Avril 2006, le peuple népalais est dans la rue, faisant les titres de la presse internationale et la une des télévisions à travers le monde. Le Népal est en route pour la démocratie et la paix, un moment historique après dix ans de guerre civile et 12’000 victimes. Le 1er novembre 2006, un accord de paix est finalement signé entre les différents protagonistes. Et depuis, c’est le silence médiatique.
Progrès politiques
Il y a quelques semaines, le Népal a adopté une nouvelle constitution provisoire et s’est doté d’un nouveau Parlement intérimaire. La tenue d’élections pour la formation d’une Assemblée constituante est prévue pour juin 2007. Ces avancées démocratiques majeures ne doivent cependant pas cacher des inégalités saillantes et persistantes. «Les femmes, les indigènes, ainsi que les ethnies janati et dalit ont le sentiment que le processus de paix est en grande partie dominé et contrôlé par les partis poli- tiques qui ne semblent pas encore prêts à laisser de l’espace à leur voix et à leurs revendications», relève Marcel von Arx, conseiller en conflit et en gouvernance au bureau de la Coopération suisse au développement (DDC) à Katmandou. Victime économique des dix années de guerre civile, le monde rural se sent également mis au ban du processus. L’Ouest du pays est sous perfusion alimentaire, afin d’éviter une famine sans précédent.
De nouveaux groupes
Depuis la fin du conflit, la situation des droits humains a fait des avancées significatives. Les exécutions extrajudiciaires, le recours à la torture, les enlèvements, les détentions illégales et les «disparitions» sont en nette diminution. «Les forces de sécurité et l’armée maoïste de libération du peuple sont chacun dans leurs baraquements. Ils ne sont donc pas dans les villages en train de faire des démonstrations de force, et les gens peuvent enfin se déplacer librement», témoigne Retika Rabijbhandri, membre de l’organisation Women’s Rehabilitation Center (Centre de réhabilitation pour femmes - WOREC). Cependant, des groupes maoïstes n’ont pas totalement perdu leurs mauvaises habitudes. Comme l’indique Marcel von Arx, « des enlèvements, des violences contre les citoyens et des extorsions sont toujours d’actualité dans plusieurs régions du pays». Phénomène inquiétant, l’arrivée de nouveaux groupes violents, tels les groupes de défense des droits des Madhesi. Fin décembre, le couvre-feu a été décrété dans plusieurs villes de la région du Teraï, à la suite de manifestations violentes orchestrées par le Madhesi Janadhikar Forum (MJF) et d’autres groupes de défense des droits des Madhesi. Les journaux en ligne Nepal News et E-Kantipur rapportent que les manifestations ont fait une dizaine de morts à ce jour. Les actions de ces groupes menacent également le travail des défenseurs et des défenseuses des droits humains. «Notre organisation a été menacée hier encore d’être détruite par ces groupes, s’insurge Retika Rabijbhandri. Il y a quelques mois, nous avons soutenu le cas d’une femme dalit violentée et avons demandé l’inculpation de l’auteur, qui était un Madhesi.» Cet événement est symptomatique de la situation actuelle des femmes qui doivent toujours faire face aux discriminations et à l’impunité des agresseurs. Enfer citadin Les prémices de paix sont une source d’espoir pour les femmes qui étaient extrêmement vulnérables face aux violences et aux violations commises durant la guerre civile. Néanmoins, les Népalaises de certaines couches sociales souffrent toujours de ces violations. Alors que les femmes de la classe moyenne profitent déjà de la stabilité et de la sécurité retrouvée, la situation des femmes plus pauvres reste inquiétante, particulièrement celles qui travaillent dans la prostitution. Ces jeunes femmes, souvent issues de l’exode rural et victimes de la guerre, sont, selon Retika Rabijbhandri, toujours sujettes aux violences commises par les groupes maoïstes : «Ces femmes sont généralement très jeunes. C’est un grave problème, mais la solution n’est pas de les forcer à quitter leur travail comme le font en ville les maoïstes.» La jeune femme raconte comment, lors d’un de ces incidents, des maoïstes sont entrés dans un restaurant et ont frappé des travailleuses. «Ils leur ont demandé comment elles osaient faire un travail si immoral et les ont forcées à quitter leur travail. Cette méthode ne fait qu’aggraver leur situation financière en les poussant à trouver un travail encore plus risqué.» Selon Retika Rabijbhandri, il faudrait plutôt mener des actions contre les groupes mafieux qui contrôlent ces trafics de femmes.
Equilibre instable
Autre problème épineux auquel le Népal se voit confronté : l’impunité. Selon Marcel von Arx, la tradition, la culture et les précédents ne poussent pas à l’optimisme, en tout cas à court terme. «Il semblerait que les forces de sécurité et les partis au pouvoir, dont le Parti communiste népalais (CPN), aient conclu un accord tacite : vous nous laissez faire et on ne vous touche pas!» A l’instar d’autres pays, une commission «vérité et réconciliation» devrait voir le jour. Reste la question de l’indépendance, du pouvoir et de l’efficacité d’une telle commission à répondre aux violations commises dans le passé. Car c’est bien à ses démons que le peuple népalais doit faire face. Les maoïstes restent versatiles, de nouveaux groupes extrémistes et mafieux jouent la stratégie de la déstabilisation et la question du roi reste sensible. Le rôle de la communauté internationale est essentiel, afin de soutenir le pays. Le travail de l’ONU, des ONG et de la Suisse (DDC) notamment est plus que jamais essentiel à cet instant. Avec l’espoir fou, exprimé par le sénateur népalais Prakash Man Singh, qu’un jour le «Népal devienne la Suisse de l’Asie».