La zone piétonne qui borde le TSUM d’Almaty, le magasin d’Etat, rivalise avec les rues commerçantes des métropoles les plus animées. Des gadgets inutiles sont exposés sur le trottoir et tremblent au passage des élégantes femmes russes en hauts talons, qui dépensent sans compter leurs Tenge dans les boutiques à la mode, avant de regagner leur 4x4 pris dans la circulation en contrebas. Dans le TSUM, l’atmosphère est frénétique, surtout au rayon téléphonie mobile où les jeunes s’arrachent à des prix européens les portables dernier cri.
Depuis 2000, le Kazakhstan affiche une croissance économique de plus de dix pour cent et les entreprises internationales, principalement pétrolières, investissent la nouvelle capitale, Astana. Une exception en Asie centrale, que les expert·e·s expliquent par la découverte de nouveaux gisements d’or noir et une grande stabilité politique – le pays est tenu d’une main de fer depuis seize ans par le président Noursoultan Nazarbaïev.
Apparences trompeuses
Comment expliquer, dès lors, une donnée démographique curieuse, inversement proportionnelle à la croissance? L’espérance de vie de la population a diminué de presque trois ans entre 2001 et 2004. Et, selon l’UNAIDS, l’agence des Nations unies qui coordonne la lutte contre le sida, le nombre de personnes contaminées par le virus a doublé ces dernières années. C’est que, depuis la chute de l’Union soviétique, le système de santé s’est lamentablement dégradé, et que le droit à la santé des Kazakhes ne semble pas être une préoccupation majeure du gouvernement.
A tel point que, au printemps, un scandale a secoué le pays. Un procès impliquant vingt et un médecins a été ouvert: ces professionnel·le·s seraient responsables de la contamination par le virus VIH de nonante-quatre enfants, hospitalisés à Chymkent, dans le Sud du pays. Une affaire qui rappelle celle tristement célèbre des infirmières condamnées en Libye, mais qui a une tout autre explication: «Les conditions de travail dans les hôpitaux sont très mauvaises, raconte un fonctionnaire de l’ONU en poste à Almaty. Pour survivre, le personnel soignant revend les seringues et autres instruments au marché noir, et réutilise le matériel usagé.» Les salaires sont extrêmement bas, cent dollars mensuels pour les jeunes docteurs, cinquante pour le personnel auxiliaire. Les hôpitaux de province sont totalement délaissés.
Cette affaire a coûté son poste au ministre de la Santé. Son remplaçant, Anatoly Dernovoy, a annoncé en mai qu’il prévoyait d’augmenter les dépenses de santé jusqu’à quatre pour cent du produit intérieur brut (PIB). A titre comparatif, selon l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), la Suisse se situait en deuxième place mondiale en 2004 avec 11,6 %.
Lourd héritage
Les quinze millions d’habitant·e·s que compte le Kazakhstan sont aujourd’hui aussi face à des défis de santé publique d’un autre ordre. L’héritage de l’Union soviétique ressemble à un cadeau empoisonné. Tout d’abord, la sécheresse, qui affecte gravement les populations touchées, non seulement en termes de santé, mais également du droit à l’eau. Le phénomène, cristallisé autour de la mer d’Aral, s’étend à l’ensemble du territoire, plus grand que l’Europe de l’Ouest. «La question de la mer d’Aral a été relativement médiatisée, témoigne Gulnar Bekturova, du Fonds international pour la lutte contre la désertification. Mais les problèmes écologiques et de santé persistent.» Depuis son petit appartement d’Almaty, elle se bat pour que le gouvernement, mais aussi la communauté internationale, prennent rapidement des mesures. L’usage intensif des eaux des fleuves Amou-Daria et Syr-Daria, autrefois par le régime soviétique, à présent par les actuelles républiques d’Asie centrale, a asséché la mer. Les vents violents et secs générés par le nouveau désert sont chargés de produits toxiques. Dans les zones les plus touchées, les problèmes respiratoires notamment sont extrêmement fréquents.
Radiations mortelles
Un autre legs de la grande Russie communiste affecte le nord du pays, plus exactement la région de Semipalatinsk, où le Kremlin a ordonné près de cinq cents essaisnucléaires en presque quarante ans, les derniers en 1989. Petite ville grise et abandonnée de l’Etat, Semipalatinsk en russe, Semei en kazakhe, compte aujourd’hui encore un nombre inquiétant de malformations et de cancers. Le gouvernement y a bien ouvert un «Institut de médecine spéciale», un pavillon de recherche sur les maladies liées aux radiations qui compte une vingtaine de lits. Dévoué à ses patients, le Dr Boris Galitch tente de soulager les souffrances des paysan·ne·s qui, ignorant le danger, © Reuters assistaient en direct aux essais dans la steppe. D’une voix douce, il assure que le président a pris le problème en main, et que l’institut en est la preuve. Le gouvernement a en effet accordé, il y a quelques années, une rente aux personnes atteintes par les radiations.
Quelques rues plus loin, au rez-dechaussée d’un immeuble soviétique typique, c’est un autre son de cloche qu’on entend dans «la Maison des ONG». Maira Abenova Znamentra, cheveux courts et regard décidé, coordonne plusieurs organisations qui traitent de différentes questions, comme le droit au logement. Elle est beaucoup plus mitigée sur la réponse apportée par le gouvernement: «Le président a justement annoncé récemment qu’il supprimerait l’aide accordée aux malades.» Et, fait symbolique, il a proposé dernièrement de changer le nom de la ville: Semipalatinsk est trop connotée, associée au polygone nucléaire. En la rebaptisant Semei, il espère peut-être que les problèmes qui y sont associés se résolvent. Ou du moins que l’on cesse d’en parler.