Femme de Calama, portant une photo d'une de ses proches «disparues» © AI
Femme de Calama, portant une photo d'une de ses proches «disparues» © AI

MAGAZINE AMNESTY Chili Contre l'impunité des tortionnaires

Article paru dans le magazine «Amnistie!», publié par la Section suisse d'Amnesty International, novembre 2004
Reconnaître les violations des droits humains sous le régime du général Pinochet est un travail de longue haleine. Surtout si les autorités actuelles n’y mettent pas vraiment du leur. Rencontre avec un ancien exilé chilien, José Manuel Lira Morales.

«Les faits les plus obscurs de nos peuples doivent être traités en pleine lumière.» Cette phrase du poète Pablo Neruda résume assez bien le propos du porte-parole du Groupement des ex-prisonniers politiques de la dictature du général Pinochet, José Manuel Lira Morales. A 56 ans, cet ancien exilé, rentré au pays en 1985, est venu en Suisse fin septembre parler de son action en faveur des droits humains au Chili. Son combat : la reconnaissance des crimes commis sous le régime Pinochet dès septembre 1973 et la lutte contre l’impunité des tortionnaires. Avec pour lui sa seule parole.

Trop peu de condamnations

Les faits les plus obscurs, José Manuel Lira Morales les connaît trop bien: un million d’exilés, 250000 prisonniers politiques et, selon les chiffres officiels, 1150 «disparus». Plutôt 3500, selon lui. Reste que le problème principal ne réside pas vraiment dans les chiffres, mais du côté de la lumière. Le militant chilien critique l’attitude des gouvernements de l’après-Pinochet, une attitude qu'il juge un peu trop bienveillante à l’égard des ex-tortionnaires. Et ce n’est pas le processus de réconciliation nationale et de vérité lancé par ces gouvernements qui trouve grâce à ses yeux. Au contraire, «dans des commissions où le peuple ne participe pas, d’anciens tortionnaires réapparaissent et encouragent une falsification de la vérité».
D’ailleurs, lorsque procès il y a, aucun jugement n’est prononcé, les juges préférant négocier avec les ex-tortionnaires l’accès à des informations secrètes sur des personnes exécutées ou torturées. Ainsi, des 300 militaires amenés devant les tribunaux de la justice chilienne, José Manuel Lira Morales compte bien peu de condamnations. Pendant ce temps, les victimes et leurs familles attendent.

La vérité par la mémoire

Ce combat contre l’impunité des tortionnaires et la reconnaissance devant la justice des crimes de la dictature reste de toute façon un enjeu secondaire pour le gouvernement actuel, «qui ne pense qu’à appliquer une politique économique ultra-libérale et ainsi donner des gages de modernité aux investisseurs étrangers». Or, comme José Manuel Lira Morales le dit, «ce n’est pas avec une politique pareille qui déstabilise des pans entiers de la population que la réunification du peuple chilien avancera, elle passe d’abord par la mémoire et le coeur.»
Et puisque le gouvernement rechigne à faire ce travail, c’est la société civile chilienne qui met désormais tout son coeur à l’ouvrage pour recomposer la mémoire de celles et ceux qui ont connu les pires affres du régime Pinochet.
La mobilisation s’active, à l’image de l’Assemblée chilienne des droits humains, qui réunit plus de 1000 organisations dont celle de José Manuel Lira Morales. Celleci coordonne aujourd’hui un immense travail de collecte et de mémoire autour de la question des femmes et des hommes emprisonnés, «disparus», torturés ou exilés. Elle contribue de la sorte à donner une voix aux absents du processus officiel de réconciliation nationale, une « expression politique» pour faire passer leurs revendications. Lesquelles? Pour commencer, une pension minimum aux survivants et survivantes de la dictature ou leur famille, mais surtout et vite, la création d’une commission qui parle vraiment de droits humains et puisse faire ainsi, en pleine lumière, l’indispensable travail de mémoire. Bref, il faut enfin «ouvrir les archives de papier et de parole pour que l’Etat chilien reconnaisse qu’il a été un jour un criminel ».