«Quand les Janjawid sont arrivés, j’ai pris ma fille dans mes bras pour courir, une balle m’a atteint à la jambe droite et je ne pouvais plus courir vite, c’est à ce moment que ma fille Husna a été touchée.» Ce père de famille a raconté à l’équipe d’investigation d’Amnesty International comment sa fillette de trois ans a été tuée. Témoignage après témoignage, le rapport que l’organisation vient de publier sur les violations des droits humains au Tchad est accablant: la population civile de la région est victime d’attaques ciblées de la part des milices soudanaises Janjawid.
Conséquences: des déplacements massifs au Tchad et vers le Darfour, où la situation humanitaire est pourtant lamentable. En moins d’une année, les attaques menées par les Janjawid dans l’est du Tchad ont provoqué le déplacement forcé de cinquante mille à septante-cinq mille personnes. Rien qu’en mai et juin derniers, plus de dix mille Tchadien·ne·s ont traversé la frontière à Tissi pour se réfugier au Soudan, où sept mille réfugié·e·s vivent déjà dans des camps de fortune. Un grand nombre de ces personnes déplacées sont restées au Tchad, mais au moins quinze mille d’entre elles n’ont eu d’autre choix que de fuir au Darfour. Les gens qui ont été déplacés se sont regroupés dans des camps informels où ils restent souvent exposés au risque de nouvelles attaques.
Des attaques répétées
La situation à la frontière tchadienne est intimement liée à ce qui se passe au Darfour. Les milices Janjawid sont soutenues par le gouvernement soudanais et s’en prennent à la population civile, accusée de soutenir les groupes rebelles qui se battent contre le pouvoir de Khartoum. Elles attaquent directement les villages des ethnies définies comme «africaines», par opposition aux «arabes».
Cela fait plus de trois ans que les milices Janjawid s’en prennent aux communautés de la zone frontalière orientale du Tchad. Mais les attaques se sont intensifiées depuis quelques mois et sont devenues d’une cruauté indicible. Elles n’ont pas tout de suite atteint la barbarie qu’elles connaissent actuellement. Les premières, en 2003, étaient des raids de petite échelle destinés surtout à voler le bétail, généralement gardé à une certaine distance des villages. Les gardiens de bétail étaient tués s’ils résistaient aux Janjawid, mieux armés, mais les villages eux-mêmes n’étaient pas attaqués.
Or les incursions se multiplient au fur et à mesure que les relations entre le Tchad et le Soudan se dégradent. Les milices profitent d’attaques de groupes rebelles (installés au Soudan) contre le gouvernement tchadien pour s’en prendre à la population civile sans défense. Les Janjawid ont commencé à attaquer directement les villages, parfois de manière répétée sur plusieurs jours ou à certaines périodes du mois, jusqu’à ce que la plupart des villageois·e·s soient tué·e·s ou contraint·e·s de fuir. Les villages finissent ainsi par être totalement pillés. Dans certaines zones, ces actes constituent la dernière phase de l’évolution des attaques avant que les populations, totalement spoliées de leurs biens, ne soient finalement déplacées.
Le monde entier alerté
Le gouvernement tchadien est, certes, confronté à une menace réelle d’attaque du groupe rebelle du Front uni pour le changement démocratique (FUCD). Mais Amnesty International constate que le Tchad n’a pratiquement rien fait pour sécuriser la frontière orientale du pays et pour protéger les communautés qui y vivent. L’organisation estime que cette menace ne le décharge pas de son devoir fondamental de protection de la population civile. Elle demande au gouvernement tchadien, à l’Union africaine, au Conseil de sécurité des Nations unies et aux Nations unies elles-mêmes, un déploiement d’efforts pour assurer la sécurité de la population. Si rien n’est entrepris, les risques d’escalade de la violence sont énormes: les communautés tchadiennes cherchent à présent à acquérir des armes modernes pour assurer leur défense. De plus en plus de civil·e·s, y compris des enfants, viennent grossir les rangs des groupes rebelles.