Basima, la directrice, s’active dans son bureau. Elle explique qu’il a fallu, après la tragédie de 2002, développer des activités sociales, culturelles et économiques: broderie, jouent dans la cour et interpellent les visiteuses du coutumier «What’s your name? My name is…». Basima, la directrice, s’active dans son bureau. Elle explique qu’il a fallu, après la tragédie de 2002, développer des activités sociales, culturelles et économiques: broderie, arrangements floraux, premiers secours, informatique, leadership, loisirs pour les enfants. Les sons d’un violon s’échappent d’une pièce voisine. Une femme svelte et pleine de fougue explique qu’elle est venue d’Israël: «Je suis professeure au Conservatoire. Je viens chaque semaine dans le camp et je reste deux jours avant de retourner en Israël. J’apporte trois violons avec moi, mais ce serait bien que les enfants aient leur propre instrument.» Elle fait partie des femmes israéliennes qui se mobilisent pour la paix, à l’image des Femmes en noir qui manifestent contre l’occupation, chaque vendredi à Jérusalem.
Le conflit israélo-palestinien touche durement les femmes palestiniennes, souvent confrontées à la perte de leur mari ou de leurs fils. Il est 23 heures. Dans un modeste appartement du camp, le père et le fils de dix ans sont allés se coucher. Le poste de télévision reste allumé. Les trois jeunes filles de vingt, dix-huit et treize ans offrent des bijoux qu’elles ont confectionnés. La mère, restée silencieuse jusque-là, se met à raconter: «Mon fils me disait qu’il allait mourir. Je ne pouvais pas y croire, il n’avait que seize ans. Il était devant une maison quand lui et deux de ses amis ont été tués par l’armée israélienne, il y a six mois de cela…» Des larmes coulent sur ses joues. D’un sac noir, elle sort les habits déchiquetés de son fils, devenus reliques. L’éclairage d’une affiche lumineuse dressée en face de la maison et représentant l’image du fils et de ses amis morts inonde la pièce de sa lueur.
Violence liée au genre
Les femmes ne perdent pas seulement leurs proches, elles sont aussi victimes de violences. La dégradation du tissu social palestinien a un impact profond sur les femmes qui subissent des pressions croissantes au sein de leur famille et dans la société. Située sur les hauteurs de la ville de Naplouse, une maison accueillante et bien protégée se confond avec les autres résidences du quartier. Dirigé par Falak Khayyat, ce foyer reçoit une trentaine de victimes de violence domestique par année. «Avant l’ouverture du foyer en 1999, nous avions ouvert une ligne directe huit heures par jour, explique la directrice du foyer et de la Société pour la défense de la famille. Les femmes ont commencé à téléphoner et à nous demander des conseils. Dans la société palestinienne, les femmes n’ont pas l’habitude de chercher des solutions à l’extérieur de leur milieu familial, il fallait les encourager à briser le silence.»
Une des tâches importantes des assistantes sociales consiste à négocier avec la famille de la victime une réinsertion avec une garantie de protection, signée devant une autorité locale comme la police. C’est ainsi qu’elles agissent dans la plupart des cas. Par contre, si une femme est en danger de mort, elle sera abritée au foyer en attendant de trouver une autre solution. Certaines femmes risqueraient d’être tuées si elles retournaient dans leur famille. Dans ces cas exceptionnels, la victime est transférée dans une autre ville où elle reçoit de l’aide pour réorganiser sa vie.
Un rapport d’Amnesty International relève que «les lois existantes ne protègent pas suffisamment les femmes victimes de violences ou de mauvais traitements au sein de leur famille; qui plus est, certaines sont discriminatoires et favorisent les atteintes aux droits des femmes». Un exemple: un article qui traite des crimes «liés à l’honneur de la famille» prévoit l’exemption des poursuites ou une peine réduite pour un homme qui tue ou blesse son épouse ou une proche parente accusée d’avoir souillé «l’honneur» de la famille.
La directrice générale responsable du planning familial au Ministère des affaires sociales à Ramallah, Cairo Arafat, est consciente que cette violence puise ses racines dans la société patriarcale palestinienne: «La violence domestique est difficile à combattre car en Palestine nous vivons dans un cercle fermé. Mais on ne veut en aucun cas justifier cette violence par l’occupation militaire que nous subissons. Nous, les femmes palestiniennes, travaillons ensemble pour mettre en place les fondements d’une société plus égalitaire.»
Cours d’autonomie
Seule la formation des femmes permettra d’atteindre cet objectif. Dans les villages aux alentours de Tulkarem, le Palestinian Women Developing Center aide les femmes à acquérir davantage d’autonomie, en organisant des cours, notamment pour les sensibiliser à leurs droits politiques. Hanan et Raja, les deux directrices, sont d’infatigables défenseuses des droits des femmes.
«Quelles sont vos attentes?» Ainsi commence un cours. L’enseignante, chevelure à l’air, se tient debout. Derrière elle, un tableau, sur lequel elle note les réponses des vingt femmes assises derrière des tables, âgées de dix-huit à cinquante ans et vêtues de longs manteaux, la tête recouverte d’un foulard.
Dima*, une jeune fille, se confie: «Je porte le voile et l’habit traditionnel, je ne peux pas être vêtue comme Raja et Hanan. Mes raisons ne sont pas religieuses: j’ai peur du qu’en dira-t-on.» Dans les rues de Tulkarem, croiser une femme sans l’habit traditionnel est devenu exceptionnel.
Grâce au Palestinian Women Developing Center, les femmes apprennent à avoir confiance en leurs propres capacités, à élaborer et réaliser des projets dans leur communauté, à gagner le droit de sortir de la maison pour se réunir, et ainsi à se sentir moins isolées. Déjà une petite victoire dans une vie trop souvent remplie de violence.
* Prénom d’emprunt