Plages de sable blanc, mer cristalline et cocotiers: ce sont les images qu’évoquent ici les Maldives. Mais ce paradis de la plongée est depuis vingt-huit ans sous la botte d’un pouvoir autoritaire, qui n’hésite pas à faire usage de la torture et des mauvais traitements pour museler l’opposition. Pendant que les touristes se prélassent au soleil dans un hôtel de l’archipel, pour les opposant·e·s, c’est la prison, la torture, voire la mort. Depuis 1978, l’année où le président Gayoom est arrivé au pouvoir, les droits d’expression et d’association ont été massivement restreints dans cet Etat islamique.
Une famille d’opposant·e·s
Jennifer Latheef est l’une de ces opposant·e·s. Depuis les manifestations publiques de 2003 contre le président Maumoon Abdul Gayoom, cette journaliste et réalisatrice de 32 ans ne cesse d’être arrêtée et emprisonnée, parfois pendant plusieurs semaines. En octobre 2005, elle a été condamnée à dix ans de prison pour «terrorisme» dans le cadre d’un procès inique. Après dix mois d’emprisonnement et de mauvais traitements, le président finit par la gracier sous les pressions internationales: elle est libérée. Mais quatre opposants, arrêtés en même temps qu’elle, sont toujours sous les verrous. Jennifer Latheef est venue en Suisse en décembre pour témoigner de la situation aux Maldives. «J’ai grandi avec les persécutions et les assassinats politiques», raconte la jeune femme, dont le père, Mohamed Latheef, l’opposant politique le plus connu du pays, a également souffert de la répression gouvernementale. «Dans mon entourage, presque tout le monde s’est battu à sa manière contre le président Gayoom.» Son grand-père et même son arrière-grand-père ont déjà été victimes du régime. «Il n’y avait pas de médias indépendants, explique la journaliste, et il était impossible de parler de démocratie.» En septembre 2003, le silence est enfin brisé. «C’est le début d’un mouvement démocratique aux Maldives», comme le comprend Jennifer Latheef. Après des décennies de peur et de pressions, la foule descend dans la rue pour protester contre la mort d’un jeune toxicomane, Evan Naseen, suite à des mauvais traitements en prison. La rage et la frustration de tout un peuple jusqu’alors resté muet éclate et les manifestant·e·s descendent dans la rue. Alors que les îles touristiques sont préservées, dans la capitale, la police et l’armée s’en prennent à la population. Jennifer Latheef se souvient: «Au bout de deux jours, ils m’ont arrêtée pour la première fois, soi-disant en raison de ma participation aux manifestations.» Elle estime que ce geste était avant tout un moyen de faire pression sur son père, qui ne s’est pourtant pas laissé intimider : «Même si vous la tuez, je ne cesserai pas mon travail», a-t-il dit aux responsables de l’arrestation de sa fille.
Censure imparable
La jeune femme semble avoir hérité de la ténacité et du courage de son père. Les passages réguliers en prison, les mauvais traitements et les pressions incessantes ne l’ont pas dissuadée de s’engager pour les droits humains. Après avoir étudié la communication à San Francisco, aux Etats-Unis, elle retourne dans son pays afin d’y réaliser un documentaire sur la consommation d’héroïne: «Un grand problème aux Maldives», constate-t-elle. Son projet échoue en raison de la censure imparable des autorités. Elle entreprend, avec sa tante, de tourner le premier long métrage maldivien sur la question de la violence domestique. Elle milite également dans le Maldivian Democratic Party (Parti démocratique maldivien, MDP) fondé par son père en exil – ce dernier s’est réfugié au Sri Lanka suite aux événements de septembre 2003. «En fait, la politique ne m’intéresse pas. C’est pour moi uniquement un moyen d’atteindre un but», avoue Jennifer Latheef.
Avec sa soeur, elle a créé une ONG, Native Operators on Rights (NOOR). Les principaux buts de NOOR sont de réformer la justice et de former la population aux droits humains. Elle n’a pas l’intention de s’arrêter: «Je serai très probablement encore arrêtée, mais je ne peux pas me résoudre à abandonner des êtres humains. Si tous les intellectuels abandonnent le pays, la population perdra à nouveau l’espoir et le courage.»