Des récits détaillés recueillis auprès des survivants par des chercheurs d’Amnesty International figurent dans le rapport intitulé «Syrie: la «guerre d'anéantissement» a fait des ravages dans la population civile à Raqqa».
Galerie de photos de Raqqa, en Syrie
Ces témoignages mettent sérieusement à mal les affirmations répétées de la coalition selon lesquelles ses forces ont fait tout le nécessaire pour limiter au maximum les pertes civiles. Le rapport donne quatre exemples emblématiques de familles civiles qui ont été lourdement touchées par les bombardements aériens. À elles quatre, elles ont perdu 90 proches et voisins – dont 39 d'une même famille –, presque tous tués par des frappes de la coalition.
«Quand tant de civils sont tués attaque après attaque, c'est clairement qu'il y a un problème; cette tragédie est en outre aggravée par l'absence d'enquêtes, plusieurs mois après les faits. Les victimes méritent que justice leur soit rendue», a déclaré Donatella Rovera, principale conseillère d’Amnesty International pour les situations de crise.
«C'est l'utilisation répétée d'armes explosives dans des zones d'habitation, où la coalition savait pourtant que des civils étaient piégés, qui est la cause de la dévastation de la ville et du nombre si important de morts et de blessés.» - Donatella Rovera
«Durant les quatre années où il a contrôlé la ville, l'EI a commis de nombreux crimes de guerre. Toutefois, ces violations – dont l'utilisation de civils comme boucliers humains – ne relèvent pas la coalition de son obligation de prendre toutes les précautions possibles pour limiter les dommages infligés aux civils. C'est l'utilisation répétée d'armes explosives dans des zones d'habitation, où la coalition savait pourtant que des civils étaient piégés, qui est la cause de la dévastation de la ville et du nombre si important de morts et de blessés.»
Une «guerre d'anéantissement»
Peu avant le lancement de cette campagne militaire en juin 2017, le secrétaire américain à la Défense, James Mattis, avait promis une «guerre d'anéantissement» de l'EI.
Les forces américaines, britanniques et françaises de la coalition ont conduit des dizaines de milliers de frappes aériennes et les forces américaines ont reconnu avoir procédé à 30'000 tirs d'artillerie pendant l'offensive sur Raqqa. Plus de 90% des frappes aériennes ont été menées par les forces américaines.
Les habitants se sont trouvés piégés tandis que les combats faisaient rage dans les rues de Raqqa entre les militants de l'EI et les combattants des Forces démocratiques syriennes (FDS) sous direction kurde, soutenus par les frappes aériennes et les tirs d'artillerie incessants de la coalition. L'EI a placé des mines sur les voies de sortie de la ville et a tiré sur les personnes qui essayaient de s'enfuir. Plusieurs centaines de civils ont été tués chez eux ou dans les lieux où ils s'abritaient, ou ont trouvé la mort alors qu'ils tentaient de fuir.
«Un haut responsable militaire américain a déclaré que jamais autant d'obus n'avaient été tirés sur un même lieu depuis la guerre du Viêt-Nam. Les tirs d'obus n'étant précis qu'à 100 mètres près, il n'est pas étonnant que les victimes civiles aient été si nombreuses», a déclaré Donatella Rovera.
Un carnage parmi la population civile
L'ampleur des pertes contraste fortement avec les affirmations répétées de la coalition selon lesquelles elle a fait tout ce qu'elle pouvait pour limiter le nombre de victimes civiles. En septembre 2017, au plus fort du conflit, le général de corps d'armée Stephen Townsend, commandant américain de la coalition, a écrit qu'il n'y avait «jamais eu une campagne aérienne plus précise dans toute l'histoire des conflits armés».
Ce n'est pas ce que disent les habitants de Raqqa, comme Munira Hashish, qui a survécu à une frappe aérienne: «Ceux qui sont restés sont morts et ceux qui ont essayé de s'enfuir sont morts aussi. Nous n'avions pas les moyens de payer les passeurs; nous étions piégés.» Elle et ses enfants ont finalement réussir à s'enfuir à travers un champ de mines «en marchant dans le sang de ceux qui avaient explosé en essayant de fuir avant nous».
«Si c'était pour finalement laisser sortir les combattants de l'EI en toute impunité, quel intérêt militaire la coalition et ses alliés des FDS avaient-ils à détruire presque entièrement la ville et à tuer autant de civils?» - Benjamin Walsby
Quatre familles dont il est question dans le rapport ont vécu un calvaire et perdu ensemble plus de 80 des leurs sous les bombardements. Des pertes d’autant plus absurdes que les FDS et la coalition ont conclu un accord avec l'EI autorisant ses combattants survivants à sortir de la ville sans être inquiétés.
«Si c'était pour finalement laisser sortir les combattants de l'EI en toute impunité, quel intérêt militaire la coalition et ses alliés des FDS avaient-ils à détruire presque entièrement la ville et à tuer autant de civils?», s'interroge Benjamin Walsby, chercheur sur le Moyen-Orient à Amnesty International.
De possibles crimes de guerre
Les frappes de la coalition décrites dans le rapport ne sont que quelques exemples parmi beaucoup d'autres. Des preuves solides montrent que les frappes aériennes et les tirs d'artillerie de la coalition ont tué et blessé des milliers de civils, touchés notamment par des attaques disproportionnées ou aveugles qui sont contraires au droit international humanitaire et pourraient constituer des crimes de guerre.
L'organisation appelle les membres de la coalition à mener des enquêtes impartiales et approfondies sur les allégations de violations, ainsi qu'à reconnaître publiquement l'ampleur et la gravité des pertes de vies civiles et des destructions de biens de caractère civil à Raqqa.
Les membres de la coalition doivent rendre publiques les conclusions de ces enquêtes, ainsi que toutes les informations sur les frappes qui sont nécessaires pour évaluer dans quelle mesure ils ont respecté le droit international humanitaire. Ils doivent également revoir les procédures qui leur servent à déterminer la crédibilité des accusations concernant les pertes civiles et veiller à ce que les victimes de violations reçoivent justice et réparation. Enfin, ils ont la responsabilité d'apporter une aide plus conséquente qu'actuellement au travail colossal de déminage et de reconstruction qui est en cours à Raqqa.
«Les civils de Raqqa qui rentrent chez eux ne retrouvent que des ruines, desquelles ils sortent les cadavres de leurs proches, et risquent la mort ou de graves blessures à cause des mines, des engins explosifs improvisés et des pièces d'artillerie qui n'ont pas explosé. Le refus de la coalition de reconnaître sa responsabilité dans cette situation catastrophique est une insulte faite aux victimes, qui vient s'ajouter aux préjudices déjà subis», a déclaré Benjamin Walsby.