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Syrie Des survivant·e·s à l’État islamique détenu·e·s par erreur depuis des années

Communiqué de presse du 31 juillet 2024, Londres-Berne. Contact du service de presse
Des milliers de Yézidi·e·s qui ont survécu aux atrocités commises par l’État islamique (EI) sont toujours portés disparus. Des centaines sont probablement encore détenus dans le nord-est de la Syrie, arrêtés à tort dans le sillage de la défaite de l’EI, a déclaré Amnesty International à l’approche du 10e anniversaire de l’attaque de l’EI contre la communauté yézidie en Irak.

En août 2014, l’EI a lancé une attaque ciblée contre la communauté yézidie en Irak, que l’ONU a reconnue comme un génocide. Plus de 3 000 hommes, femmes et enfants yézidi·e·s ont été tué·e·s et au moins 6 800 – principalement des femmes et des enfants – ont été enlevé·e·s. Les femmes et les filles ont été soumises à l’esclavage sexuel et à d’autres formes d’esclavage, et les garçons forcés à se battre en tant qu’enfants soldats.

Depuis la défaite territoriale de l’EI en mars 2019, 2 600 Yézidi·e·s sont toujours porté·e·s disparu·e·s, selon le bureau de sauvetage des otages yézidis, à Dohuk. Une grande partie d’entre eux se trouveraient dans le nord-est de la Syrie. Amnesty International s’est entretenue avec des organisations de défense des droits des Yézidis qui pensent qu’un grand nombre de Yézidi·e·s est pris au piège du système tentaculaire de détention mis en place pour enfermer les membres présumés de l’EI. Ce système est supervisé par l’Administration autonome de la Syrie du Nord et de l’Est (Administration autonome), soutenue par la coalition militaire que dirigent les États-Unis et constituée pour lutter contre l’EI.

« Beaucoup, arrêtés à tort dans le sillage de l’effondrement de l’EI, croupissent en détention pour une durée indéterminée, dans des conditions qui mettent leur vie en péril. Il est grand temps qu’ils soient identifiés et libérés, et qu’ils bénéficient de l’aide dont ils ont besoin », a déclaré Lauren Aarons, conseillère au sein du programme Genre, conflit et justice internationale d’Amnesty International.

Des centaines de femmes et d’enfants yézidi·e·s se trouveraient dans le camp de détention d’Al Hol, à la merci de mauvais traitements infligés par des détenus affiliés à l’EI. Un nombre inconnu de garçons et de jeunes hommes yézidis enlevés alors qu’ils étaient des enfants seraient également détenus dans un réseau connecté d’au moins 27 centres de détention.

Alors que les personnes détenues dans ces centres et dans le camp d’Al Hol qui se sont présentées et se sont identifiées comme Yézidies ont été libérées et rapatriées en Irak, des organisations de défense des droits des Yézidis et des Yézidi·e·s récemment rapatriés affirment qu’il reste de nombreux obstacles avant que ceux qui se trouvent encore en détention ne se fassent connaître. Certains ont trop peur, craignant d’être punis ou tués par des membres de l’EI dans les centres de détention et le camp d’Al Hol s’ils tentent de retourner auprès de leur famille. D’autres ont été avertis par l’EI que leurs familles leur feraient du mal, ou pensent que tous les membres de la communauté yézidie sont morts. Beaucoup étaient trop jeunes au moment de leur enlèvement pour se souvenir qu’ils sont Yézidis.

«Il est urgent que la communauté internationale renforce son soutien à toutes les initiatives respectant les droits humains et visant à identifier et à rapatrier les Yézidis portés disparus.»Nicolette Waldman, conseillère principale pour les situations de crise à Amnesty International

« Ils me traitaient comme une esclave »

Les conditions de détention dans le camp d’Al Hol sont cruelles, inhumaines et dégradantes. Dans ce camp, les Yézidi·e·s sont aux mains de l’Autorité autonome pour une durée indéterminée, détenu·e·s sans inculpation ni procès, la grande majorité depuis plus de cinq ans, en violation du droit international. L’Autorité autonome a déclaré à Amnesty International qu’elle n’a pas totalement le contrôle d’Al Hol et que l’EI s’est regroupé dans ce camp.

Sana* avait 16 ans lorsqu’elle a été capturée par l’EI et elle a été rapatriée depuis le camp d’Al Hol après avoir été identifiée lors d’une opération de sécurité menée par l’Autorité autonome. Selon son témoignage, elle a caché son identité yézidie pendant des années par peur, expliquant qu’avant la défaite de l’EI, l’un de ses ravisseurs lui avait montré une vidéo. Il lui avait dit qu’il s’agissait d’un crime « d’honneur » ciblant une jeune fille yézidie revenue de captivité et qu’il n’y avait aucune chance que sa communauté souhaite la reprendre.

Autre obstacle, nombre des femmes et des filles yézidies encore à Al Hol ont des enfants en bas âge, issus de violences sexuelles imputables à des membres de l’EI. Certaines craignent avec raison d’être séparées de force de leurs enfants, en violation du droit international relatif aux droits humains, si elles sont identifiées et rapatriées. En 2020, Amnesty International a recueilli des informations selon lesquelles des Yézidies auraient été séparées de leurs enfants après avoir été identifiées à Al Hol. Encore aujourd’hui, les Yézidies risquent d’être séparées de leurs enfants né·e·s de violences sexuelles.

Amani*, une femme yézidie rentrée en Irak depuis Al Hol, a déclaré qu’elle avait été forcée de se séparer de ses enfants, qui se trouvent aujourd’hui dans le nord-est de la Syrie : « Tout le monde dit que ce sont des enfants de l’EI... J’ai certains de leurs vêtements, je les sors et je les sens. Bien sûr, je veux être avec eux. Mes enfants sont une partie de mon cœur. »

« Personne n’est jamais venu me demander si j’étais Yézidi »

Amnesty International a recensé des actes de torture et des mauvais traitements systématiques dans les centres de détention du nord-est de la Syrie et a constaté que dans au moins deux d’entre eux, des centaines d’hommes et de garçons sont morts sous la torture et dans des conditions inhumaines.

Basim* a été détenu dans le centre de Panorama et s’est présenté comme Yézidi en 2022. Aujourd’hui âgé de 18 ans et de retour en Irak, il a expliqué que lorsqu’il se trouvait à Panorama et dans d’autres centres de détention, il avait vu des dizaines d’hommes mourir des suites de la torture ou de mauvais traitements et de maladies endémiques.

Absence de système d’identification et accès limité

Les organisations de défense des droits des Yézidi·e·s et les militant·e·s travaillent avec l’Autorité autonome pour identifier les Yézidi·e·s toujours en détention dans le nord-est de la Syrie, en coordonnant leurs actions avec celles des forces de sécurité et, dans certains cas, en recueillant leurs propres renseignements à l’intérieur d’Al Hol.

D’après plusieurs organisations de défense des droits et militant·e·s yézidis, ils ont de bonnes relations avec l’Autorité autonome, mais ces relations sont basées sur des contacts personnels. Il n’existe actuellement aucun système ni moyen organisé de dialoguer avec les autorités au sujet des Yézidi·e·s disparus.

Abdullah Shrem, un militant yézidi qui a passé les 10 dernières années à tenter d’identifier les Yézidi·e·s disparu·e·s :  « Les militants yézidis et les membres des familles ne devraient pas être livrés à eux-mêmes pour rechercher les Yézidis disparus. Il est urgent que la communauté internationale renforce son soutien à toutes les initiatives respectant les droits humains et visant à identifier et à rapatrier les Yézidis portés disparus, y compris ceux qui sont abandonnés et oubliés dans les centres de détention et dans le camp d’Al Hol, dans le nord-est de la Syrie, a déclaré Nicolette Waldman, conseillère principale pour les situations de crise à Amnesty International.

« Il faut placer les droits humains et le bureau de sauvetage des otages yézidis au cœur de ces démarches. En outre, les autorités irakiennes doivent fournir une assistance et un soutien accrus à tous ceux qui reviennent, notamment un accès à des réparations en vertu de la Loi sur les survivants yézidis. »

Par ailleurs, l’Autorité autonome doit veiller à ce que les organisations de défense des droits des Yézidis et d’autres organisations compétentes travaillant dans le respect des droits humains puissent se rendre dans les centres de détention et le camp d’Al Hol. Les autorités irakiennes doivent aussi permettre à ces organisations de se rendre dans le camp de Djeddah 1, où sont envoyés les Irakien·ne·s venus d’Al Hol, et lancer des initiatives afin d’identifier les Yézidi·e·s parmi les Irakien·ne·s qui rentrent.

D’autres États, en particulier les gouvernements des États-Unis et du Royaume-Uni, doivent soutenir toutes les initiatives visant à identifier les Yézidi·e·s disparus dans le respect des droits humains, ainsi que le bureau de sauvetage des otages yézidis. Les agences des Nations Unies telles que le HCR, l’UNICEF, ONU Femmes et l’Institution indépendante pour les personnes disparues en Syrie doivent intensifier considérablement leurs efforts dans ce domaine. Enfin, les donateurs doivent envisager de faciliter l’accès aux tests ADN afin d’identifier les Yézidi·e·s ou les membres d’autres minorités enlevés alors qu’ils étaient enfants.

*Les noms ont été modifiés.