Vallorbe, une gare au bout du monde. Presque déserte. Dans une aile du bâtiment, les bureaux du Service d’aide juridique aux exilé·e·s. Il y a là du thé et du café. Deux tables, quelques chaises et de vieux canapés élimés. Une dizaine de personnes dans la petite salle. Quelques groupes discutent dehors. Deux dames bénévoles accueillent tout ce petit monde en attente de réponses ou d’explications sur ce que sera leur vie demain. Elles distribuent les numéros qui leur permettront d’avoir un entretien avec la juriste du SAJE. Entretien presque vital si l’on pense qu’une personne réfugiée en Suisse qui n’entreprend pas les démarches juridiques adéquates risque d’être renvoyée alors même qu’elle est menacée. On estime, en effet, qu’un tiers des réfugié·e·s présent·e·s en Suisse ont dû faire recours pour que leur qualité de réfugié·e soit reconnue par les autorités. Le SAJE est inquiet: une partie des durcissements de la nouvelle Loi sur l’asile est déjà entrée en vigueur début 2007. La procédure d’asile, déjà difficile, prend désormais des allures de parcours du combattant.
Accès à la procédure d’asile menacé
A cinq minutes du SAJE, en contrebas des voies de chemin de fer, le Centre d’enregistrement pour requérant·e·s d’asile. Un des quatre centres d’enregistrement situé aux frontières de notre pays. Passage obligé pour toute personne qui cherche refuge en Suisse. Un bâtiment austère entouré de barbelés surveillé par des Securitas. Initialement, il s’agissait plutôt d’une zone de transit uniquement destinée à l’enregistrement des personnes qui entraient sur sol suisse. Depuis les récents durcissements de la loi, les requérant·e·s peuvent légalement y séjourner pendant deux mois. C’est long, car les conditions d’accueil sont réduites au strict minimum. Pour Chantal Varrin, directrice du SAJE, les conditions d’accueil sont même devenues un obstacle à la procédure d’asile : «Plusieurs obstacles à la procédure se cumulent. Il y a d’abord l’obstacle du séjour ici à Vallorbe, un endroit perdu, dans la promiscuité et la mixité. Les gens arrivent fatigués, traumatisés, et ne comprennent pas ce qui leur arrive. Ils sont seize dans une chambre, ils ont des heures de sortie limitées, on leur prend leur téléphone mobile et leur carnet d’adresses à l’entrée. Le résultat, c’est qu’ils n’ont pas de moyens de communication directe. Ils se retrouvent démunis et complètement absorbés par leurs problèmes immédiats.»
La traque aux preuves
La personne en quête d’asile doit attester la véracité de ce qu’elle avance au moyen de preuves. Les personnes sans documents d’identité valables n’ont droit à une procédure d’asile que si elles peuvent prouver sur le champ qu’elles sont persécutées. Pour cela, il faut des preuves écrites. Chantal Varrin ajoute: «Le manque de moyens, le sentiment d’un manque de temps pour faire venir des preuves constituent un autre obstacle. Une fois que la procédure est terminée ou que la décision de non-entrée en matière est tombée, c’est très difficile. Car les personnes se retrouvent à l’aide d’urgence. C’est la précarité totale. Elles sont tellement occupées à leur survie quotidienne que c’est très difficile de continuer sur tous les aspects qui concernent la procédure juridique.» Lors de sa consultation, une jeune requérante francophone s’inquiète : «Pourquoi des gens arrivés après moi sont déjà repartis alors que moi je suis toujours là? Je suis juste là à attendre et à manger des pâtes tous les jours!» Sandra Paschoud Antrilli, juriste au SAJE, a bien du mal à lui répondre. Et pour cause: il n’y a pas de vraie réponse à cette question ! La jeune fille comprend bien qu’elle n’est pas la bienvenue en Suisse, encore moins à Vallorbe : « Jamais, ni à la radio, ni à la télévision, pas une seule fois on ne dit du bien des requérants.» Elle devient volubile quand elle explique son mal-être de se trouver ici, au bout du monde. Elle refusera catégoriquement d’être photographiée. Elle veut bien raconter son histoire. Mais ni son nom ni son pays d’origine ne doivent être mentionnés. Elle sait que les informations voyagent, même jusque dans son pays qu’elle a fui pour éviter un mariage forcé avec un homme qui avait l’âge d’être son père.
Aberrations quotidiennes
Un jeune Guinéen vient avec une décision de non-entrée en matière. Sandra Paschoud Antrilli lui explique ce qu’elle signifie: les autorités ne croient pas ce qu’il raconte. Il doit quitter le pays tout de suite. Il reste cinq jours pour déposer un recours. Mais comment expliquer que les autorités suisses, qui ont pourtant suspendu tous les renvois vers la Guinée à cause de la situation explosive qui y règne, envoient une décision de non-entrée en matière – ce qui revient à lui refuser une procédure d’asile – à un requérant guinéen? La lettre précise : «Ni la situation politique régnant actuellement dans le pays d’origine du requérant, ni aucun autre motif ne s’opposent au rapatriement, lequel est raisonnablement exigible.» C’est sûr, Sandra fera recours contre cette décision. A 16 h, quand elle aura fini ses dix-sept consultations de la journée, elle pourra enfin analyser le dossier calmement et faire les démarches nécessaires.