© Nagar Lachhu
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Qatar Réforme du droit du travail : promesses non tenues

Communiqué de presse du 20 octobre 2022, Londres/Berne. Contact du service de presse
Le Qatar ne semble pas avoir tenu ses promesses. C’est ce qui ressort des nouvelles recherches menées par Amnesty International, qui demande que les autorités du Qatar mettent pleinement en œuvre les réformes du droit du travail et garantissent leur pérennité après la Coupe du monde de football.

À un mois du coup d’envoi de la Coupe du monde de football, Amnesty International réitère son appel à la FIFA et au Qatar en faveur de la création d’un fonds d’indemnisation destiné aux travailleurs·euses migrant·e·s victimes d’abus. L’organisation publie aujourd’hui « Unfinished business: What Qatar must do to fulfil promises on migrant workers’ rights », sa dernière synthèse avant le tournoi. Le rapport revient sur les conditions des travailleuses et travailleurs migrant·e·s et demande aux autorités qataries de réaffirmer leur engagement à mettre pleinement en œuvre les réformes du droit du travail promises, dès à présent mais aussi après la Coupe du monde. Car comme le révèle le document, les atteintes aux droits humains demeurent très répandues à travers le pays.

À ce jour, sept associations nationales de football soutiennent la demande d'Amnesty International en faveur d’un fond d'indemnisation pour les travailleurs·euses migrant·e·s au Qatar. Notamment les associations nationales de Belgique, de France, d'Allemagne, des Pays-Bas, des États-Unis, du Pays de Galles et d'Angleterre. Jusqu'à présent, il n'y a pas eu d'engagement écrit clair de la part de l'Association suisse de football.

«Malgré un soutien immense en faveur de l’indemnisation des travailleuses et travailleurs migrants parmi les supporters, les associations de football et les sponsors, le Qatar et la FIFA ne bougent pas.»Lisa Salza, responsable sport et droits humains à la Section suisse d’Amnesty International.

La réforme du secteur du travail initiée en 2017 au Qatar s’est traduite par des progrès notables pour les deux millions de travailleurs·euses migrant·e·s du pays, dont des centaines de milliers ont été embauché·e·s sur des projets essentiels à la tenue de la Coupe du monde. Cependant, l’amélioration de la situation est limitée par une application et une mise en œuvre lacunaires des réformes. Des milliers d’employé·e·s, sur tous types de projets, sont encore confronté·e·s à des problèmes tels que le retard ou le non-paiement des salaires, la privation de jours de repos, les conditions de travail dangereuses, les difficultés pour changer d’emploi et l’accès limité à la justice, tandis que des milliers de décès n'ont toujours pas fait l'objet d'investigations.

« Si le Qatar a fait des progrès importants en matière de droit du travail depuis cinq ans, il est clair que le chemin à parcourir est encore très long. Des milliers de travailleurs demeurent pris au piège du cycle habituel d’exploitation et d’abus du fait de failles dans la législation et d’une application insuffisante », a déclaré Lisa Salza, responsable sport et droits humains à la Section suisse d’Amnesty International.

Amnesty International demande aux autorités qatariennes d’améliorer la protection et les droits des travailleurs·euses migrant·e·s, de leur verser des salaires équitables pour le travail effectué et de leur permettre d'accéder à la justice pour obtenir réparation.

«Malgré le soutien important des supporters, des clubs de football et des sponsors, ni le Qatar ni la FIFA ne n’ont encore pris d’engagement ferme sur la demande d'indemnisation des travailleur·euse·s migrant·e·s. La Coupe du monde débute dans un mois; le Qatar et la FIFA doivent donc agir de toute urgence», déclare Lisa Salza.

Des failles dans la nouvelle législation ainsi qu'une application insuffisante de cette dernière laissent les travailleurs·euses migrant·e·s à la merci d’abus. © AFP via Getty Images

Réformes insuffisantes

Parmi les réformes promulguées par le Qatar depuis 2017, citons la loi réglementant les conditions de travail des employé·e·s de maison, la mise sur pied de tribunaux spécialisés dans le droit du travail pour améliorer l’accès à la justice, la création d’un fonds destiné au versement d’indemnités pour les salaires impayés, ainsi que la fixation d’un salaire minimum. Le pays a également ratifié deux traités internationaux majeurs relatifs aux droits humains, sans reconnaître toutefois le droit des personnes migrantes d’adhérer à un syndicat. L'instance qatarienne en charge de l'organisation de la Coupe du monde 2022, le Comité suprême, a également adopté des normes renforcées pour protéger les travailleurs∙euses, mais uniquement sur les sites officiels du tournoi tels que les stades, ce qui ne couvre qu’une petite partie des projets indispensables à la tenue de ce grand événement et seulement 2 % de la main d'œuvre au Qatar.

Tout en saluant ces réformes importantes, Amnesty International propose dans son rapport un plan d’action visant à remédier aux lacunes qui perdurent. Aussi engage-t-elle les autorités qataries à appliquer et consolider les protections relatives au droit du travail, à accroître le pouvoir d’action des travailleurs et travailleuses, à veiller au versement des salaires et à garantir l’accès à la justice et à des recours.

Les employé·e·s domestiques travaillent généralement entre 14 et 18 heures par jour, sans un seul jour de repos hebdomadaire, isolé·e·s dans des résidences privées. 

Au Qatar, les travailleurs·euses migrant·e·s continuent de subir de très nombreuses atteintes aux droits humains, notamment dans les secteurs de l’emploi domestique et de la sécurité. Les employé·e·s domestiques travaillent généralement entre 14 et 18 heures par jour, sans un seul jour de repos hebdomadaire, isolé·e·s dans des résidences privées. Quant aux gardiens, ils sont bien souvent privés de leurs jours de repos et contraints de travailler sous la menace de sanctions, telles que des retenues arbitraires de salaire ou la confiscation de leur passeport, alors que ces pratiques bafouent la loi du pays.

La mort de milliers de travailleuses et travailleurs migrants au cours des 10 dernières années et au-delà, dans le cadre de projets liés à la Coupe du monde ou non, demeure inexpliquée. Plusieurs centaines de ces décès sont probablement dus à la chaleur extrême. La nouvelle loi sur la chaleur est une avancée, mais doit être renforcée afin de s’aligner sur les normes internationales et de protéger dûment les personnes travaillant à l’extérieur. Bien qu'il soit prouvé que le stress thermique représente un risque majeur pour la santé, les autorités qataries ne font pas grand-chose pour enquêter sur ces décès, les confirmer ou y remédier, loin des meilleures pratiques internationales.

Les changements cruciaux apportés au système de kafala – qui rendait les travailleurs·euses totalement dépendant·e·s de leur employeur – permettent à l’immense majorité de quitter légalement le pays et de changer d’emploi sans permission. Toutefois, iels risquent toujours d’être arrêté·e·s ou expulsé·e·s si leur employeur annule leur visa, ne renouvelle pas leur permis de séjour ou les signale comme ayant « fugué » de leur travail.

Alors que le gouvernement assure qu’il a approuvé plus de 300 000 demandes de changement d’emploi déposés par des travailleurs·euses migrant·e·s depuis octobre 2020, Amnesty International a recensé plusieurs cas ces derniers mois d’employeurs sans scrupules qui se servent de leurs pouvoirs pour annuler des visas, ne pas renouveler des permis de séjour et signaler des « fugueurs », dans le but d’exploiter et de sanctionner celleux qui se plaignent des conditions ou souhaitent changer d'emploi.

Complément d’information

Le mois dernier, un sondage mondial commandé par Amnesty International a révélé un soutien marqué au sein de la population et des supporters de football en faveur de l’indemnisation des travailleurs·euses migrants ayant souffert lors des préparatifs pour la Coupe du monde 2022. Les résultats de ce sondage viennent appuyer la campagne #PayUpFIFA lancée en mai 2022 par une coalition d’organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International, d’associations de supporters pour demander à la FIFA et aux autorités qatariennes de mettre en place un programme global de réparation destiné à verser des indemnités et à empêcher que d’autres abus ne soient commis.