La Section suisse d’Amnesty International reçoit depuis plusieurs années de nombreux témoignages faisant état de violences policières. L’organisation a donc enquêté et publié un rapport sur la question, en juin dernier. Ce rapport a pour but d’informer la population, les autorités politiques et les corps de police. Il contient des recommandations qui doivent permettre de remédier aux manquements de la police. Impunité Au-delà des violences, il y a l’impunité dont bénéficient les responsables de violations des droits humains. En effet, la plupart des plaintes n’ont donné lieu à aucune condamnation alors même qu’une enquête avait eu lieu. Peter Albrecht, ancien président du tribunal pénal de Bâle-Ville, dit lui-même que «c’est le grand problème de la justice pénale: le manque d’indépendance interne des tribunaux pénaux face à la police et au ministère public». Et pour cause: contrairement à ses voisins européens, le système suisse ne prévoit pas d’instance indépendante responsable de l’instruction des plaintes concernant des allégations d’abus policiers. En 2005 déjà, le Comité des Nations unies contre la torture recommandait à la Suisse d’instituer un mécanisme indépendant pour que les plaintes contre les agent·e·s de police concernant les actes de torture et les mauvais traitements soient acceptées.
En Suisse, les victimes doivent donc déposer plainte auprès de celle qu’elles tiennent pour responsable de leurs malheurs: la police. Il n’est pas rare que les plaignant·e·s fassent l’objet d’une contre-plainte et soient systématiquement accusé·e·s et poursuivi·e·s pour opposition aux actes de l’autorité et violence ou menace contre les fonctionnaires. Le cas d’Eldar S. illustre bien l’impunité dont bénéficient souvent les agent·e·s de police (voir encadré ci-dessous).
Discriminations
«Depuis sa création en 2002, le Carrefour de réflexion et d’action contre le racisme anti-Noir (CRAN) enregistre régulièrement des plaintes provenant de Noir·e·s victimes de violences policières lors de contrôles de routine, aux commissariats de police ou lors d’opérations codées dont les noms (par exemple NERO) finissent souvent par convaincre qu’elles sont bel et bien dirigées contre cette minorité», déplore Gerome Tokpa, secrétaire général du CRAN. En effet, les personnes de couleur ou les requérant·e·s d’asile sont particulièrement exposé·e·s aux abus des forces de police. Soumises à toutes sortes de vexations, systématiquement soupçonnées de trafic de drogue, ces personnes subissent des contrôles d’identité disproportionnés, sans explications ni excuses. Contrôlées sur la voie publique, parfois déshabillées dans la rue ou au poste, elles sont ensuite relâchées sans commentaires. Comme L. B. qui prenait le tram en ville de Zurich avec son fils de cinq ans et qui a été emmené, menottes aux poignets, pour un contrôle d’identité au poste de police principal. Son fils, terrorisé, a été enfermé avec lui dans une cellule avant d’être emmené pendant que son père subissait une fouille complète. Libéré sans explications une heure plus tard, L. B. a par la suite demandé des explications avec l’aide de son avocat. Sans grand succès puisqu’on lui a notifié qu’il s’agissait d’un simple contrôle de routine. Le Tribunal fédéral relève pourtant que le principe constitutionnel de la proportionnalité exige “des fonctionnaires de police qu’ils fassent preuve d’égards et de courtoisie à l’endroit des personnes interpellées, provoquent chez elles le moins de gêne possible vis-à-vis du public environnant”. Tout se passe comme si les personnes de couleur et les requérant·e·s d’asile n’avaient pas droit à ces égards. Le rapport d’Amnesty International a également mis en évidence d’autres groupes cibles, particulièrement exposés aux violences policières: les altermondialistes, les mineur·e·s et les supporters de football.
Au moins six décès
Dans quelques cas graves, l’usage disproportionné de la force a entraîné la mort. En effet, on sait que l’utilisation de certaines mesures de contrainte pendant les contrôles, les arrestations ou les transports peuvent mettre la vie en danger. Elles sont pourtant toujours utilisées. On pense notamment au fait de menotter une personne couchée par terre sur le ventre, avec le visage plaqué contre le sol. C’est l’emploi de cette mesure qui a causé la mort de Samson Chukwu en 2001. Agé de vingt-sept ans, il est mort dans sa cellule du Centre de refoulement valaisan de Granges. La famille a porté plainte mais l’affaire a été classée par le juge d’instruction au motif que les policiers n’étaient pas au courant des risques inhérents à cette position. Pourtant, il est connu depuis le milieu des années 90 que cette position comporte des risques sérieux pour la vie. Aucune indemnité n’a été versée à la famille du défunt.
La recherche d’Amnesty International analyse également l’utilisation abusive de certains équipements qui peuvent se révéler dangereux, comme les gaz lacrymogènes utilisés dans des espaces fermés, ou encore les Tasers, ces pistolets à électrochocs dont les risques n’ont toujours pas été examinés par une enquête indépendante. Autant de thèmes qui seront abordés directement avec les responsables de police dans certains cantons, lors de tables rondes organisées ces prochaines semaines.