Je rentre de Tunisie ou j’ai pu, quatre jours durant visiter les camps de réfugiés situés à la frontière libyenne. J’y ai rencontré une bonne partie de la misère du monde mais, n’en déplaise à Madame Sommaruga, aucun «glandeur».
Je n’y ai croisé que 4000 personnes qui vivent en plein désert, dans des conditions à la limite du supportable dans un camp où l’eau potable est salée, la nourriture immangeable parce que trop épicée, la température élevée pour vivre à longueur de journée dans des tentes mal aérées et les soins médicaux totalement insuffisants pour lutter contre les maladies chroniques, les traumatismes liés à la guerre, ou pour assurer des soins dignes de ce nom aux nouveau-nés.
Les réfugiés qui vivent dans ce camp ont fui les bombardements de Tripoli ou Misratah, ils sont parqués à quelques kilomètres de la frontière, dans une zone stratégique aussi bien pour Tripoli – le camp est placé en bordure de la seule route terrestre encore ouverte vers la capitale libyenne – que pour l’économie locale qui vit depuis toujours de petits trafics avec la Libye voisine.
Des hommes, des femmes et près de 700 enfants sont condamnés à attendre sous la chaleur du désert que l’on trouve une solution à leur problème, à savoir une possibilité de les réinstaller dans un pays d’accueil pour eux qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine déchiré par la guerre civile (Somalie, Darfour) ou dans lequel ils font partie d’une minorité opprimée (Ethiopie).
Le 24 mai 2011, le camp a été attaqué et détruit aux deux tiers par la population locale qui voyait dans les réfugiés un obstacle à son trafic transfrontalier quotidien d’essence ou de matériel électronique. L’armée tunisienne, dépassée par les événements car peu entrainée à ce type d’activité n’a pu empêcher ni la mort de plusieurs personnes, ni la destruction de l’hôpital militaire installé par le gouvernement marocain, ni encore le pillage des réserves de nourriture du camp.
Les personnes que j’ai rencontrées n’ont qu’une idée en tête, trouver le moyen de quitter ce lieu, maudit à leurs yeux, pour venir trouver le calme et la sécurité en Europe. Les longues, très longues, démarches qui devraient leur permettre de trouver un pays d’accueil les incitent à chercher d’autres solutions plus rapides même si elles sont potentiellement dangereuses. C’est ainsi que toutes les nuits des hommes et des femmes quittent clandestinement le camp et reviennent en Libye pour s’y embarquer pour l’Italie et l’Europe.
C’est donc aussi ces personnes que l’on retrouve dans les centres d’enregistrement de la confédération. Il est donc pour le moins regrettable que des déclarations à l’emporte-pièce les assimilent à des «glandeurs» qui n’ont rien à faire avec des réfugiés. Une certaine classe politique, propre à exploiter leur détresse à des fins électorales ferait bien de réfléchir quelque peu avant de mettre tout le monde dans le même panier.
La Tunisie à l’économie plus que vacillante, qui compte un taux de chômage 10 fois supérieur au nôtre a accueilli, sans broncher, près de 600'000 réfugiés depuis mars 2011. Aider quelques centaines d’entre eux à rejoindre la Suisse, est un devoir que notre pays se doit de remplir, même si cela implique qu’un peu d’ivraie se mêle au bon grain et que quelques profiteurs (par ailleurs facilement repérables) viennent perturber notre quiétude.
Le Haut Commissariat pour les réfugiés est actuellement à la recherche de places d’accueil pour environ 3500 personnes; la Suisse a certes déjà fait l’effort d’en accueillir une petite centaine mais je ne vois pas là une excuse pour renvoyer systématiquement à nos frontières ceux qui y sont parvenus par leurs propres moyens, parfois au péril de leur vie, au lieu d’emprunter les voies officielles.
Il est urgent pour la communauté internationale, Suisse en tête, de se mobiliser pour mettre fin aux souffrances subies par les doubles victimes de la guerre en Libye et de violations des droits humains dans leur pays d’origine, dusse-t-il, parmi eux, se cachent quelques «glandeurs»!