La délégation des tâches de police à des entreprises de sécurité privées pose des problèmes. En effet, Amnesty International a reçu de nombreux témoignages qui mettent plus particulièrement en cause des employé·e·s de Securitrans et de Securitas, accusés de mauvais traitements, de racisme et d’usage excessif de la force. Dans certains cas, il n’y a même pas eu d’enquête officielle indépendante, efficace, approfondie et impartiale. Ceci alors que plusieurs témoins ont assisté aux scènes de violence, confirmant ainsi la version qui avait été donnée par les victimes. Lors d’une procédure pénale ouverte suite à la plainte d’un requérant somalien (voir encadré), ce dernier a dû affronter des intimidations, on a tenté de l’influencer et il a eu du mal à faire accepter des mesures d’enquête supplémentaires.
Formation insuffisante
Securitas assume entre autres des tâches de sécurité dans les centres où sont hébergé·e·s des requérant·e·s d’asile alors que Securitrans SA, une filiale des CFF et de Securitas, a un rôle de police ferroviaire. Ces tâches requièrent des qualifications particulières dont les employé·e·s de ces entreprises de sécurité privées sont le plus souvent dépourvu·e·s. La formation reçue est très superficielle et ne permet pas de faire face aux situations de violence en respectant le principe de proportionnalité. André Duvillard, commandant de la police cantonale neuchâteloise, relève que même la délégation des tâches policières les plus banales pose problème: «A Neuchâtel, c’est notamment pour de simples problèmes de parcage où les entreprises de sécurité privées sont autorisées à donner des amendes d’ordre, que cela a posé problème.» Du coup, d’autres tâches, comme celle de l’encadrement des requérant·e·s d’asile, qui nécessite de solides connaissances sur les réfugié·e·s, les traumatismes et la migration requièrent un personnel bien formé. «La force publique est quelque chose qui doit rester aux mains des collectivités publiques, poursuit André Duvillard. La délégation des tâches policières s’inscrit dans une tendance de new management… on délègue un maximum. Mais aujourd’hui, on en est revenu, car on constate que ces tâches sont trop difficiles.» Contacté par téléphone et courrier électronique, Securitas estime au contraire que ses employé·e·s ont un bon voire un très bon niveau de formation, mais ne prend pas position sur les événements survenus à Kreuzlingen (voir encadré). Or, Amnesty International considère la formation des employé·e·s des entreprises de sécurité privées comme totalement insuffisante. Il existe certes un certificat fédéral d’agent·e de sécurité, mais la plupart des personnes qui travaillent dans ce domaine ne disposent pas de ce CFC. Mais même cette formation est lacunaire car elle ne contient généralement aucun cours spécifique sur les droits humains et l’obligation de les respecter.
Responsabilités floues
Alors, qui est finalement responsable des violations des droits humains commises par les membres des forces de sécurité privées? Selon le droit international, les pouvoirs publics ont l’obligation de garantir que les acteurs privés ne violent pas les droits humains. D’autant plus quand ils délèguent des tâches qui leur incombent. Mais l’Office fédéral des migrations, qui est pourtant gestionnaire des centres d’enregistrement pour requérant·e·s d’asile, ne prévoit, dans son contrat cadre avec des entreprises de sécurité privées, aucune obligation de respect des normes internationales en matière de droits humains ni aucune sanction en cas de violation de ces normes.
Recommandations
Amnesty International recommande aux autorités d’établir des conditions-cadres claires en cas de délégation des tâches étatiques de sécurité et de ne pas déléguer des tâches qui nécessitent des compétences de contrainte. Un concordat contraignant pour toute la Suisse devrait régler en détail l’activité des entreprises de sécurité privées et de leur personnel ainsi que leur responsabilité en cas de violations des droits humains. Les entreprises de sécurité privées ne devraient engager que du personnel qualifié, disposant d’un CFC d’agent·e de sécurité. Pour les centres d’enregistrement et d’hébergement, seules des personnes qui ont acquis de solides connaissances sur les questions des réfugié·e·s, des traumatismes et de la migration devraient être engagées.
Securitas mis en cause
Début 2005, Amnesty International a reçu une dénonciation d’un requérant d’asile somalien à qui un garde Securitas avait tordu le bras si violemment dans le dos qu’il a dû être emmené à l’hôpital avec une quadruple fracture du bras. Selon la Wochenzeitung, des témoins neutres ont déclaré que sans motif apparent,un Securitas a brutalement tordu le bras du requérant dans son dos et l’a brisé; les employé·e·s de Securitas disent quant à eux que le requérant aurait frappé le visage de l’un d’entre eux. Dans son certificat médical, le médecin traitant constate que les blessures relevaient d’une violence incroyable. Le requérant d’asile a déposé plainte pénale. En contrepartie, Securitas l’a dénoncé pour voies de fait. Les procédures sont en cours.
D’autres violences mettant en cause cette entreprise de sécurité privée se sont déroulées au centre d’enregistrement pour requérant·e·s d’asile de Kreuzlingen. Les employé·e·s de Securitas ont enfermé plusieurs personnes dans une salle d’attente, à la vue de tous, parce qu’elles n’avaient pas respecté des ordres. Pour qui a déjà visité un tel centre, il faut savoir que toute la journée est rythmée par les ordres et par des horaires stricts. Une personne a ainsi été enfermée pendant cinq jours et un homme a été enfermé parce qu’il ne voulait pas enlever ses lunettes. L’enquête entreprise par l’Office fédéral des réfugiés (devenu aujourd’hui Office fédéral des migrations) n’a tenu compte ni des témoignages de l’aumônier du Centre d’enregistrement ni de ceux des collaboratrices de la Croix-Rouge Suisse.
En mars 2005, un Tamoul a été frappé par un garde de Securitas, poussé contre une paroi de verre et renvoyé du centre. Le 8avril 2005, un Kurde irakien aurait été frappé et, le 18 mai,un Russe aurait été battu jusqu’à en perdre connaissance bien qu’il ne se soit pas défendu. Aucune enquête indépendante n’a été menée.
Extrait du rapport de la Section suisse d’Amnesty International, Police, justice et droits humains, Berne, 2007. (Pour en savoir plus»)