MAGAZINE AMNESTY Chine «Je crains un retour en arrière»

Article paru dans le magazine AMNESTY, n°51, publié par la Section suisse d’Amnesty International, novembre 2007.
Amnesty International n’a pas accès au territoire chinois et comme la liberté d’expression y est très réduite, il est difficile d’avoir des informations concernant les violations des droits humains qui y sont commises. Interview de Chine Chan, chercheuse pour Amnesty International à Hong-Kong.

© Adrian Moser © Adrian Moser

AMNESTY: La Chine est l’un des pays qui répriment le plus drastiquement la liberté d’expression et d’information. Comment avez-vous connaissance des violations des droits humains qui y sont commises?

Chine Chan: Hong-Kong est un endroit privilégié pour observer le continent. D’une part, de très nombreuses organisations pour la défense de la démocratie et des droits humains y sont installées. D’autre part, il y a beaucoup de contacts entre Hong-Kong et le continent. De nombreuses personnes se déplacent tous les jours entre l’un et l’autre pour leur travail et une grande partie des informations nous parviennent par ce biais. Les médias et les universités de Hong-Kong jouent un rôle central; ces dernières sont impliquées dans des programmes d’échange qui leur permettent d’en apprendre beaucoup sur ce qui se passe en Chine.

Pour se procurer des informations, la clé est d’avoir un bon réseau de relations avec des gens que l’on connaît depuis longtemps et en qui l’on a toute confiance. En Chine, les personnes engagées dans la défense des droits humains sont liées entre elles par un réseau très informel, basé avant tout sur le contact personnel. Comme je travaillais auparavant comme journaliste et que j’étais active dans une organisation de défense des droits humains, j’ai développé un vaste réseau que j’ai pu mettre au service d’Amnesty. Une forme d’organisation plus étroite n’est cependant pas possible, car elle serait immédiatement découverte et interdite par le gouvernement.

N’est-il pas très dangereux pour les personnes de travailler avec Amnesty International?
C’est sûr, il y a toujours un certain danger – surtout quand les personnes concernées s’adressent directement à nous. La plupart en sont conscientes, mais elles sont en même temps fermement convaincues que l’action d’Amnesty en vaut la peine. Plus le contact est personnel, moins le danger est grand. Les informations sensibles qui ont trait à des questions importantes ne peuvent pas être communiquées par internet, qui est très surveillé. Les journalistes et les personnes engagées pour les droits humains se procurent donc un visa touristique pour Hong-Kong, ce qui, depuis 1997, n’est pas très difficile.

Quelles sont les principales difficultés pour se procurer les informations?
En Chine, on a besoin de beaucoup de temps et d’argent pour arriver jusqu’aux informations. Les personnes victimes de violations des droits humains sont souvent très pauvres et nous devons les soutenir financièrement pour qu’elles puissent faire des recherches dans des régions éloignées ou venir nous voir à Hong-Kong. Les plus graves violations n’ont pas lieu à Pékin ou à Shanghai, mais dans des régions isolées, loin de tout. Il nous arrive de choisir l’indicatif d’un village, d’appeler des familles au hasard et de leur poser des questions personnelles pour trouver des indices de violations des droits humains, en particulier de déplacements forcés. Il faut beaucoup de temps pour gagner la confiance des gens. Ils doivent d’abord pouvoir se convaincre que tu n’es pas un espion à la solde du gouvernement, et que les informations qu’ils vont te donner seront utilisées pour les aider et non pour les mettre en danger. Pour les personnes extérieures à la Chine, il est très difficile de gagner cette confiance, car après des décennies d’isolement, les Chinois ont encore très peu l’habitude des étrangers.

Qu’est-ce qui différencie la situation des personnes qui s’engagent pour les droits humains en Chine et en Europe?
En raison de la grande instabilité du système juridique en Chine, le travail en faveur des droits humains est toujours risqué. Nous le savons par les quelque sept cents juristes qui se sont engagés dans cette lutte et qui se trouvent actuellement en prison. La Chine a de très bonnes lois, mais ce qui fait problème, c’est leur application, qui est complètement arbitraire. C’est pourquoi se battre pour les droits humains demande unetrès bonne connaissance de la situation politique actuelle: il faut savoir ce qui est possible à un moment donné, et jusqu’où on peut aller. Le choix des mots est crucial. En Chine, beaucoup de choses ne peuvent être dites que de manière indirecte, car certains mots spécifiques sont interdits ou seraient compris comme des critiques envers le régime. Il est très important pour nous de bien maîtriser notre langue, afin de pouvoir décrypter les messages qui passent par ce biais.

Comment le gouvernement chinois réagit-il aux rapports d’Amnesty?
Pour Amnesty International, il est assez gratifiant de travailler avec la Chine, car le gouvernement réagit la plupart du temps à nos appels. Mais ses réactions sont très contradictoires. Si nous critiquons les Etats-Unis à propos de Guantánamo, les journaux parlent de nous comme d’une organisation digne de confiance. Lorsque nous critiquons la Chine, on nous accuse soudain de n’être pas sérieux et de n’avoir aucune idée de ce dont nous parlons.

Croyez-vous que la situation des droits humains va s’améliorer avec les Jeux olympiques?
Oui, dans l’ensemble, je crois que la situation s’améliore du fait des Jeux. Mais il faut faire attention à ne pas nous limiter à cet horizon. Nous devrons maintenir la pression après les Jeux, sinon nous risquons simplement de repousser les problèmes. On ne peut pas garantir qu’il n’y aura pas un retour en arrière qui annulera les résultats obtenus. C’est pourquoi la surveillance doit continuer après Pékin 2008. Nous devons par ailleurs être conscients qu’on ne peut pas exiger que tout s’arrange en si peu de temps. Nous devons nous concentrer sur certaines revendications très concrètes.