Dans un nouveau rapport rendu public vendredi 26 février 2016, la Coalition pour le contrôle des armes indique que l’Allemagne, l’Espagne, les États-Unis, la France, l’Italie, le Monténégro, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse et la Turquie ont déclaré pour l’année 2015 des ventes d’armes et des licences d’exportation - notamment de drones, de bombes, de torpilles, de roquettes et de missiles - vers l’Arabie saoudite pour un montant de 25 milliards de dollars. Il s’agit du genre d’armes actuellement utilisées par l’Arabie saoudite et ses alliés pour commettre des violations flagrantes des droits humains et des crimes de guerre présumés lors d’attaques aériennes et au sol au Yémen.
Réduire la souffrance humaine
Tous les pays exportateurs d’armes identifiés dans le rapport sont parties au TCA ou l’ont signé, ce qui les engage à «réduire la souffrance humaine» au moyen de nouvelles règles mondiales pour le commerce des armes, qui interdisent les transferts d’armes qui serviraient à commettre des crimes de guerre ou risqueraient d’être utilisées dans d’autres atteintes graves au droit international.
Des gouvernements assisteront à la réunion extraordinaire de la Conférence des États parties au TCA à Genève lundi 29 février 2016, pour discuter du financement de la mise en œuvre du TCA et d’autres questions logistiques concernant le secrétariat officiel du traité.
«Une campagne qui bombarde, tue et affame les civils»
Nawal al Maghafi, chercheuse yéménite, qui a été témoin des conséquences de frappes aériennes récentes au Yémen et sera présente à la réunion de lundi, a déclaré : «Ces pays arment et aident une campagne qui bombarde, tue et affame des civils. J’ai été témoin de ce que les Yéménites endurent - voir des corps tirés des décombres à Sanaa ou des restes humains parmi les gravats jonchant le site d’une station d’épuration visée par une frappe aérienne à Hajja ou assister à une réception de mariage qui se transforme en funérailles. »
«Le Yémen a besoin d’une solution pacifique et négociée. Ses habitants ont besoin d’une assistance humanitaire, pas de nouvelles bombes. Mais ces pays choisissent plutôt de contribuer à l’intensification du conflit, en aidant un régime cruel qui bombarde des civils en toute connaissance de cause. Cela est véritablement criminel. Et ces gouvernements doivent être amenés à répondre de leurs actes.»
Suspendre les transferts d’arme vers l’Arabie saoudite
La campagne Contrôlez les armes demande aux États parties de parler de la grave situation au Yémen lors de la réunion de lundi, et de s’engager immédiatement à suspendre les transferts d’armes vers l’Arabie saoudite et ses alliés lorsqu’il existe un risque élevé que celles-ci soient utilisées au Yémen.
Anna Macdonald, directrice de la campagne Contrôlez les armes, a déclaré : «Des gouvernements tels que ceux de la France et du Royaume-Uni ont fait partie des chefs de file du mouvement en faveur du TCA - et ils compromettent désormais les engagements pris afin de réduire la souffrance humaine, en fournissant à l’Arabie saoudite certaines des armes les plus meurtrières au monde. Cela est vraiment immoral. Certains éléments montrent de manière irréfutable que ces armes sont utilisées contre des zones résidentielles et des objets civils. Environ 35 000 personnes ont été tuées ou blessées en moins d’un an dans le cadre de ce conflit, et plus de 2,5 millions ont perdu leur domicile. Trop, c’est trop.»
Des profits sur la souffrance de familles yéménites
«La réunion de lundi à Genève ne doit pas être l’occasion de se perdre en futilités pendant que le Yémen brûle - les gouvernements doivent parler de cette atteinte grave au TCA. Les États fournissant des armes aux Saoudiens doivent cesser de faire d’énormes profits sur la souffrance de familles yéménites et commencer à appliquer à tous les futurs transferts d’armes les critères stricts fixés par le TCA.»
Se fondant sur les informations limitées mises à la disposition du public, le rapport estime que la valeur totale déclarée des licences d’exportation et ventes annoncées d’armes en direction de l’Arabie saoudite pour l’année 2015 a dépassé les 25 milliards de dollars. Parmi ces transactions, celles effectuées avec les États parties ont représenté 4,9 milliards de dollars, mais leur montant réel est certainement beaucoup plus élevé.
De nombreux États n’ont pas encore déclaré l’intégralité des licences d’exportation approuvées ou des transferts effectués pendant la période 2014-2015, mais les données suivantes ont été communiquées :
- Entre le 1erjanvier et le 30 septembre 2015, le Royaume-Uni a accordé 152 licences d’exportation d’équipements militaires vers l’Arabie saoudite, pour un total de 4,16 milliards de livres britanniques - sept de ces licences représentaient en tout plus d’1 milliard de livres pour des bombes, des torpilles, des roquettes et des missiles
- Entre janvier et juin 2015, l’Espagne a autorisé huit licences d’exportation pour des aéronefs, des systèmes de contrôle de tir, des bombes, des torpilles, des roquettes et des missiles vers l’Arabie saoudite, représentant 27 millions d’euros
- Entre janvier et novembre 2015, l’Italie a exporté vers l’Arabie saoudite des armes, des munitions et des pièces détachées pour un montant de 39,7 millions de dollars.
En vertu du TCA, toutes les transactions portant sur des armes doivent être évaluées selon des critères stricts, notamment le risque que ces armes soient utilisées pour commettre de graves violations des droits humains ou des crimes de guerre, ou détournées à des fins criminelles, voire terroristes. Le traité exige que si l’État effectuant le transfert est raisonnablement informé de la possibilité que les armes puissent être utilisées dans des crimes de guerre, ou s’il existe un risque substantiel que l’exportation en question ne soit pas conforme à un des critères fixés, le transfert ne peut être autorisé.
Des violations sont aussi commises par les Houthis, qui, selon des experts des Nations unies, ont intercepté et se sont procuré des armes par le biais de détournements. Le rapport n’aborde toutefois pas cette question, faute de données fiables.
Crimes de guerre
Brian Wood, responsable des questions liées au contrôle des armes et aux droits humains au sein d’Amnesty International, a déclaré : «Les gouvernements approuvant l’exportation vers l’Arabie saoudite d’armes pouvant être utilisées au Yémen ont reçu ces derniers mois de nombreuses informations détaillées et crédibles de la part des Nations unies et d’autres organes respectables, indiquant que les forces armées du royaume saoudien et de ses alliés commettent de manière systématique d’horribles atteintes aux droits humains et des crimes de guerre à travers le Yémen.
«Face aux souffrances de civils et à la multiplication du nombre de victimes, ces gouvernements n’ont pas adopté de mesures convaincantes afin de prévenir de nouvelles violations, de mener des enquêtes indépendantes et impartiales ou de traduire les responsables présumés en justice. Ils continuent au contraire de faire des affaires et dans certains cas augmentent même les transferts d’armes. Ceci est une atteinte claire aux règles d’or du Traité sur le commerce des armes. Compte tenu des risques élevés, nous demandons à tous les États de suspendre immédiatement les transferts d’armes et de soutien militaire vers l’Arabie saoudite et la coalition de ses partenaires, lorsqu’ils peuvent servir à commettre ou faciliter des violations graves du droit international humanitaire ou en matière de droits humains au Yémen.»
Exportations suisses
Au moment de la rédaction du rapport, le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) n’avait pas encore publié ses statistiques annuelles. C’est aujourd’hui chose faite et l’on sait que les entreprises suisses ont exporté pour un peu plus de 5 millions de francs suisses d’armes vers l’Arabie saoudite en 2015.
Ces entreprises ont exporté pour 3’892’000 de francs suisses « d'armes de tout calibre, à l’exception des armes individuelles à épauler et des armes de poing » et pour 1’877’000 frs de « matériel de conduite de tir ». Amnesty International regrette que, dans les deux cas, les définitions ne permettent pas de savoir de manière précise de quelles armes il s’agit. Les destinataires finaux de ces armes ne sont par ailleurs pas connus non plus.
La Suisse a également exporté pour près de 550’000’000 de francs suisses d’avions Pilatus, qui sont considérés comme des biens à double usage (pouvant être utilisés soit à des fins civiles soit à des fins militaires.) Ceci inquiète également Amnesty, car même si ces avions ne sont pas directement employés dans des opérations de guerre au Yémen, on peut néanmoins imaginer que les pilotes saoudiens se sont formés et entraînés sur ce type d’appareils. Amnesty International s’en est déjà inquiété dans une lettre adressée récemment au Conseil fédéral.
Complément d'information
- Chaque jour, jusqu’à 2 000 personnes sont tuées dans le monde par la violence armée, et des millions d’autres vivent dans la hantise des viols, des agressions et des déplacements de population qui surviennent lorsque des armes tombent entre de mauvaises mains.
- Le TCA est un des accords multilatéraux sur les armes dont l’entrée en vigueur a été la plus rapide. Les États parties au TCA sont au nombre de 81, et il ne faut pas oublier les 52 autres pays l’ayant signé mais pas encore ratifié, comme les États-Unis. Les États parties incluent de gros exportateurs d’armes tels que l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni.
- La Coalition pour le contrôle des armes est un mouvement mondial de la société civile qui fut l’un des fers de lance de la campagne ayant duré une dizaine d’années en faveur d’un TCA, et qui se mobilise désormais afin que le traité soit efficacement mis en œuvre. Cette coalition regroupe plus de 300 organisations parmi lesquelles des ONG internationales de renom, ainsi que de nombreuses organisations régionales et nationales.