«Les milices arabes massacrent des civils dans leur village»; «Les rebelles africains infligent une sévère défaite à l’armée gouvernementale»… Il est parfois difficile de saisir quelles sont les forces en présence au Soudan, où se côtoient différentes ethnies, langues et religions. Cette réalité complexe est le reflet d’une évolution de plusieurs millénaires.
La première culture attestée dans la région du Soudan actuel, au quatrième millénaire avant J.-C., est celle de l’Egypte ancienne. Par la suite se développent des spécificités régionales, grâce aux apports en provenance de la Grèce, de l’Empire romain et de l’Ethiopie. Cette société décline sous la pression de voisins ambitieux et la région se sépare en trois royaumes, dont les dirigeants se convertissent au christianisme au VIe siècle de notre ère. Mais les étroits contacts avec l’Egypte, ellemême aux mains des musulmans, amènent le passage des trois royaumes à l’islam, une transition qui s’achève au XVIe siècle.
Trafic d’esclaves
Alors que le nord du pays s’islamise et s’arabise de plus en plus sous l’influence des migrations de populations en provenance du nord, le Sud voit l’arrivée de peuples dont les langues et les structures sociales sont celles de l’Afrique centrale et équatoriale. Puis, au XIXe siècle, la quasi-totalité du pays est conquise par les forces turco-égyptiennes, qui finissent par annexer le Darfour en 1874. L’une des conséquences les plus graves est la mise en place d’un trafic d’esclaves à grande échelle, qui puise parmi les populations de tradition africaine, ce qui contribue à instaurer un climat de haine et de méfiance entre le Nord et le Sud.
Peu à peu, l’islam pratiqué par le régime turco-égyptien est considéré comme laxiste par les Soudanais eux-mêmes, qui se regroupent autour d’un mahdi (guide) pour se révolter avec succès. Mais alors que le nouvel Etat «mahdiste» commence à se stabiliser, la Conférence de Berlin attribue le Soudan à la Grande-Bretagne, qui s’en empare grâce à l’aide de l’armée égyptienne: la domination anglo-égyptienne commence en 1899.
L’indépendance et le chaos politique
C’est dans ce contexte qu’émergent les premiers groupements nationalistes, constitués de Soudanais cultivés vivant dans le nord du pays. Là se concentrent donc les efforts politiques des Anglais, qui laissent le Sud à l’écart des négociations. Suite à la révolution égyptienne de 1952, les nouvelles autorités écoutent les revendications d’indépendance des Soudanais: un parlement est formé et la Grande-Bretagne se retire en 1956. Le sud du pays, cependant, n’est pas satisfait de la place qui lui est laissée au sein du gouvernement. L’histoire du Soudan après son indépendance se résume à une succession de régimes militaires, chacun tentant de régler la question lancinante du Sud, qui revendique une certaine autonomie. «Le Soudan a une longue histoire de lutte pour la liberté», explique Liz Hodgkin, chercheuse d’Amnesty International sur ce pays. «Le dictateur Abbud a été renversé en 1964 par des protestations massives dans la rue, mais la démocratie n’a pas réussi à s’installer, ni après le renversement, ni plus tard.» A force, l’instabilité du pays mine son économie, créant une situation de famine chronique. En outre, les altercations constantes entre armée gouvernementale et milices rebelles contraignent des villages entiers à l’exil.
Fouettée pour son pantalon
L’année 1989 voit un nouveau coup d’Etat imposer la loi islamique, qui vient parachever la radicalisation de l’islam en cours dans le pays depuis une décennie. L’application très stricte de la charia ne fait qu’empirer la colère des populations non musulmanes, et contribue à une escalade de la violence. Cette situation se révèle particulièrement défavorable aux femmes, plus souvent victimes d’accusations d’habillement indécent, de prostitution et d’adultère. Une femme raconte avoir été fouettée pour avoir porté un pantalon : «Après avoir reçu mes quarante coups de fouet, j’ai lancé au juge un regard haineux. Il l’a remarqué et m’a fait donner encore cinq autres coups.»
Les événements récents continuent à accentuer l’inimitié entre le nord du pays et les autres provinces: lorsque du pétrole est découvert en 1978 dans des régions aux populations majoritairement africaines et chrétiennes, l’or noir est malgré tout attribué au Nord en raison d’accords de paix conclus plusieurs années auparavant…
C’est le début d’une nouvelle guerre civile qui va durer vingt ans, entre le gouvernement central et l’Armée de libération des peuples du Soudan (SPLA), sous la direction de John Garang. Le conflit fait près de deux millions de morts et quatre millions de déplacés. Ces dernières années, la violence semblait même avoir atteint son paroxysme: exactions contre des civils, torture, exécutions sommaires, persécutions ethniques et esclavage sexuel étaient des pratiques quotidiennes. Mais début 2004, le gouvernement soudanais et les rebelles se sont à nouveau assis à la table des négociations de paix, signe d’espoir pour une résolution du conflit.
Le passé historique du Soudan est lourd. Des rancoeurs séculaires, un sentiment d’oppression chronique, des conflits culturels, une société complètement déstructurée: l’effort qu’il faudra fournir, de la part de toutes les parties concernées, devra être immense pour ramener la paix dans le plus grand pays d’Afrique.