Des réformes de la législation tunisiennes doivent être entreprises afin que la liberté des médias soit garantie. © REUTERS/Anis Mili
Des réformes de la législation tunisiennes doivent être entreprises afin que la liberté des médias soit garantie. © REUTERS/Anis Mili

Tunisie S’appuyer sur les normes internationales pour interpréter la Constitution

4 janvier 2014
L'adoption d'une nouvelle Constitution tunisienne doit mettre en branle un vaste chantier de réforme de la législation et des institutions publiques, ont déclaré Al Bawsala, Amnesty International et Human Rights Watch vendredi 31 janvier 2014. La mise en œuvre de ce texte, qui garantit un grand nombre de libertés et droits fondamentaux, doit assurer le plus haut niveau de protection des droits des Tunisiens.

Déclaration conjointe d'Al Bawsala, d'Amnesty International et de Human Rights Watch

L'Assemblée nationale constituante a adopté la Constitution à une majorité écrasante le 26 janvier 2014, après avoir débattu de ce texte et voté article par article tout au long du mois. Le texte adopté a été profondément amélioré par rapport à la première mouture, présentée en juillet 2012. Plusieurs recommandations qui visaient à renforcer la protection des droits humains et qui avaient été formulées ces deux dernières années par Al Bawsala, Amnesty International, Human Rights Watch et d'autres organisations, ont été prises en compte.

«L'Assemblée nationale constituante de Tunisie a voté en faveur d'un texte qui défend hardiment les droits humains, a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. Il appartient maintenant aux magistrats, aux législateurs, aux autorités judiciaires et à d'autres représentants de l'État de faire en sorte que les politiques, les procédures et les lois qu'ils appliquent respectent les droits inscrits dans la Constitution.»

Des avancées et des ambiguïtés

La Constitution proclame de nombreux droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels qui sont essentiels. Sont notamment garantis le droit à la citoyenneté, le droit de créer des partis politiques, le droit à l'intégrité physique, le droit de circuler librement ainsi que les libertés d'opinion, d'expression, de réunion et d'association. Elle offre également de solides garanties pour les droits des femmes et pour l'indépendance de la justice.

Certains articles de la Constitution sont toutefois ambigus et pourraient être invoqués pour bafouer les droits humains. Par exemple, lors du vote de l'article qui garantit la liberté de croyance et de conscience, l'assemblée plénière a ajouté l'interdiction de «porter atteinte au sacré». Il est à craindre que les législateurs ou les magistrats n'aient recours à cette interdiction supplémentaire formulée en termes vagues pour sanctionner les critiques de la religion et d'autres convictions et idées.

La Constitution n'abolit pas la peine de mort, même si les autorités observent de fait un moratoire sur l'application de ce châtiment depuis le début des années 1990. Les autorités tunisiennes doivent protéger le droit à la vie, inscrit dans la Constitution, en prenant les mesures qui s'imposent pour abolir la peine capitale, ont déclaré les trois organisations.

Interprétation de la Constitution

Deux tâches ardues attendent maintenant la Tunisie : faire en sorte que les autorités, y compris judiciaires, interprètent et appliquent les droits humains inscrits dans la Constitution en respectant leur signification dans les conventions internationales ratifiées par la Tunisie, et entamer une réforme des lois qui sont contraires à la nouvelle Constitution.

La Tunisie est tenue de veiller à la conformité de sa Constitution et de ses lois à ses obligations internationales. Or, la suprématie du droit international reste problématique au regard de la nouvelle Constitution. L'article 20 dispose que «les Traités internationaux approuvés par l’assemblée représentative et ensuite ratifiés, ont un rang supra-législatif et infra-constitutionnel». L'interprétation de cette disposition ne doit pas être incompatible avec la Convention de Vienne sur le droit des traités, ratifiée par la Tunisie, qui affirme en son article 27 qu'«une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité».

Réforme de la législation

Les dispositions figurant à la fin de la Constitution régissent la période de transition entre l'adoption de la Constitution jusqu'aux prochaines élections parlementaires et présidentielles. L'Assemblée nationale constituante conserve ses prérogatives législatives pendant cette période. Le Code pénal et le Code de procédure pénale figurent parmi les textes de loi qu'il faut absolument réviser pour qu'ils soient conformes avec la nouvelle Constitution.

Par exemple, la non-reconnaissance du droit à l'assistance d'un avocat pendant la période initiale de détention est une grave lacune du droit tunisien qui enfreint le droit désormais constitutionnel d'accès à la justice. Les législateurs doivent modifier le Code de procédure pénale de sorte que les suspects puissent consulter un avocat peu de temps après leur placement en détention, ont déclaré les trois organisations.

Le droit tunisien contient plusieurs dispositions qui doivent être mises en conformité avec la Constitution afin que soient protégés la liberté des médias et le droit à la liberté d'expression. Les législateurs et les magistrats doivent supprimer toutes les dispositions du Code pénal et du Code de la presse qui prescrivent des peines d'emprisonnement pour des délits d'expression non violents, par exemple la distribution de tracts «susceptibles de troubler l'ordre public ou de porter outrage aux bonnes mœurs» ou les actes de «diffamation de représentants de l'État», ont déclaré les organisations.