Les restes de sous-munitions d'une bombe aérienne britannique, à Hajjah dans le nord du Yémen. © Amnesty International
Les restes de sous-munitions d'une bombe aérienne britannique, à Hajjah dans le nord du Yémen. © Amnesty International

Yémen Des civils tués et mutilés dans des zones contaminées par des bombes à sous-munitions

Des enfants et leurs proches rentrant dans le nord du Yémen après une année de conflit risquent d’être grièvement blessés, voire tués, par des milliers de sous-munitions non explosées.

Une aide internationale est requise de toute urgence afin de procéder au déminage des zones contaminées, et les pays ayant de l’influence doivent exhorter les forces de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite à cesser d’utiliser des armes à sous-munitions, qui sont interdites à l’échelle internationale et non-discriminantes par nature.

«Même si le calme est revenu, la vie et les moyens de subsistance de civils, notamment de jeunes enfants, continuent à être menacés au Yémen à l’heure où ils reviennent chez eux, sur ce qui s’apparente désormais à des champs de mines. Ils ne pourront pas vivre en sécurité tant que les zones contaminées aux alentours de leurs habitations et de leurs champs ne seront pas identifiées et débarrassées de sous-munitions meurtrières et d’autres munitions non explosées», a déclaré Lama Fakih, conseillère principale auprès d’Amnesty International pour les situations de crise.

Des civils blessés par les explosions

Lors de sa mission la plus récente dans le nord du Yémen, Amnesty International a recueilli des éléments attestant que les forces de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite ont utilisé des bombes à sous-munitions américaines, britanniques et brésiliennes. Le recours aux armes à dispersion est interdit par la Convention sur les armes à sous-munitions, à laquelle le Royaume-Uni est partie.

L’organisation a parlé à 30 personnes, notamment des victimes de l'explosion de sous-munitions et d’autres dispositifs, ainsi qu’à leurs proches, à des témoins, à des experts du déminage, à des militants et à quelques premiers intervenants.

L’organisation a recensé 10 nouveaux cas, dans lesquels 16 personnes civiles ont été blessées ou tuées par des sous-munitions entre juillet 2015 et avril 2016. Parmi celles-ci figurent neuf enfants, dont deux sont morts. Les explosions ont eu lieu des jours, des semaines, voire des mois après que les bombes ont été larguées par les forces de la coalition au Yémen.

Les zones situées le long de la frontière avec l’Arabie saoudite connaissent un répit depuis qu’un cessez-le-feu local a été conclu en mars 2016. Des civils ont commencé à rentrer chez eux et à penser qu’il est moins dangereux de circuler dans les gouvernorats de Hajjah et Saada. Mais des responsables du déminage, des résidents locaux et les premiers intervenants rencontrés ont déclaré à Amnesty International qu’ils continuaient à voir des civils blessés par des explosions, avec une augmentation du nombre de victimes de munitions non explosées, en particulier dans des zones situées le long de la frontière entre le Yémen et l’Arabie saoudite, notamment à Midi, Haradh, Hayran, Bakil al Mir et Mustabah dans le gouvernorat de Hajjah, et à al Safra, Razih, Shada et Baqim, dans le gouvernorat de Saada.

Déminage des zones concernées

Reconnaissant le grave danger que présentent les munitions non explosées pour la population civile, le Yemen Executive Mine Action Centre (YEMAC), seule agence de déminage du Yémen, a commencé à enlever et détonner les armes retrouvées dans les gouvernorats de Saada et Hajjah au début du mois d’avril 2016, bien que ses équipes soient mal équipées et insuffisamment formées.

Si on ignore encore l’ampleur totale de la contamination par les sous-munitions, au cours des trois premières semaines de travail du YEMAC, ses registres montrent que ses équipes à l’œuvre dans les gouvernorats de Saada et Hajjah ont enlevé au moins 418 sous-munitions, 810 fusées et autres restes d’artillerie, 51 mortiers et plus de 70 missiles.

Il est tragique que le centre ait brusquement interrompu ses activités de déminage le 26 avril, après que trois membres de son personnel ont été tués dans des circonstances impliquant des sous-munitions tandis qu’ils effectuaient leur travail à Hayran dans le gouvernorat d’Hajjah.

Un risque élevé pour les enfants

«Les pays donateurs doivent agir rapidement pour soutenir les efforts locaux visant à identifier, marquer et déminer de toute urgence et dans de bonnes conditions de sécurité les zones où se trouvent des munitions non explosées, et à apprendre aux populations concernées comment éviter les dangers d’ici là», a déclaré Lama Fakih. «S’en abstenir exposerait à de très grands dangers les civils, notamment les enfants, vivant dans les zones concernées.»

Il existe en particulier un risque que les enfants ramassent des sous-munitions et s'amusent avec celles-ci, les prenant pour des jouets du fait de leur petite taille et de leur forme. Certaines ont l’air de cannettes, tandis que d’autres ressemblent à des ballons.

Amnesty International a recueilli les propos d’un garçon de 13 ans blessé en fin d’après-midi un jour de janvier 2016 après avoir semble-t-il ramassé une sous-munition près d’une source où les résidents locaux s’approvisionnent en eau. L’adolescent a déclaré que les projectiles étaient verts et de la forme d’«une petite balle pour jouer». Cette description semble correspondre aux sous-munitions des bombes BLU-63, de fabrication américaine.

«J’ai aperçu la sous-munition près de l’endroit où nous étions allés chercher de l’eau et quand j’ai continué à marcher, je l’ai vue par terre. Je l’ai ramassée, je l’ai lancée et elle a explosé. J’ai été blessé, puis mon frère est allé chercher de l’aide [...]» Il a été hospitalisé pendant deux mois et a subi une intervention chirurgicale à l’abdomen. Il a déclaré à Amnesty International qu’il reste des sous-munitions à côté de la source.

Le 1er mars, «Walid» (le nom de ces enfants a été changé pour leur sécurité), un garçon de 11 ans habitant une zone voisine, a également été blessé par une sous-munition, et a perdu trois doigts et eu la mâchoire fracturée. «Samih», son frère de huit ans, a été tué. Walid a expliqué à Amnesty International que Samih et lui se trouvaient à proximité du village de Fard, dans le secteur d’al Safra à Saada, le 1er mars lorsqu’ils ont découvert plusieurs sous-munitions tandis qu’ils gardaient des chèvres dans une vallée. Il a déclaré que Samih et lui portaient les sous-munitions et jouaient avec elles depuis plusieurs heures, lorsque l’une d’elles a fini par exploser vers 13 heures, tuant Samih sur le coup et blessant Walid.

Le 16 avril, dans un village du gouvernorat d’Hajjah, à une dizaine de kilomètres de la frontière saoudienne, un garçon de 12 ans a également été tué et son frère de neuf ans blessé lorsqu’ils ont joué avec des sous-munitions tandis qu’ils gardaient des chèvres dans une vallée à proximité. Selon des membres de leur famille, la ligne de front est plus proche de la frontière de quelques kilomètres, et les résidents locaux ont déclaré à Amnesty International que des combattants sont parfois forcés de battre en retraite dans des villages de la zone afin de se mettre à l’abri de la puissance de feu saoudienne.

Utilisation d'armes de fabrication britannique, américaine et brésilienne

Depuis le début de la campagne de frappes aériennes menée par l’Arabie saoudite, le 25 mars 2015, Amnesty International a recueilli des informations sur six types de sous-munitions utilisées au Yémen par les forces de la coalition. D’autres sources crédibles, parmi lesquelles Human Rights Watch, ont également recueilli des renseignements sur leur utilisation.

La mission la plus récente d’Amnesty International a confirmé, pour la première fois, que les forces de la coalition ont utilisé au Yémen des armes à dispersion BL-755 de fabrication britannique. Il est établi que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis comptent cette arme parmi leurs stocks.

L’équipe de recherche d’Amnesty International a retrouvé la bombe BL-755 dans la région d’Hayran, dans le centre que le YEMAC utilise pour conserver les munitions non explosées qu’il a retrouvées. La bombe n’a pas fonctionné comme prévu et les petits projectiles présents dans cinq des sept sections originales n’avaient pas été dispersés et n’avaient pas explosé.
Il s’agit de la première utilisation confirmée de sous-munitions de fabrication britannique depuis l’adoption, en 2008, de la Convention sur les armes à sous-munitions, que le Royaume-Uni a contribué à élaborer et négocier.

D’autres types récemment identifiés par Amnesty International incluent un un système ASTROS de lance-roquettes équipées de sous munitions, de l’entreprise brésilienne Avibrás, et des armes CBU-105 amorcées par capteur et remplies de cartouches BLU-108/B, de fabrication américaine.

Recommandations

«Sans effort concerté visant à empêcher l’Arabie saoudite et ses alliés d’utiliser des sous-munitions, ni soutien international d’urgence en matière de déminage, ces armes à dispersion et d’autres restes explosifs de guerre continueront à faire des morts au Yémen pendant des années, représentant une menace pour les civils et causant des ravages dans l’économie locale», a déclaré Lama Fakih.

L’Arabie saoudite et d’autres membres de la coalition doivent faciliter l’enlèvement des munitions non explosées dans les zones contaminées. Les États en mesure de le faire doivent fournir toutes les mesures possibles d’assistance technique, financière, matérielle ou autre qui s’imposent afin de permettre l’identification, ainsi que l’enlèvement ou la destruction de sous-munitions issues d’armes à dispersion, de bombes non explosées et d’autres restes explosifs de guerre. Ils doivent aussi fournir une assistance aux victimes, notamment pour que celles-ci et leurs proches puissent bénéficier de soins médicaux, d’un soutien psychologique et de mesures de rééducation, ainsi qu’une éducation sur les risques.

Les membres de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite doivent immédiatement transmettre aux Nations unies des informations précises sur les sites visés par des bombes à sous-munitions, notamment des cartes, des données contenant la date exacte des frappes, leur type précis et le nombre utilisé, afin de faciliter l’enlèvement et la sensibilisation aux risques, et de limiter le danger que ces armes ne fassent de nouveaux morts et blessés parmi la population civile.

Les États fournissant des armes à la coalition menée par l’Arabie saoudite et les membres de la coalition doivent immédiatement cesser de transférer et d’utiliser des sous-munitions, et doivent mettre hors service et éliminer les stocks restants sans délai.