Dans son nouveau rapport intitulé «‘Unbearable living conditions’: Inadequate access to economic and social rights in displacement camps in north-west Syria» (en anglais), Amnesty International montre de façon détaillée la situation d’extrême vulnérabilité des personnes déplacées. Conséquence du refus du gouvernement syrien de leur garantir un accès aux droits économiques et sociaux, elles dépendent totalement de l’aide internationale pour leur survie.
Près de 1,7 million de personnes vivent actuellement dans des camps dans le nord-ouest de la Syrie. Parmi elles, 58 % d’entre elles sont des enfants. La grande majorité de ces personnes vivent depuis des années sous tente, sans accès – ou avec un accès très restreint – à l’eau et à des installations sanitaires, et sans perspective d’une solution durable.
« Nombre de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants déplacés vivent depuis plus de six ans dans le dénuement le plus total dans le nord-ouest de la Syrie. Ils n’ont guère la possibilité de retourner chez eux en raison des violations persistantes perpétrées par les autorités syriennes. Ils n’ont d’autre choix que de vivre dans des camps où ils risquent de tomber malades, et de subir des violences liées au genre », déclare Diana Semaan, directrice adjointe par intérim pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnesty International.
«Je vis dans une tente qui n’a qu’une seule pièce: j’y dors, j’y cuisine, j’y lave les vêtements, j’y fais ma toilette, j’y fais tout. Il n’y a pas de porte.»
Une femme qui vit dans un camp depuis trois ans
Depuis qu’il a perdu le contrôle de la partie nord-ouest du pays, le gouvernement procède à des coupures d’électricité et de l’approvisionnement en eau, empêche l’acheminement de l’aide et attaque des camps, des installations médicales et des écoles. La charge de procurer ces services repose donc sur les organisations humanitaires qui travaillent dans le cadre du mécanisme d’assistance transfrontalière. « Il est absolument indispensable que le Conseil de sécurité de l’ONU reconduise l’autorisation pour ce mécanisme avant son expiration fixée au 10 juillet », poursuit Diana Semaan.
Basé sur des recherches menées de février à mai 2022, le rapport montre que les personnes vivant dans ces camps, en particulier à Idlib, n’ont pas accès à leurs droits à un logement convenable, à l’eau, à des installations sanitaires et à la santé. Amnesty International a interviewé 45 personnes, notamment des membres du personnel médical et humanitaire, et des hommes et des femmes déplacés vivant dans la région.
Les Principes directeurs de l’ONU relatifs au déplacement de personnes à l'intérieur de leur propre pays précisent que les personnes déplacées disposent des mêmes droits que toute autre personne vivant dans un pays donné, notamment du droit à un niveau de vie suffisant. Ces droits doivent comprendre, au minimum, l’accès aux aliments de base et à l’eau potable ; au logement ; à des vêtements décents ; aux services médicaux et aux installations sanitaires essentiels.
Manque d’eau et logements inadéquats
Plus de la moitié des personnes déplacées dans le nord-ouest de la Syrie vivent dans 1 414 camps, généralement sous des tentes qui n’ont qu’une seule pièce, ne ferment pas, et qui n’offrent pas d’isolation contre les chaleurs et les froids extrêmes, fréquents dans cette région. Des conditions qui violent leur droit à un logement décent au titre du droit international. Les personnes déplacées obtiennent de l’eau principalement au moyen de citernes communautaires. Mais la quantité qu’elles reçoivent représente moins de la moitié de ce dont elles ont besoin. Seuls 40 % des personnes déplacées ont accès à des latrines en état de fonctionnement.
Une femme qui vit avec son mari et ses cinq enfants dans un camp depuis trois ans, déclare : « Je vis dans une tente qui n’a qu’une seule pièce. J’ai installé un petit poste de cuisson et un mince matelas qui couvre le reste de la pièce et que nous utilisons pendant la journée et la nuit, car c’est le seul espace dont nous disposons. Je fais tout dans cette seule pièce : j’y dors, j’y cuisine, j’y lave les vêtements, j’y fais ma toilette, j’y fais tout. Il n’y a pas de porte. On utilise une couverture. N’importe qui peut entrer. Qui peut se sentir en sécurité dans une tente ? Personne. »
Elle ajoute : « Nous manquons tout le temps d’eau. Les citernes communautaires sont vides. Je n’ai pas les moyens d’acheter de l’eau. J’en prends un peu chez mes voisins pour avoir juste de quoi boire pour mes enfants et pour moi. Nous devons attendre que l’organisation vienne remplir les citernes, ce qu’elle fait deux fois par semaine, il me semble. C’est mieux que rien. »
Plusieurs personnes qui vivent dans ces camps ont dit à Amnesty International qu’elles ont du mal à rester au chaud en hiver, à protéger leur tente et leurs affaires de l’humidité, et à effectuer les tâches quotidiennes – comme aller chercher de l’eau et se déplacer jusqu’aux latrines – car les chemins deviennent boueux et sont difficilement praticables lors de fortes pluies et d’inondations. Elles sont contraintes de brûler du plastique, du bois ou tout autre matériau inflammable à l’intérieur de la tente pour rester au chaud pendant l’hiver. Une pratique qui a causé au moins 68 incendies en 2022.
Selon le personnel de santé interrogé par Amnesty International, les tentes dans les camps représentent un danger pour la santé, car elles contribuent à la transmission de maladies contagieuses. La piètre qualité de l’eau potable et du traitement des eaux usées aurait par ailleurs entraîné la diffusion de maladies d'origine hydrique.
Violences fondées sur le genre
Les travailleur·euse·s humanitaires ont rapporté à Amnesty International que le surpeuplement, le manque d’intimité, l’absence de clôture autour des camps, l’impossibilité de verrouiller les tentes et l’exclusion des processus de prise de décisions exposent les femmes et les filles à toute une série de violences liées au genre. Notamment des violences commises par des membres de la famille, par ceux qui dirigent le camp, par des résidents, par des étrangers mais aussi par des travailleurs humanitaires.
«Les femmes se rendent aux sanitaires collectifs en groupe. La nuit, elles ne veulent pas se déplacer seules, alors elles utilisent des w.c. de fortune ou se retiennent jusqu’au matin.»
Un travailleur humanitaire
Une de ces personnes a ainsi expliqué : « Tous les types de violences fondées sur le genre possibles et imaginables existent dans le nord-ouest de la Syrie, en particulier dans les camps. Cela comprend le harcèlement verbal de la part de membres masculins de la famille, les violences physiques commises également par des membres masculins de la famille, le viol et l’exploitation sexuelle. »
La configuration et l’emplacement des latrines et des sanitaires collectifs, mis en place sans que les femmes aient été consultées dans la grande majorité des camps, contribuent aussi à ce risque de violences liées au genre. Ce problème est encore aggravé par le manque d’éclairage, l’absence de porte qui puisse être verrouillée, ainsi que par la mixité des latrines installées dans des endroits isolés.
Un travailleur humanitaire a dit : « Les femmes se rendent aux sanitaires collectifs en groupe ou en étant accompagnées par un proche. La nuit, elles ne veulent pas se déplacer seules, alors si personne ne peut les accompagner, elles utilisent des w.c. de fortune ou se retiennent jusqu’au matin. »