En plus des frappes aériennes incessantes des forces de la coalition, les différents groupes rivaux s’affrontent au sol. D’un côté se trouvent les Houthis, un groupe armé dont les membres appartiennent à une branche de l’islam chiite connue sous le nom de zaïdisme. Les Houthis sont alliés aux partisans de l’ancien président du Yémen, Ali Abdullah Saleh. Face à eux, les forces anti-Houthis, alliées à l’actuel président, Abd Rabbu Mansour Hadi, et à la coalition menée par l’Arabie saoudite.
Les civils sont piégés entre les deux camps. Plus de 12 000 d’entre eux ont été tués ou blessés, et la crise humanitaire ne cesse de s’aggraver.
Depuis deux ans, une grande partie du monde ignore ce conflit et ne reçoit que peu d’informations sur ses conséquences dévastatrices.
«C’était comme le Jugement dernier. Il y avait des cadavres et des têtes dispersés partout, mangés par les flammes et enfouis sous les cendres». - Amal Sabri, qui habite dans la ville portuaire de Mokha, dans le sud-ouest du pays, a décrit en ces termes la frappe aérienne qui a touché cette zone le 24 juillet et qui a tué au moins 63 civils et en a blessé 50 autres.
- Plus de 4 600 civils ont été tués au cours du conflit, et plus de 8 000 blessés
- Trois millions de personnes ont dû partir de chez elles à cause des combats
- Deux millions d’enfants sont déscolarisés
- 18,8 millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire, notamment de nourriture, d’eau, d’abris, de carburant et de services sanitaires
Le lourd tribut payé par les civils
Les civils sont les premiers touchés par la violence du conflit au Yémen. Non seulement celui-ci a fait de nombreux morts et blessés parmi eux, mais il a aussi aggravé la crise humanitaire qui était déjà profonde après des années de pauvreté et de mauvaise gestion de l’État, entraînant une grande souffrance de la population.
Près de 18,8 millions de Yéménites survivent actuellement grâce à l’aide humanitaire. Afin d’empêcher les forces des Houthis de se ravitailler, la coalition a mis en place un blocus aérien et maritime partiel. Cela restreint fortement l’approvisionnement en carburant et en autres produits de base, réduisant l’accès à la nourriture, à l’eau, à l’aide humanitaire et aux fournitures médicales, faisant grimper le prix de la nourriture et créant une situation extrêmement difficile pour des millions de personnes. Les dégâts infligés par les frappes aériennes à des infrastructures logistiques cruciales telles que des ponts, des aéroports et des ports maritimes entravent par ailleurs fortement l’acheminement de fournitures humanitaires essentielles.
«Mon fils était né depuis 14 heures quand il est mort [...] les médecins nous ont dit qu’il avait besoin de soins intensifs et d’oxygène. Nous l’avons amené à tous les hôpitaux ouverts, mais il est mort. »
Qui combat qui ?
D’un côté, le groupe armé houthi – souvent appelé «Comités populaires» – qui est soutenu par certaines unités de l’armée et des groupes armés fidèles à l’ancien président Ali Abdullah Saleh.
Dans le camp opposé, la coalition militaire menée par l’Arabie saoudite et soutenue par le président Abd Rabbu Mansour Hadi, qui a lancé des attaques aériennes et mené des opérations au sol au Yémen. Cette coalition comprend les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Koweït, le Qatar, la Jordanie et le Soudan. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont fourni à la coalition un soutien essentiel en termes de renseignement et de logistique.
Des atteintes aux droits humains de part et d’autre
Amnesty International a rassemblé des éléments révélant que toutes les parties au conflit ont perpétré de graves atteintes aux droits humains et bafoué le droit international humanitaire, notamment en commettant des crimes de guerre.
Amnesty International a rassemblé des informations sur 34 frappes aériennes menées dans six gouvernorats (Sanaa, Saada, Hajjah, Hodeidah, Taizz et Lahj) par la coalition conduite par l’Arabie saoudite, qui ont manifestement violé le droit international humanitaire – les règles s’appliquant en cas de conflit armé, parfois appelées «lois de la guerre» – et lors desquelles 494 civils (dont au moins 148 enfants) ont été tués et 359 blessés. Il s’agit notamment d’attaques ayant délibérément pris pour cibles des civils et des biens de caractère civil tels que des hôpitaux, des écoles, des marchés et des mosquées, et qui peuvent constituer des crimes de guerre.
Armes interdites
La coalition menée par l’Arabie saoudite a aussi utilisé des armes à sous-munitions, armes explosives meurtrières interdites au titre du droit international. Les bombes à sous-munitions libèrent des dizaines de «petites bombes» qui, souvent, n’explosent pas immédiatement et peuvent causer de terribles blessures longtemps après l’attaque initiale. Amnesty International a rassemblé des informations sur l’utilisation par la coalition d’au moins quatre types différents d’armes à sous-munitions, notamment des armes de fabrication américaine, britannique et brésilienne.
Des armes qui frappent de manière imprécise sont utilisées quotidiennement dans des zones d’habitation, faisant des victimes parmi les civils. Ces attaques menées sans discrimination violent les lois de la guerre.
Amnesty International a aussi enquêté sur 30 attaques au sol, menées par des forces pro et anti-Houthis, à Aden et à Taizz, qui n’ont pas fait de distinction entre les combattants et les civils, et qui ont causé la mort d’au moins 68 civils, des femmes et des enfants pour la plupart. Des combattants des deux camps ont également utilisé des armes imprécises, notamment avec des pilonnages d’artillerie et des tirs de mortier et de roquettes Grad, dans des secteurs densément peuplés par des civils, et ont agi dans des quartiers résidentiels en lançant des attaques depuis des positions situées dans des maisons, des écoles et des hôpitaux ou à proximité. Toutes ces attaques sont de graves violations du droit international humanitaire et peuvent constituer des crimes de guerre.
Le groupe armé houthi, soutenu par les forces de sécurité de l’État, est responsable d’une vague d’arrestations parmi ses opposants, notamment les défenseurs des droits humains, les journalistes et les universitaires, capturant des adversaires de manière arbitraire et sous la menace d’une arme, et soumettant certains d’entre eux à une disparition forcée dans le cadre d’une campagne visant à étouffer la dissidence dans des zones du Yémen se trouvant sous son contrôle.
Les forces anti-Houthis alliées au président Hadi et la coalition ont également mené une campagne d’intimidation et de harcèlement contre le personnel de l’hôpital à Taizz, et elles mettent en danger les civils en positionnant des combattants et en prenant des positions militaires près d’établissements médicaux.
Les armes qui alimentent la crise
En dépit de nombreux éléments tendant à prouver que des atteintes graves au droit international ont été perpétrées au Yémen et des effets dévastateurs sur la population civile des graves violations du droit international, beaucoup de pays continuent de procéder à la vente et au transfert, vers l’Arabie saoudite et ses alliés, d’armes utilisées dans le conflit. Des armes ont également été détournées pour finir entre les mains des Houthis et d’autres groupes armés qui combattent au Yémen.
«les violations flagrantes des droits humains demeurent impunies.» - James Lynch, d’Amnesty International
Les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Espagne, le Canada et la Turquie ont fait état de transferts vers l’Arabie saoudite pour un montant de près de 5,9 milliards de dollars entre 2015 et 2016, incluant notamment des drones, des bombes, des torpilles, des roquettes et des missiles.
Plusieurs de ces États sont parties au Traité sur le commerce des armes, qui vise à «réduire la souffrance humaine» et qui rend illégal le transfert d’armes quand ces armes risquent d’être utilisées pour commettre de graves violations du droit international.
Amnesty International exhorte tous les États à veiller à ce qu’aucune partie au conflit au Yémen ne reçoive – directement ou indirectement – des armes, des munitions ou des équipements ou technologies militaires susceptibles d’être utilisés dans le conflit, tant que perdurent ces graves violations. Ces restrictions doivent aussi s’appliquer au soutien logistique et financier pour de tels transferts.
L’obligation de rendre des comptes doit être respectée de toute urgence
Dans ce contexte de non-droit et d’atteintes aux droits humains, il est urgent que la vérité soit faite, que justice soit rendue et que l’obligation de rendre des comptes soit respectée pour les victimes du conflit.
Compte tenu des insuffisances des enquêtes menées jusqu’à présent par l’Arabie saoudite et par le Yémen, Amnesty International estime que cet objectif ne pourra être atteint qu’avec la mise en place d’une enquête internationale indépendante menée par l’ONU et portant sur les allégations d’atteintes aux droits fondamentaux commises par toutes les parties au conflit ; cette enquête doit viser à ce que les responsables de ces crimes soient déférés à la justice et jugés dans le cadre de procès équitables, et à ce que des mesures efficaces soient prises pour faire face aux souffrances des victimes et de leurs proches et pour les aider à reconstruire leur vie.