Destruction des infrastructures publiques et de résidences à Alep en Syrie, avril 2015. © Amnesty International (Photo: Mujahid Abu al-Joud).
Destruction des infrastructures publiques et de résidences à Alep en Syrie, avril 2015. © Amnesty International (Photo: Mujahid Abu al-Joud).

Syrie Des groupes armés d’opposition commettent des crimes de guerre à Alep

17 mai 2016
Des groupes armés encerclant le quartier Sheikh Maqsoud, dans la ville d’Alep, ont mené de nombreuses attaques aveugles qui ont touché des logements civils, des rues, des marchés et des mosquées, tuant et blessant des civils, et illustrant un manque de respect pour la vie humaine.

L’organisation a recueilli auprès de témoins de solides éléments de preuve attestant des violations graves, et obtenu les noms d’au moins 83 civils, parmi lesquels 30 mineurs, qui ont été tués par des attaques à Sheikh Maqsoud entre février et avril 2016. Plus de 700 civils ont par ailleurs été blessés, selon l’hôpital de campagne local. Des séquences vidéos visionnées par Amnesty International montrent des tirs d’artillerie, ainsi que des attaques à la roquette et au mortier effectués par Fatah Halab (Conquête d’Alep), une coalition de groupes armés, prenant pour cible l’unité de protection du peuple kurde (YPG), qui contrôle la zone.

«Le pilonnage incessant de Sheikh Maqsoud détruit la vie de résidents civils. De nombreux groupes armés issus de la coalition Fatah Halab ont lancé ce qui ressemble à des attaques aveugles susceptibles de constituer des crimes de guerre», a déclaré Magdalena Mughrabi, directrice adjointe par intérim du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.

Un secteur pris pour cible

Environ 30 000 civils vivent à Sheikh Maqsoud, une zone principalement kurde de la vile d’Alep. Ce secteur est contrôlé par les forces de l’YPG et encerclé, sur les fronts nord, est et ouest, par des groupes armés d’opposition qui le prennent pour cible des trois côtés. Les forces gouvernementales syriennes contrôlent des zones situées au sud de Sheikh Maqsoud. En 2014, les forces de l’YPG ont commencé à affronter le groupe armé se faisant appeler État islamique. Ces derniers mois cependant, les tensions avec les groupes armés d’opposition se sont accrues, en particulier à Alep. Des attaques lancées par les groupes armés ont coûté la vie à 62 combattants de l’YPG, selon l’association Familles des martyrs.

Ces derniers jours, le très fragile accord de cessation des hostilités à travers la Syrie, conclu à Genève en février, a été étendu à des zones entourant Sheikh Maqsoud, dans le gouvernorat d’Alep. Les attaques visant Sheikh Maqsoud n’ont cependant pas faibli ces derniers mois.

De plus en plus de preuves d’attaques aveugles

Des images satellite, obtenues par Amnesty International et dont la teneur est confirmée par les témoignages de résidents, montrent des habitations détruites et fortement endommagées dans une rue résidentielle de la partie ouest de Sheikh Maqsoud, à plus de 800 mètres de la ligne de front.

Mohamad a perdu sept membres de sa famille quand son domicile de Sheikh Maqsoud a été frappé par une roquette «Hamim» improvisée lancée par un groupe armé le 5 avril 2016. Figuraient parmi les personnes tuées sa fille de 18 mois, ses deux fils de 15 et 10 ans, et un neveu âgé de huit ans. Lui-même et deux de ses jeunes neveux ont été grièvement blessés par des éclats métalliques. Son domicile se trouve à 800 mètres de la ligne de front. «Il n’y a pas de postes de contrôle [militaires] près de chez moi. C’est une rue résidentielle, et certaines personnes déplacées par les combats ou ayant fui les frappes aériennes au centre d’Alep vivent ici». Deux jours plus tôt, la maison des voisins de Mohamad avait été touchée par un tir de mortier qui a tué deux enfants.

Une autre résidente de Sheikh Maqsoud a dit à Amnesty International que les pilonnages se sont intensifiés en février et que les gens restaient chez eux pendant des jours sans pouvoir sortir. Elle a expliqué que son domicile a été attaqué en avril par ce qu’elle pense être une arme montée sur une bombonne de gaz.
«Je me souviens seulement que les murs se sont effondrés et que j’ai entendu une explosion. Nous avons été blessés - j’avais des éclats de métal dans les mains et les jambes. [...] Nous vivons [...] très loin de la ligne de front. Il n’y a pas de poste de contrôle à proximité ni d’autres postes militaires».

Saad, un pharmacien local vivant à Sheikh Maqsoud, a décrit le 5 avril 2016 comme «le jour le plus sanglant que le quartier ait connu». Le pilonnage mené par des groupes armés a duré neuf heures sans discontinuer, a-t-il dit. «Nous avons compté au moins 15 roquettes Hamim et plus de 100 mortiers. Des obus tombaient partout, il s’agissait d’attaques sans discernement».

Des armes non discriminantes

Parmi les armes utilisées par le groupe armé figurent des projectiles non guidés, avec lesquels il n'est pas possible de viser de cible spécifique, comme les mortiers et les roquettes «Hamim» artisanales, ainsi que d’autres projectiles fabriqués à partir de bombonnes de gaz, connus sous le nom de «canons de l’enfer». Ces armes sont non discriminantes par nature et ne doivent pas être utilisées à proximité de zones civiles.

«En tirant des armes explosives imprécises sur des quartiers civils, les groupes armés attaquant Sheikh Maqsoud bafouent de manière flagrante le principe de distinction entre cibles civiles et militaires, une règle cardinale du droit international humanitaire», a déclaré Magdalena Mughrabi.

Selon certaines allégations, des membres de groupes armés ont attaqué Sheikh Maqsoud à l’aide d’armes chimiques. Un médecin local a déclaré que les 7 et 8 avril, il a soigné six civils et deux combattants de l’YPG présentant des symptômes caractéristiques - souffle court, engourdissements, yeux rougis et quintes de toux. Plusieurs des victimes auraient indiqué avoir vu une fumée jaune lors de l’impact des missiles. Un toxicologue consulté par Amnesty International, qui a regardé des clips vidéo de cette attaque et pris connaissance du témoignage du médecin, a déclaré que les symptômes de ces patients pouvaient résulter d’une attaque au chlore. Une déclaration ultérieure attribuée au dirigeant du groupe armé Armée de l’islam a indiqué qu’un commandant avait déployé une «arme non autorisée» sur Sheikh Maqsoud et qu’il serait amené à rendre des comptes.

Des violations perpétrées par les groupes armés intolérables

Deux des groupes armés attaquant les forces de l’YPG à Sheikh Maqsoud - Ahrar al Sham et l’Armée de l’islam - ont envoyé leurs propres représentants à des négociations conduites sous l’égide des Nations unies sur le conflit syrien à Genève. Les autres groupes armés ont chargé d’autres délégués de les représenter lors des discussions.

«La communauté internationale ne doit pas fermer les yeux sur les éléments de plus en plus nombreux attestant que des crimes de guerre ont été commis par des groupes armés d’opposition en Syrie. Le fait que l’ampleur des crimes de guerre imputés aux forces gouvernementales est beaucoup plus importante n’excuse pas la tolérance vis-à-vis des graves violations commises par l’opposition», a déclaré Magdalena Mughrabi. «Les soutiens internationaux des groupes armés en activité en Syrie doivent veiller à ne pas alimenter les violations en transférant des armes qui sont utilisées par des groupes armés ou pourraient l'être, dans le but de commettre ou faciliter de graves violations des droits humains et atteintes au droit international humanitaire».

Amnesty International demande aux États du Golfe, à la Turquie et aux autres pays susceptibles d’apporter leur soutien à des groupes armés en Syrie de bloquer immédiatement les transferts d’armes en direction de groupes armés, y compris le soutien logistique et financier associé aux transferts de ce type, lorsque des éléments crédibles indiquent qu’ils ont commis de graves violations des droits humains et atteintes au droit international humanitaire. Seuls les groupes satisfaisant à des tests de fiabilité stricts afin de démontrer qu’ils sont capables d’agir systématiquement dans le respect total du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains doivent être envisagés comme futurs destinataires.

Détérioration des conditions humanitaires

Outre le fait de subir des bombardements aveugles, les civils de Sheikh Maqsoud sont essentiellement pris au piège, sur fond de détérioration de la situation humanitaire. Les affrontements constants empêchent l’acheminement de l’aide humanitaire jusqu’à Sheikh Maqsoud, ainsi que le départ des résidents souhaitant quitter la zone. Les forces gouvernementales permettent uniquement aux civils ayant besoin d’une attention médicale de sortir de la zone située du côté qu’elles contrôlent, et restreignent par ailleurs la livraison de fournitures médicales et de nourriture - autorisant seulement l’entrée des légumes et du pain. Selon des personnes vivant sur place, les pharmacies de Sheikh Maqsoud sont vides et beaucoup ont fermé.

«Il ne reste presque plus de nourriture dans le quartier», a déclaré un résident, ajoutant que les fournitures humanitaires allaient rapidement manquer.

«Sheikh Maqsoud est au bord de la crise humanitaire. Il est essentiel que le gouvernement syrien et les groupes armés laissent de toute urgence passer l’aide humanitaire librement et autorisent les civils qui le souhaitent à quitter la zone», a déclaré Magdalena Mughrabi.

Complément d'information

Les groupes armés menant des attaques aveugles contre la zone de Sheikh Maqsoud font partie de la coalition militaire de Fatah Halab, qui inclut : le Mouvement islamique d’Ahrar ash Sham, l’Armée de l’islam, le Front al Shamia, la brigade du sultan Murad, les bataillons du sultan Fatih, les bataillons Fa Istaqim Kama Omirt, les bataillons Nour al Deen Zinki, la brigade 13, la brigade 16, le 1er régiment (al Foj al Awal) et les bataillons Abu Omara.

Selon le Réseau syrien pour les droits humains, au moins 23 civils ont été tués par les bombardements et les attaques de snipers de l’YPG dans des zones d’Alep aux mains de l’opposition entre février et avril 2016.