MAGAZINE AMNESTY Guinée Le président aux trousses des syndicalistes

Article paru dans le magazine AMNESTY, n°49, publié par la Section suisse d’Amnesty International, mai 2007.
La vie des plus haut·e·s responsables des syndicats de Guinée est menacée. De passage en Suisse, trois syndicalistes racontent la répression.

 ©WOZA

La grève générale lancée par les syndicats au début de l’année a eu des conséquences dramatiques. Les forces gouvernementales ont tiré sur la foule, tuant et blessant de nombreuses personnes. Le bilan est lourd : près de deux cents morts, et plus de mille blessés. Même les personnes réfugiées dans les hôpitaux et les mosquées ont été visées. Les responsables syndicalistes ont été arrêté·e·s et brutalisé·e·s. Leurs locaux ont été saccagés par les «bérets rouges», cette garde présidentielle privée dirigée par le fils du président Lansana Conté.
Trois leaders syndicalistes étaient de passage en Suisse pour témoigner, à l’invitation du syndicat suisse UNIA. Hadja Rabiatou Serah Diallo est à la tête de la Confédération nationale des travailleurs de Guinée, qui regroupe les syndicats publics du pays. Cette femme de caractère n’arrive pas à comprendre comment l’armée du pays a pu tirer à bout portant sur ses propres citoyen·ne·s. Egalement arrêtée et blessée lors du siège de la bourse du travail, elle est encore sous le choc: «Ils sont venus et ont tout saccagé. Ils ont même frappé les femmes. J’ai été blessée à la jambe et je suis tombée. Ils ont frappé et blessé Yamodou Touré et le Dr Ibrahima Fofana qui a failli perdre un oeil.» Des larmes coulent quand elle évoque toutes ces morts inutiles et toute cette violence. Les trois responsables syndicalistes espèrent que la communauté internationale réagira.

Menaces extrêmes

Ils savent que leur vie et celle de leur famille est en danger. El Hadj Yamodou Touré est secrétaire général de l’Organisation nationale des syndicats libres de Guinée : «En Afrique, tout peut arriver à tout moment. Nos droits ne sont pas garantis. Le président lui-même nous a dit: ‹Je suis en train de réfléchir comment je vais vous tuer. Vous avez vu mes gorilles. Je vais leur dire de vous casser le cou et ils vont manger votre viande.› Nous ne sommes pas en sécurité.» Il sait de quoi il parle, lui qui a été arrêté et gravement blessé lors de l’attaque de la bourse du travail. «Ce n’est que grâce aux Guinéens de l’étranger et au réseau international que nous sommes un peu protégés, poursuit-il. Les violences commises sont innombrables. Ils ont violé des femmes jusque dans les mosquées. Il faudrait que nous puissions enquêter au niveau des préfectures et des régions pour avoir des preuves à présenter à la communauté internationale.» Mais il faut faire vite, car la saison des pluies approche et rend les routes impraticables. Les trois responsables n’ont pour le moment aucun moyen de joindre leurs collègues.

Détermination intacte

Fin janvier, pour mettre fin à la grève, le président a dû signer un accord avec les syndicats. Ce dernier prévoyait l’établissement d’une commission d’enquête sur les massacres et la nomination d’un nouveau Premier ministre. Faute d’avoir obtenu la démission de Lansana Conté, au pouvoir depuis plus de vingt ans, les syndicats ont dû se contenter d’un compromis. Ibrahima Fofana, leader des syndicats privés, reste lucide: «Les événements qui peuvent arriver sont impossibles à prévoir, malgré la nomination du nouveau Premier ministre. En dépit de toutes ses bonnes déclarations, les droits des syndicalistes ne sont toujours pas garantis. Nous et nos familles sommes menacés.» Mais les trois responsables syndicalistes restent déterminé·e·s à établir les faits et à continuer leur courageux travail.