et toutes les fédérations nationales de football, dont l’Association suisse de football – membre de la FIFA et du groupe de travail sur le Qatar, à user de leur influence sur le gouvernement qatari pour qu'il mette en œuvre rapidement et intégralement ses réformes relatives aux droits du travail, et veille à ce que plus aucune violations des droits humain et plus aucun décès n’ait lieu sur les chantiers, dans les projets d’infrastructures et les services de la Coupe du monde. La FIFA doit aussi s’assurer que les violations commises dans le cadre de la préparation de la Coupe du monde 2022 soient recensées et indemnisées.