Géant de béton et d’acier, le barrage des Trois-Gorges est une fresque monumentale de 2309 mètres de long et 185 mètres de hauteur. Il aura fallu treize ans de travaux et un budget officiel de près de trente milliards de dollars. Beaucoup de dirigeants chinois en avaient rêvé, Jiang Zemin l’a réalisé et achevé avec une année d’avance. Après les communiqués élogieux du pouvoir central sur les bienfaits du plus grand barrage du monde – protection contre les crues dévastatrices, production d’électricité équivalant à celle de dix centrales nucléaires, navigation sans encombre, aquaculture florissante et tourisme prospère – le contrecoup humain et écologique commence à se faire sentir.
Déracinement
Le bassin de retenue construit sur 660 kilomètres a signifié une montée des eaux du fleuve Yangtsé. Treize villes, cent quarante bourgades et près de quatre mille villages ont disparu sous les eaux. Près de deux millions de riverain·e·s ont été déplacé·e·s sans être toujours relogé·e·s. Bien qu’une partie de la population de la région ait été placée dans une zone proche, et notamment dans la province du Sichuan, d’autres personnes ont atterri jusque dans la municipalité de Shanghai. Et contre quoi ? Au mieux une faible compensation financière. Comment refaire sa vie dans un contexte économique et social défait ? Sans compter l’hostilité des communautés déjà présentes. Dans les grandes villes, les travailleurs et travailleuses venant des zones rurales sont discriminé·e·s dans l’accès au logement, l’accès aux soins médicaux et à la sécurité sociale, ainsi qu’à l’éducation.
Pollution
Pour celles et ceux qui sont resté·e·s dans la région des Trois-Gorges, la réalité est tout aussi difficile. Selon la politique de reclassement du gouvernement, seules les personnes habitant des maisons au-dessous de la ligne d’immersion ont droit à des compensations. Les autres doivent s’accommoder de conditions de vie précaires et dangereuses. Interviewé par le journal Libération, Chen, paysan d’un des villages touchés, témoigne : « En août, pendant la saison des pluies, le gouvernement nous a ordonné d’évacuer nos maisons à cause des glissements de terrain. » Rien n’était prévu. « On a dû s’installer sous des bâches en plastique, dans un tunnel sans lumière. On a vécu là deux mois, c’était humide, tout le monde ou presque est tombé malade. » Outre les glissements de terrain (deux mille endroits sont classés dangereux), durant la période sèche, c’est la pollution qui guette. Lorsque le niveau du réservoir est bas, les eaux laissent s’amonceler des tas d’ordures et de déchets. Et de petits étangs d’eau sale et stagnante se forment, véritables incubateurs de parasites et de maladies dans la chaleur extrême de l’été.
Nouveaux déplacements
Malgré plus d’un milliard d’euros investis par le gouvernement central pour la protection du site, la solution passe par une deuxième vague de déplacements. Lors du dernier congrès du Parti communiste chinois, la municipalité a annoncé une campagne de relogements massifs dans les dix à quinze ans à venir et le déplacement de dix millions d’habitant·e·s de la zone du Yangtsé. D’ici là, les villageois·es se débrouillent au mieux. Pour payer sa nouvelle maison et échapper à l’insalubrité des lieux et à la désolation, Zhao Jiaqiang, habitant un village juste au-dessus du niveau de l’eau et ne touchant donc pas de compensation du gouvernement, n’a eu d’autre choix que de travailler loin de sa maison, à Guangdong, où il enchaîne chantier sur chantier. En deux ans, il n’est jamais retourné chez lui. Triste sort des habitant ·e·s des rives du Yangtsé: choisir entre le travail précaire en ville et une vie de misère dans la région.