Shappal Ibrahim a été placé en détention secrète pendant près de deux ans, durant lesquels il a subi de nombreuses tortures. © Amnesty International
Shappal Ibrahim a été placé en détention secrète pendant près de deux ans, durant lesquels il a subi de nombreuses tortures. © Amnesty International

La détention secrète en Syrie «On pouvait entendre les cris des gens qui étaient torturés»

29 août 2014
Quand Shappal Ibrahim, militant pacifique au sein de l'Union des jeunes Kurdes, a été abordé par un agent du gouvernement syrien prétendant être lui aussi en faveur de la «révolution» dans le pays, il ne s'est pas rendu compte que cela faisait partie d'un stratagème visant à l'arrêter pour ses activités en faveur des droits humains. Après avoir accepté de rencontrer l'agent le 22 septembre 2011, il a été emmené et placé en détention à El Qamishli, où il vivait. Il a été maintenu en détention secrète pendant près de deux ans. Il était l'un des nombreux «disparus» de Syrie, jusqu'à sa libération dans le cadre d'une amnistie présidentielle, le 29 mai 2013. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'il a appris qu'un tribunal l'avait condamné, le 5 septembre 2012, à 15 ans de réclusion. Il décrit ici le traitement qu'il a subi dans quelques-uns des nombreux centres de détention de Syrie.

Par Shappal Ibrahim, militant syrien pour les droits des Kurdes

13 hommes dans 4 m²

Quand nous sommes arrivés dans le centre de détention de l'une des branches du service de renseignement de l'armée de l'air à Damas, ils nous ont battus et nous ont insultés. Nous avons été roués de coups pendant des heures avant d'être jetés dans une cellule, 13 hommes dans 4 m². Nous ne pouvions nous asseoir qu'à tour de rôle.

Un par un, les détenus ont été appelés et conduits à la salle d'interrogatoire. Leurs cris emplissaient les couloirs pendant qu'ils étaient torturés. Les gens revenaient enroulés dans des couvertures tachées de leur propre sang.

Coups et électrocutions

Ils m'ont battu avec un câble et m'ont électrocuté au niveau des pieds. Ils ne me demandaient rien de précis. Ils se contentaient de m'accuser et de m'insulter, et ils m'ont frappé au visage. Ils voulaient que je signe des aveux.

Il y avait très peu d'eau et de nourriture et nous ne pouvions dormir que quand les gardiens nous y autorisaient.

Nous avons ensuite été transférés ailleurs, à Bab Touma, dans un autre endroit lié au service de renseignement de l'armée de l'air, puis trois mois plus tard à la prison militaire de Saydnaya, près de Damas.

Torture incessante

Là-bas, ils avaient un système pour nous briser.

La nourriture était tellement insuffisante que nous avions faim en permanence et ils ne nous donnaient que quelques vêtements alors qu'il faisait extrêmement froid.

Ils m'ont appelé pour interrogatoire de nombreuses fois et la torture ne cessait jamais.

Ils me demandaient de me déshabiller et ils me vaporisaient de l'eau froide dessus. Ensuite, la personne qui menait l'interrogatoire me marchait dessus et me frappait le dos et les pieds.

Dans ces moments difficiles, je pensais à mes trois enfants, à ma femme, à mes parents, à mes amis et au mouvement révolutionnaire.

L'espoir de la révolution

Malgré ma douleur, mes blessures, les maladies et le fait d'être coupé de ma famille, je pouvais encore sentir la révolution en moi et l'enthousiasme m'animer de nouveau. Les principes qui m'avaient conduit là sont les mêmes que ceux qui m'emplissaient d'espoir et de volonté et m'ont permis de ne pas abandonner.

J'ai été maintenu en détention pendant un an et huit mois et je n'ai eu droit qu'à une seule visite, 22 jours avant ma libération.

Mon petit frère, Joan, a pu venir me voir pour une visite de six minutes.

Libération inespérée

Et puis, le 29 mai 2013, l'un des gardes est venu dans notre cellule et m'a dit que j'allais être libéré. Je ne l'ai pas cru, j'ai pensé que j'allais être exécuté. Les gardes m'ont rasé la tête et j'ai été certain que j'allais mourir. Mais là, ils m'ont simplement rendu mes affaires et m'ont libéré. Je ne savais pas pourquoi, j'étais complètement incrédule.

Quand je suis arrivé chez moi, à El Qamishli, beaucoup de gens m'attendaient. Mes amis m'ont porté sur leurs épaules, ils avaient préparé une fête et j'ai prononcé un discours devant la foule. Cela a été un moment extrêmement important pour moi. J'ai eu l'impression de renaître, j'ai pris mes enfants et ma famille dans mes bras et j'étais empli de larmes de joie.

Responsabilité face au peuple

Ce que j'ai vu a fait naître en moi un grand sentiment de responsabilité ; j'ai de nouveau rassemblé mon courage et je me suis promis que j'y consacrerais toute ma vie et que je n'abandonnerais pas mon peuple.

Des informations sont de nouveau parvenues aux services de sécurité syriens concernant la poursuite de mes activités alors ils m'ont envoyé des menaces, ce qui a poussé ma famille et mes amis à me demander de quitter la Syrie.

J'ai une dette envers mes amis et ma famille pour leur infatigable solidarité. Ils n'ont pas cessé de faire pression en faveur de ma libération, d'organiser des manifestations pour faire en sorte que mon cas ne soit pas oublié.

Consultez la page d'Amnesty International réclamant la fin des disparitions forcées en Syrie.