La nouvelle analyse – l'une des plus complètes faites à ce jour d'une zone de conflit à l'aide de photos satellites – témoigne de manière alarmante d'une tendance actuelle: un mépris total des règles du droit international humanitaire, avec les destructions massives, les déplacements de populations et les morts qui en découlent. Cette analyse a été fournie par l'American Association for the Advancement of Science (AAAS) en collaboration avec le programme Science pour les droits humains d'Amnesty International.
Les destructions révélées par les images ont été confirmées par Donatella Rovera, conseillère principale sur la réaction aux crises à Amnesty International, à son retour d'une visite à Alep le mois dernier. «Alep a été complètement détruite, et ses habitants fuient les attaques en masse», a déclaré Donatella Rovera, qui a effectué plusieurs séjours prolongés sur place, en Syrie, pour mener des recherches sur les atteintes aux droits humains commises.
L'analyse de l'AAAS rassemble des informations sur l'ampleur des dégâts causés à l'infrastructure d'Alep depuis cette alerte et laisse peu de doute quant à l'une des causes essentielles du déplacement de la moitié de ses habitants: une campagne aveugle de bombardements aériens menée par les forces gouvernementales, qui a aussi anéanti des quartiers entiers et tué d'innombrables civils.
«Toute ma famille vivait ici; nous avions 10 maisons. Ma mère a été gravement blessée et est hospitalisée en Turquie. Elle ne sait pas que ses fils sont morts. Mon oncle, Mohamed Ali, a perdu 27 membres de sa famille. Il a perdu la raison» - Un garçon de 15 ans parle avec Amnesty International de ses 16 proches parents tués
Un pilonnage systématique qui touche des familles et des civils
L'analyse de sept nouvelles photos prises sur une période de neuf mois (de début septembre 2012 à fin mai 2013), constitue l'évaluation la plus complète à ce jour des dégâts physiques et matériels occasionnés à la plus grande ville de Syrie. Il y apparaît que non seulement l'infrastructure a été détruite, mais aussi que l'ancienne ville d'Alep, site du patrimoine mondial de l'UNESCO, a subi de très importants dommages, dont la destruction du minaret de la Grande Mosquée et des dégâts dans le souk Al-Madina. Aux termes du droit international humanitaire, les parties à un conflit sont tenues de respecter et de préserver les biens culturels.
À travers toute la Syrie, les forces gouvernementales ont bombardé sans discontinuer et sans discernement des quartiers qui étaient contrôlés par les forces de l'opposition, alors que les personnes les plus exposées étaient les civils. Ces derniers faisaient en outre l'objet, en même temps, de violences de la part de certains groupes armés de l'opposition. L'analyse permet de voir des centaines de bâtiments endommagés ou détruits pendant la période donnée et de constater une nette augmentation des barrages routiers, dont plus d'un millier sont visibles vers la fin du mois de mai 2013.
Donatella Rovera a déclaré: «Le risque évoqué il y a un an est devenu réalité: la ville la plus densément peuplée de Syrie a été transformée en un champ de bataille, avec des conséquences désastreuses. Alep est complètement détruite, de nombreux habitants fuient les bombardements et beaucoup d'autres sont pris au piège dans une ville assiégée sous le feu des attaques, dans des conditions humanitaires désespérées.»
La prolongation du conflit occasionne une crise régionale
À travers tout le pays, l'escalade de la violence a forcé près de six millions de Syriens à quitter leurs maisons; 4,25 millions d’entre eux sont déplacés à l'intérieur de la Syrie. Des dizaines de milliers des personnes déplacées à l'intérieur du pays ont trouvé refuge dans de vastes camps de fortune qui ont surgi près de la frontière turque depuis le début de l'automne 2012, lorsque le gouvernement turc a effectivement fermé ses frontières aux réfugiés syriens.
Un grand nombre de personnes déplacées, en particulier celles qui se trouvent dans des zones contrôlées par l’opposition, ne reçoivent guère d’aide internationale. D’une part, ces zones sont dangereuses et difficiles d’accès, et d’autre part, des restrictions ont été imposées à la liberté de mouvement des organismes humanitaires internationaux. Les agences humanitaires des Nations unies ont demandé aux autorités syriennes de les laisser se rendre dans les zones contrôlées par l’opposition, où les personnes déplacées courent des risques bien plus grands en raison des bombardements des forces gouvernementales.
Il faut mettre fin à la paralysie de la communauté internationale
Christoph Koettl, directeur du programme d'imagerie satellitaire de 2012, a déclaré: «Les graves violations du droit international commises en Syrie sont la conséquence directe de la paralysie de la communauté internationale et du retard avec lequel elle a effectivement condamné ces crimes et porté le dossier concernant la situation devant la Cour pénale internationale.»
L'analyse des photos satellites, combinée aux recherches sur le terrain menées par Amnesty International et aux vidéos réalisées par la population, vient s'ajouter à un corps de plus en plus fourni de preuves de crimes de guerre qui pourraient avoir été commis au cours du conflit syrien. Amnesty International a prié à plusieurs reprises le Conseil de sécurité de l'ONU de déférer la situation en Syrie à la procureure de la Cour pénale internationale.
Il faut exercer des pressions coordonnées et effectives sur les autorités syriennes pour qu’elles autorisent les agences des Nations unies et les organisations humanitaires internationales à se rendre librement auprès des personnes dans le besoin, y compris les personnes déplacées. Il convient également d’exercer des pressions sur l’opposition armée syrienne pour qu’elle n’entrave pas les activités humanitaires dans les zones qu’elle contrôle.
En outre, tous les États voisins doivent laisser en permanence leurs frontières ouvertes aux personnes fuyant la Syrie, conformément à leurs obligations internationales. La communauté internationale, en particulier l'Union européenne et ses États membres, doit s'engager à partager la responsabilité des réfugiés syriens en des termes réels et concrets. Cela devrait impliquer, par exemple, d'accepter de recevoir un nombre beaucoup plus élevé de réfugiés syriens et de fournir d'urgence une aide financière et technique aux pays voisins de la Syrie qui accueillent la grande majorité de ceux qui ont fui les violences.